« Lorsque la malheureuse Claire disparut du milieu de nous, elle n'avait que 32 à 34 ans, elle était brune, petite, mais bien faite, le pied et la main jolis, les traits de son visage étaient fanés, mais agréables par leur régularité, l'expression de ses yeux et de sa physionomie était fière, même un peu dure, en parlant, elle s'animait de suite, alors son langage était abondant, facile, mais rude et heurté. On sentait une organisation inflammable, peu tendre, mais excessivement passionnée... » Suzanne 1833
Claire Démar (1799-1833) ou Émilie d’Eymard, est une féministe, journaliste et écrivaine, membre du mouvement saint-simonien. La modernité avant-gardiste de ses écrits la fait reconnaître[1] aujourd'hui.
Biographie
Enfance et origines
Claire Démar, ou peut-être Émilie d’Eymard, est un personnage qui reste encore assez mystérieux. On ne connaît que peu de choses de ses origines et de son enfance. Sa date de naissance, 1799, n'est pas certaine[2] et son identité non plus, ses premières lettres étant signées Émilie d’Eymard et ses publications Claire Démar[3]. Elle mourut en 1833.
Une hypothèse sur ses origines en ferait la fille du pianiste et compositeur d'origine allemande Sébastien Demar et d'Elisabeth Riesam, d'origine allemande elle aussi. Ils s'étaient installés à Orléans depuis 1791, mais, apparemment, aucun acte de naissance pouvant être considéré comme le sien ne figure dans l'état civil orléanais pour l'année 1799 (An VII-An VIII, pas plus que dans la table décennale correspondante)[4]. La fille du couple Demar prénommée Theresia (Thérèse), harpiste et compositrice (qui aurait été sa sœur aînée), était née à Gernsbach, « au duché de Bade » (Allemagne) en 1786[5].
Prosélyte saint-simonienne
Claire Démar est l'une des femmes les plus combatives[6] du mouvement saint-simonien. Lors de la période, controversée, où le mouvement devient Église, où les écrits ont comme entête Religion saint-simonienne, et où cette Église est dirigée par Prosper Enfantin, figure emblématique du Père, elle se fait remarquer par son costume[7], qui consistait en un béret rouge, une jupe rouge ou blanche, suivant la saison, avec une ceinture de cuir, croisée sur le devant, et une jaquette bleue, laissant voir un plastron blanc avec son nom patronymique en gros caractères. Cette jaquette se laçait par derrière avec le concours d’un compagnon, en témoignage de l’esprit de solidarité du saint-simonisme.
Féministe
Claire Démar utilise le mouvement saint-simonien pour aller plus loin et exprimer des constats et revendications qui sont rejetés par une majorité de ses contemporains, mais qualifiés de féministes au cours des années suivantes[8]. Peu avant sa mort, elle publie un Appel d’une femme au peuple sur l’affranchissement de la femme où elle réclame l’application à la femme de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen. Elle y qualifie également le mariage de prostitution légale, plus exactement selon ses propres termes : "la prostitution de par la loi"[9].
Journaliste
Durant les dernières années de sa courte vie, Claire Démar participe aux revues féminines[10] créées du fait de la double opportunité offerte par la révolution de 1830, dite des Trois Glorieuses, et la brèche, un instant, entrouverte par le mouvement saint-simonien, dans un pays où la femme n'existe pas en Droit[11]. Elle publie son Appel d’une femme au peuple sur l’affranchissement de la femme dans La Femme libre et se liant avec Suzanne Voilquin[12], elle participe en proposant ou critiquant les articles publiés dans les différents titres dont Suzanne a pris la direction : La Femme nouvelle, L'Apostolat des femmes, et La Tribune des femmes.
Suicide et ouvrage posthume
Claire Démar se disposait à mettre un second volume sous presse, quand conspuée, abandonnée de tous, réduite à la plus grande misère et désespérant de voir l’émancipation des femmes, elle préféra se suicider, rue de la Folie-Méricourt, avec son amant Perret Desessarts, originaire des environs de Grenoble. Lorsque le commissaire vint constater le décès, on les trouva sur le même lit, avec deux lettres et un rouleau de papiers. Claire Démar avait indiqué que le tout devait être lu à la famille saint-simonienne de Paris et déposé ensuite entre les mains du PèreProsper Enfantin, qui remit ces papiers à Suzanne Voilquin, qui les publia dans La Tribune des femmes.
Claire Démar et Perret Desessarts (âgé de 20 ans, selon le registre d'inhumation) sont inhumés ensemble dans la fosse commune aux Amandiers du cimetière du Père-Lachaise, le [13].
Travaux
Textes publiés
Claire Démar, Appel d’une femme au peuple sur l’affranchissement de la femme, 1833, Valentin Pelosse, Payot, 2001. (ISBN2226125817)
Claire Démar, lettres de..., fonds Enfantin ou saint-simonien[14]
Claire Démar (et Perret Desessarts), lettres à Charles Lambert (), autographes conservés à l'Arsenal, Mss 7714, lettres d'adieu écrites quelques heures avant le suicide des deux amants.
Notes et références
↑Christine Planté, « La Parole souverainement révoltante de Claire Démar », in Femmes dans la Cité, 1815-1871, A. Corbin, J. Lalouette, M. Riot-Sarcey dir., Créaphis, 1997, pp. 481-494, « Oser (parler) est le maître mot de Ma loi d'avenir et il est bien vrai que ce texte frappe par un sentiment d'audace et de modernité »
↑Le registre d'inhumation du cimetière du Père-Lachaise indique qu'elle avait 36 ans à sa mort, ce qui la ferait naître vers 1797.
↑Alain Corbin, Jacqueline Lalouette, Michèle Riot-Sarcey, Société d'histoire de la Révolution de 1848 et des révolutions du XIXe siècle (France), Femmes dans la Cité: 1815-1871, Créaphis, 1997. p. 493 : On ignore sa date de naissance, de même que la graphie de son nom. Elle-même signe certaines lettres Émilie d'Eymard (Google livre)
↑État-civil d'Orléans. 19 janvier 1858. N° 92. Décès de Thérésia-Elisabeth-Françoise Demar, « professeur de musique », morte le 18, à 71 ans, de feu Jacob-Ignace-Sébastien Demar, « professeur de musique », et Dame Elisabeth Riesam.
↑Carole Bitoun, La Révolte au féminin. De 1789 à nos jours, Hugo&Cie, 2007 : « La Révolte au féminin réunit vingt portraits de femmes exemplaires. Figures emblématiques de la révolte, elles se sont élevées, à travers leurs actes contre l'ordre établi, parfois au péril de leur vie. Toutes ces femmes ont en commun une révolte individuelle jaillie de la colère et de l'indignation contre l'injustice, qui a transformé leur vie en combat. Olympe de Gouges, Charlotte Corday sous la Révolution, Claire Demar, Flora Tristant dans la première moitié du XIXe siècle »
↑Illustrations présentes dans le fonds Enfantin à la Bnf.
↑Notamment par : Ghenia Avril de Sainte-Croix en 1907, Laure Adler en 1979.
↑Claire (1799?-1833) Auteur du texte Démar, Appel d'une femme au peuple sur l'affranchissement de la femme ; suivi de Ma loi d'avenir / par Claire Démar, (lire en ligne)
↑Valentin Pelosse : « « Peuple, tu ne seras véritablement libre, véritablement grand, que le jour où la moitié de ta vie, ta mère, ton épouse et ta fille, seront elles aussi affranchies de l'exploitation qui pèse sur leur sexe. » Dans le Paris agité de 1830, des groupes s'organisent, partagés entre l'aspiration au bonheur commun et le combat pour la survie. Des femmes participent à ce formidable mouvement et gagnent une certaine autonomie. Parmi elles, la jeune saint-simonienne Claire Démar, qui signe en son Appel d'une femme au peuple sur l'affranchissement de la femme, dans lequel elle qualifie le mariage « de prostitution de par la loi » et let au défi les opposants républicains d'étendre aux femmes la Déclaration des droits de l'homme. Un an, après son suicide à Paris, un autre de ses écrits, Ma loi d'avenir, fera l'objet d'une posthume. Valentin Pelosse, sociologue, éclaire le parcours et la pensée de cette figure héroïque et la modernité qui s'inscrit d'évidence dans la généalogie des « mouvements de femmes ». » (Google livres)
↑Revue de Paris, Bureau de la Revue de Paris, 1834, p. 7 : « Ce qui l'y révoltait surtout, c'est que nous eussions écrit dans le Code civil que la femme doit obéissance et fidélité à son mari. « Nous marie-t-on, s'écrie-t-elle, on nous applique l'article du Code civil. Mais est-ce que nous avons assisté à sa rédaction ? Le Code est-il bien dans nos goûts et dans notre nature », Ce fut cette sainte indignation contre le Code civil qui poussa Claire Démar à demander au peuple une révision générale de toutes nos institutions. Claire Démar a fait plus à elle seule que n'avait osé l'assemblée constituante, qui s'était bornée à déclarer les droits de l'homme. Elle a proclamé la déclaration des droits de la femme. » (Google livres)
↑Revue de Paris, Bureau de la Revue de Paris, 1834, p. 6 : « Elle (Suzanne) assume héroïquement sur sa tête toute la responsabilité de la parole neuve et hardie de Claire Demar. Ce n'est pas là faire preuve d'un médiocre courage, je vous assure » (Google livre)