Carbone organique dissous

Le carbone organique dissous ou COD (en anglais, dissolved organic carbon ou DOC) est un paramètre global de la chimie de l'eau utilisé pour caractériser et suivre l’évolution du taux de carbone dissous dans les eaux (douces, saumâtres ou marines), ou la pollution organique des milieux aquatiques. C'est une fraction parfois importante du carbone organique total (COT). La pollution par certaines matières organiques et le carbone dissous tend à augmenter dans le monde, dont en France, en Bretagne par exemple[1]. Sa teneur dans l'océan a été longtemps sous-estimée[2],[3] et commence à être mieux modélisée dans les années 1990[4]. Avec d'autres éléments tels que les nitrates ou la silice, il peut être utilisé comme indicateur ou traceur de dégradation des écosystèmes, d'un massif forestier (incendié ou ayant subi une coupe rase, ou d'agrosystèmes dégradés par l'érosion dans les bassins versants alimentant un cours d'eau ou une masse d'eau[5]. Son comportement dans les milieux karstiques[6] ou dans les sols hydromorphes[7] est différent. Il contribue au cycle du carbone et à l'alimentation de certains microorganismes situés en aval de la source d'origine de ce carbone[8]. À condition de disposer d'autres éléments et des oligoéléments indispensables le carbone dissous est l'un des nutriments du bactérioplancton[9] qui peut directement se nourrir du carbone organique extracellulaire d'autres organismes phytoplanctoniques (capacité qui varie beaucoup selon les bactéries[9]). Ce paramètre physico-chimique interfère directement et indirectement avec le goût et la sécurité sanitaire de l'eau et c'est l'une des raisons du fait qu'il soit pris en compte par la réglementation de l'eau (par exemple en Ontario, « L’objectif organoleptique pour le carbone organique dissous (COD) est établi à 5 mg/l. Une teneur élevée en COD peut dénoter une détérioration de la qualité de l'eau durant son emmagasinage et sa distribution, car le carbone est un élément nutritif pour les bactéries et champignons aquatiques qui forment des films biologiques encroutants et surtout mucilagineux[10]. Une forte teneur en COD peut aussi dénoter des problèmes liés aux sous-produits de la chloration » (ou d'un traitement UV[11])

La réglementation européenne (directive-cadre européenne sur l'eau 2000/60/DCE), recommande l'utilisation de l'indicateur COD (Carbone Organique Dissous) dans la définition du bon état écologique des eaux (en vigueur depuis 2014). Cette mesure est plus facile à mettre en œuvre que celle du COT, car de nombreux analyseurs physico-chimiques ne peuvent oxyder la totalité du carbone particulaire non dissous[12].

La teneur en COD peut être réduite en amont par une gestion plus écologique des bassins versants, et en station d'épuration, par exemple au moyen de traitements coagulants ou d'une filtration sur membrane spéciale (nanofiltration à haute pression)[13],[14],[15].

Matière organique dissoute

La matière organique dissoute (MOD) résulte de la décomposition des végétaux notamment dans le sol. Elle se caractérise par une grande diversité par rapport aux structures végétales d'origine. Elle joue un rôle crucial pour la séquestration du carbone atmosphérique dans les puits de carbone naturels.

Il semble que la désaromatisation oxydative (ODA) joue un rôle essentiel dans la constitution de la MOD à partir de polyphénols dérivés de la lignine[16].

Éléments de définition

Le COD est une valeur quantitative qui regroupe une multitude de composés organiques et des significations physico-chimiques ou écologiques différentes, ayant pour principale origine la décomposition de débris organiques végétaux et animaux (excréments, excrétats[17] + nécromasse) faisant partie des écosystèmes naturels (ou anthropisés) des masses d'eau ou d'un cours d'eau. Une partie du COD provient de substances organiques émises par les effluents municipaux (principalement les stations d'épuration), agricoles, agro-industrielles et industrielles, ou de l'agriculture dans le bassin versant[18].

Dans la nature, en milieu acide, des taux élevés de COD peuvent donner une coloration ambrée ou même brune à l'eau[19].

Conséquences négatives

Il interfère avec la croissance des végétaux aquatiques[20] et avec la disponibilité de l'oxygène dissous pour les organismes aquatiques animaux et certaines espèces bactériennes et fongiques.

Une élévation anormale du taux de COD influe en effet sur la concentration en oxygène dans l'eau, car les composés organiques tendent à être oxydés par l'oxygène dissous dans l'eau (on parle alors de demande chimique en oxygène, DCO) ou à être dégradés biologiquement par les micro-organismes présents dans l'eau, lesquels vont se multiplier et consommer l'oxygène de l'eau (on parle alors de demande biologique en oxygène, DBO5). Une forte concentration de COD peut réduire la concentration en oxygène dans les milieux aquatiques et affecter la biodiversité de ceux-ci.

Ce phénomène affecte l'efficacité de toutes les étapes du traitement de l'eau dans les stations d’épuration et de potabilisation (il peut dégrader la qualité de l'eau potable en générant des sous-produits de désinfection indésirables, parfois instables et considérés comme polluants émergents. Les COD des eaux arrivant en station d'épuration varient selon la saison et les types d'eaux usées[21].

Il interfère avec la cinétique et la forme et toxicité et écotoxicité de certains polluants dont notamment le mercure/méthylmercure[22],[23].

Solutions technologiques de traitement

Certaines solutions s'inspirent (biomimétisme) des services écosystémiques naturellement rendus par les zones humides, c'est le cas du lagunage naturel, qui nécessite cependant un foncier suffisant.

Des solutions plus technologiques sont par exemple :

  • l'oxydation par des superoxydants (ozone, chlore) ou sous ultraviolets, mais qui est source de sous-produits indésirables pour le goût et/ou toxiques ou écotoxiques ;
  • coagulation ;
  • les réacteurs à base d'échange d'ions, qui génèrent des déchets (saumures) parfois difficiles à gérer ;
  • la filtration sur filtre céramique, relativement coûteuse et technologiquement complexe ;
  • l'électrodialyse (qui permet aussi la désionisation de certains éléments[24]) ;
  • diverses formes d'oxydation avancée (à différentes températures ou pression et en présence ou non de catalyseurs).

Dosage

Il est plus facile que celui du COT, par plusieurs méthodes telle que la norme internationale ISO 7827[25], mais demande néanmoins des précautions particulières[26].

Références

  1. * G. Gruau, F. Birgand, E. Novince, E. Jardé, S. Le Roy, T. Panaget (2006) Pollution des rivières de Bretagne par les matières organiques. État des lieux, Trajectoires d'évolution et causes possibles. Dans Savoirs et pratiques dans les bassins versants, Ph. Mérot, Coordinateur. Publication de l'INRA, coll. « Update Sciences & Technologies », p. 61-66.
  2. Cauwet, G., Sempere, R. et Saliot, A. (1990). Carbone organique dissous dans l'eau de mer: confirmation de la sous-estimation antérieure. Comptes rendus de l'Académie des sciences. Série 2, Mécanique, Physique, Chimie, Sciences de l'univers, Sciences de la Terre, 311(9), 1061-1066.
  3. Avril, B. (1995). Le carbone organique dissous en milieu marin (Doctoral dissertation).
  4. Aumont, O. (1998). Étude du cycle naturel du carbone dans un modèle 3D de l'océan mondial (Doctoral dissertation, Paris 6).
  5. Idir, S., Probst, A., Viville, D. et Probst, J. L. (1999). Contribution des surfaces saturées et des versants aux flux d'eau et d'éléments exportés en période de crue: traçage à l'aide du carbone organique dissous et de la silice. Cas du petit bassin versant du Strengbach (Vosges, France). Comptes Rendus de l'Académie des Sciences-Series IIA-Earth and Planetary Science, 328(2), 89-96.
  6. Emblanch, C. (1997). Les équilibres chimiques et isotopiques du carbone dans les aquifères karstiques. Étude en région méditerranéenne de montagne sur le bassin expérimental de la Fontaine de Vaucluse (Doctoral dissertation).
  7. Jaffrezic, A. (1997). Géochimie des éléments métalliques, des nitrates et du carbone organique dissous dans les eaux et les sols hydromorphes Agriculture intensive et qualité des eaux dans les zones humides en Bretagne (Doctoral dissertation).
  8. Jansson, M., Bergström, A. K., Blomqvist, P., Isaksson, A. et Jonsson, A. (1999). Impact of allochthonous organic carbon on microbial food web carbon dynamics and structure in Lake Örträsket. Archiv für Hydrobiologie, 144(4), 409-428.
  9. a et b Kormas, K.A (2005), growth on extracellular organic carbon from marine microalgal cultures. Cahiers de biologie marine, 46(3), 241-251 (résumé Inist-CNRS).
  10. Wetzel, R. G., Ward, A. K. et Stock, M. (1997), Effects of natural dissolved organic matter on mucilaginous matrices of biofilm communities, Archiv für Hydrobiologie, 139(3), 289-299 (résumé)
  11. Shaw, J. P., Malley, J. P. et Willoughby, S. A. (2000), Effects of UV irradiation on organic matter, Journal-American Water Works Association, 92(4), 157-167.
  12. GEPMO (2007), Évaluation de la qualité « matière organique » des eaux destinées à la consommation humaine. Éléments plaidant en faveur d’une évolution réglementaire ; Note technique 1, décembre 2007, chap. 4, De la difficulté de mesurer le COT : plaidoyer pour l'utilisation du COD comme indicateur, p. 6/10
  13. Document d’aide technique pour les normes, directives et objectifs associés à la qualité de l’eau potable en Ontario, juin 2003, révisé en juin 2006, PIBS 4449f01PDF, 44 p.
  14. Agbekodo, K. (1994), Élimination par nanofiltration des composés organiques d'une eau de surface prétraitée. Caractérisation du carbone organique dissous avant et après nanofiltration (Doctoral dissertation), résumé.
  15. Agbekodo, K. M., Croué, J. P., Dard, S. et Legube, B. (1996), Analyse par HPLC et CG/SM des constituants du carbone organique dissous (COD), du COD biodégradable (CODB) et des composés organohalogénés (TOX) d'un perméat de nanofiltration , Revue des sciences de l'eau/Journal of Water Science, 9(4), 535-555.
  16. (en) Siyu Li, Mourad Harir, David Bastviken et Philippe Schmitt-Kopplin, « Dearomatization drives complexity generation in freshwater organic matter », Nature, vol. 628, no 8009,‎ , p. 776–781 (ISSN 1476-4687, DOI 10.1038/s41586-024-07210-9, lire en ligne, consulté le )
  17. Feuillade, M., Dufour, P., Feuillade, J. et Pelletier, J. P. (1986), Excrétion de carbone organique par le phytoplancton lémanique, Swiss Journal of Hydrology, 48(1), 18-33.
  18. Morel, B. (2009), Transport de Carbone Organique Dissous dans un bassin versant agricole à nappe superficielle (Doctoral dissertation, Agrocampus-École nationale supérieure d'agronomie de Rennes) (résumé).
  19. « Qu'est-ce que la qualité de l'eau ? », sur agirpourladiable.org (consulté le )
  20. Pflugmacher, S., Spangenberg, M. et Steinberg, C. E. W. (1999), Dissolved organic matter (DOM) and effects on the aquatic macrophyte Ceratophyllum demersum in relation to photosynthesis, pigment pattern and activity of detoxication enzymes, Angewandte Botanik, 73(5-6), 184-190.
  21. Tusseau-Vuillemin, M. H. et Le Réveillé, G. (2001), Le carbone organique biodégradable dans les eaux traitées des stations d'épuration du bassin de la Seine, Ingénieries-EAT (25), p-3.
  22. McMurtry, M. J., Wales, D. L., Scheider, W. A., Beggs, G. L. et Dimond, P. E. (1989), Relationship of mercury concentrations in lake trout (Salvelinus namaycush) and smallmouth bass (Micropterus dolomieui) to the physical and chemical characteristics of Ontario lakes, Canadian Journal of Fisheries and Aquatic Sciences, 46(3), 426-434.
  23. Pan, J. F. et Wang, W. X. (2004), Uptake of Hg (II) and methylmercury by the green mussel Perna viridis under different organic carbon conditions, Marine ecology. Progress series, 276, 125-136.
  24. Briere, G., Felici, N. et Filippin JC. (1965), Désionisation du nitrobenzene par électrodialyse, COMPTES RENDUS HEBDOMADAIRES DES SEANCES DE L'ACADEMIE DES SCIENCES, 261(23), 5097.
  25. ISO 7827:2010 Qualité de l'eau — Évaluation de la biodégradabilité aérobie «facile», «ultime» des composés organiques en milieu aqueux — Méthode par analyse du carbone organique dissous (COD)
  26. Petitjean, P., Hénin, O. et Gruau, G. (2004). Dosage du carbone organique dissous dans les eaux douces naturelles: intérêt, principe, mise en œuvre et précautions opératoires. Géosciences-Rennes.

Voir aussi

Articles connexes

Guides

Bibliographie

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Facteurs de Formation. Impacts sur la Santé. Évaluation des Risques dans le cas de la Bretagne. Rapport DRASS et Région Bretagne, 47 p. (lire en ligne, sur le site du GEPMO).

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