En mathématiques, un chemin auto-évitant (CAE), ou marche auto-évitante, est un chemin dans un réseau ne passant jamais par le même sommet ; lorsqu'il est fermé, on parle de polygone auto-évitant (PAE). Pour le graphe infini associé au réseau, les notions de CAE et de PAE correspondent à celles de chaînes et de cycles.
Les CAE ont été introduits en 1948 par le chimiste prix Nobel Paul Flory[1] dans le but de modéliser le comportement des polymères plongés dans un solvant. Depuis cette introduction, des physico-chimistes ont proposé de nombreuses conjectures qui ont été confirmées par des simulations numériques, mais peu d'entre elles ont été démontrées mathématiquement.
Un CAE de longueur infinie a une structure fractale[2],[3]. On démontre qu'il a une dimension fractale égale à 4/3 dans le cas plan, 5/3 en dimension 3, et 2 en dimension . Cette dimension est la limite supérieure de la dimension critique au-dessus de laquelle le volume exclu est négligeable. Un CAE qui ne satisfait pas la condition de volume exclu a été récemment étudié pour modéliser explicitement la géométrie de surface résultant de l'expansion d'un CAE[4].
Les propriétés des CAE ne pouvant pas être obtenues analytiquement, on utilise des simulations numériques. L'algorithme du pivot, méthode classique concernant les simulations de chaîne de Markov, est utilisé pour la mesure uniforme des CAE de longueur n. Il consiste à prendre un CAE, à choisir au hasard un point sur ce chemin, puis à appliquer une opération de symétrie (rotation ou/et réflexion) sur la partie du chemin située après ce point pour créer un nouveau chemin et à continuer jusqu'à ce que le chemin obtenu soit auto-évitant.
Propriétés combinatoires
Considérant ici des chemins dans des graphes sommets-transitifs, on définit la longueur d'un CAE comme le nombre de sommets rencontrés (départ excepté).
Le calcul du nombre de CAE de longueur dans réseau donné et partant d'un nœud donné est un problème informatique classique, mais on ne connaît actuellement aucune formule exacte l'exprimant [5],[6].
Comme les CAE à nœuds peuvent être décomposés en deux CAE à et nœuds mis bout à bout, on a l'inégalité d'où la sous-additivité de la suite , et en utilisant le lemme sous-additif on est assuré de l'existence du nombre , appelé constante de connectivité du réseau, ainsi que de l'inégalité (théorème de John_Hammersley).
La valeur exacte (cf. suite A179260 de l'OEIS ) n'est connue que pour le réseau hexagonal (résultat dû aux mathématiciens français et russe Hugo Duminil-Copin et Stanislav Smirnov, Médaille Fields 2010)[7]. On conjecture de plus que avec pour tous les réseaux plans réguliers (propriété d'universalité). Le nombre est associé à la probabilité que deux CAE mis bout à bout donne un CAE, probabilité valant .
Pour les réseaux carré et triangulaire, on ne connait que des approximations de la constante μ, et on pense même qu'elle n'est pas algébrique.
Le nombre de polygones auto-évitants ne possède lui-aussi pas de formule simple. Dans le cas du réseau carré, voir la suite A010566 de l'OEIS ( pour n impair dans ce cas).
Les chemins auto-évitants ont également été étudiés dans le contexte de la théorie des réseaux[8]. Il est alors d'usage de traiter le CAE comme un processus dynamique (à chaque étape un marcheur aléatoire saute d'un nœud à un nœud voisin). La marche se termine lorsque le marcheur atteint un cul-de-sac. Il a été récemment constaté que sur les réseaux d'Erdős–Rényi, la distribution des longueurs de tels CAE croissant dynamiquement peut être calculée analytiquement : elle suit la loi de probabilité de Gompertz[9].
Limites
Considérons le système de mesure uniforme des CAE de longueur n dans le plan tout entier. On ne sait pas actuellement si la limite de la mesure uniforme quand n → ∞ induit une mesure sur le plan. Cependant, Harry Kesten a démontré qu'une telle mesure existe pour les CAE dans le demi-plan. Une question importante impliquant les CAE est l'existence et l'invariance conforme de la limite d'échelle, c'est-à-dire la limite quand la longueur du chemin tend vers l'infini et le maillage du réseau tend vers zéro. La limite d'échelle du CAE est conjecturée être décrite par l'évolution de Schramm–Loewner avec le paramètre κ = 8/3.
↑Liśkiewicz M, Ogihara M et Toda S, « The complexity of counting self-avoiding walks in subgraphs of two-dimensional grids and hypercubes », Theoretical Computer Science, vol. 304, nos 1–3, , p. 129–56 (DOI10.1016/S0304-3975(03)00080-X, lire en ligne)
↑Hugo Duminil-Copin et Stanislav Smirnov, « The connective constant of the honeycomb lattice equals sqrt(2+sqrt 2) », Annals of Mathematics, vol. 175, no 3, , p. 1653–1665 (DOI10.4007/annals.2012.175.3.14, arXiv1007.0575)