Céramique mochicaLa céramique mochica, ou moche, recouvre les créations des populations précolombiennes installées tout au long de la côte nord-péruvienne, dans les oasis côtières et sur les contreforts de la chaîne andine, de 100 av. J.-C. à 700. La culture mochica, contemporaine de la culture nazca sud-péruvienne, est la seule civilisation précolombienne à avoir créé en céramique des scènes complexes avec interaction de personnages multiples, notamment dans sa poterie funéraire, qui était utilisée en grande quantité pour accompagner les défunts dans leur sépulture. Moyen d’expression privilégié d’un peuple qui ne connaissait pas l’écriture, la céramique mochica revêt une importance fondamentale pour la connaissance de la culture moche ou mochica. Elle en constitue une encyclopédie visuelle sans équivalent dans aucune autre culture de l’Amérique ancienne. Son naturalisme, proche des canons esthétiques européens, explique en partie sa notoriété[1]. L’abondance de sujets érotiques a également focalisé l’intérêt du public sur cette culture. Les caractères stylistiques de la céramique mochica diffèrent non seulement en fonction des périodes (Mochica I à V) mais aussi en fonction de leur répartition géographique : l’extension du territoire mochica, étiré le long de la côte du Pacifique et coupé par le désert de Paiján, a donné naissance à des styles céramiques distincts chez les Mochicas du nord et ceux du sud. La découverte de la céramique mochicaL’archéologue péruvien Rafael Larco Hoyle (1901-1966), fondateur du musée Larco Herrera de Lima, mena à bien de nombreux travaux archéologiques et améliora grandement les connaissances sur la civilisation mochica. Il ordonna notamment la période mochica en cinq phases de développement. Le Musée Larco basé à Lima, reste la référence en matière d'information sur la céramique mochica puisqu'il expose plus de 45 000 objets d'art précolombien (dont 38 000 céramiques), essentiellement d’origine mochica. Il constitue une précieuse source d'information pour les touristes et les chercheurs puisque son dépôt est ouvert au public et que toutes ses pièces sont cataloguées et référencées sur internet. Beaucoup de ces pièces sont des huacos (ou guacos), terme désignant des antiquités précolombienne issues de guacas (tombes), et issue du quechua waca ("dieu de la maison")[2]. Procédés de fabricationLes artisans moches produisirent une grande variété de poteries : bols, plats, jarres, tasses ou bouteilles à usage rituel ou domestique. Le matériau utilisé était une argile riche en fer et en alumine. Le site de Cerro Mayal a fourni de nombreux vestiges des ateliers de poterie mochicas, avec leurs techniques de moulage et de cuisson. La fabrication se décomposait en plusieurs phases :
Le moulageEn fonction de leur complexité, les céramiques étaient fabriquées à l’aide de moules composés de deux ou plusieurs parties. Ces moules n’ont été que très rarement retrouvés car ils ne faisaient pas partie du matériel funéraire. Cette technique de moulage peut être rapprochée des techniques d’orfèvrerie largement maîtrisées par les populations précolombiennes. Les moules permettaient de produire certains modèles de poteries complexes en grande quantité, vraisemblablement afin de satisfaire l’importante demande de poteries funéraires. Les moules étaient obtenus en enrobant une matrice sculptée en terre cuite par une couche d’argile. La matrice comportait une ligne de séparation gravée en creux, probablement destinée à recevoir une cordelette fine que tirait le potier pour séparer les deux demi-coquilles du moule avant son séchage complet. Le moulage s’effectuait en versant un mélange d’argile semi-liquide sur les parois intérieures du moule assemblé. La mince couche d’argile séchait rapidement et le retrait naturel de la terre facilitait le démoulage. Le vase était démoulé au bout de quelques minutes, la plasticité de l’argile permettait alors d’assembler les éléments complémentaires à l’aide de barbotine. Les pièces obtenues ne comportaient pas de fond ni d’anse. Les corps moulés étaient complétés par des parties modelées séparément, comme les becs et étriers. Le fond de la poterie était placé à la fin, le potier réservant une ouverture en son centre pour passer le doigt ou un outil et parfaire l’assemblage. L’ouverture de travail était bouchée en dernier. Lorsque le sujet comportait des parties totalement closes, le potier ménageait un petit évent pour éviter l’éclatement à la cuisson[3]. Les potiers mochicas obtenaient grâce à cette technique des pièces de forme aux parois fines et lisses, souvent inférieures à 3 mm, qui étaient ensuite polies méticuleusement[4]. Le décorLa céramique mochica a largement exploité la technique du décor en ronde-bosse. Les formes sont lisses comme dans les céramiques nazcas, un aspect accentué par le polissage soigné des pièces. On ne retrouve pas les décors gravés ou estampés qui caractérisent les céramiques lambayeque ou cupisnique. Les céramiques étaient généralement décorées avant d’être cuites. La céramique mochica se distingue de celle des autres civilisations précolombiennes par l’utilisation de couleurs caractéristiques. La céramique du nord comporte des peintures ou reliefs rouges ou lie-de-vin sur un fond crème ou orangé. La céramique du sud privilégie les motifs ocre sur un fond blanc ou crème. L’utilisation exclusive d’oxydes métalliques ferreux en lieu et place de pigments végétaux explique l’absence des tonalités vertes et bleues. La cuissonLa cuisson des pièces était réalisée dans des fours à bois à feu ouvert, dont divers vestiges archéologiques ont été retrouvés. Ils se composaient d’une fosse de faible profondeur dans laquelle étaient disposées les céramiques à cuire. La fosse et son foyer étaient recouverts de fagots de branchages de caroubier et de huarango puis isolés par une couche de fumier. Alimenté en air par des canalisations en céramique, le four à feu ouvert ne permettait pas d’obtenir une atmosphère réductrice et les poteries obtenues prenaient la coloration de rouille rougeâtre caractéristique de l’oxyde de fer. Les décors d’engobe colorés et l’absence d’émaux laissent supposer des températures de cuisson assez faibles, de l’ordre de 800 à 900 °C. Caractères stylistiquesMalgré le procédé répétitif du moulage, les céramiques mochicas ont une grande variété de formes et de motifs. L’art moche, influencé par le Chavín et le Cupisnique, marque toutefois un progrès considérable par rapport à ceux des cultures antérieures. Les sculptures et les dessins sont fins et réalistes, parfois ornés de nacre, pièces en os, voire d’or. Dans la dernière période de la culture moche, les céramiques prennent un ton plus sombre, jusqu’au noir, annonciateur de l’art Chimú. Les pièces ont généralement une forme ovoïde mais certaines céramiques sont parallélépipédiques ou cylindriques. La majorité des pièces comportent une anse-goulot en forme d’étrier dont l’évolution stylistique a permis la classification en périodes de la céramique mochica. Ces bouteilles à anse-étrier pourraient avoir été associées à des cérémonies rituelles. On les retrouve fréquemment en grande quantité dans les sépultures. On distingue trois typologies de céramiques : les céramiques communes, les céramiques à décor graphique et les céramiques sculptées en ronde-bosse. Céramiques communesCe sont principalement des bouteilles à anse-étrier, des cruches, des plats et des coupes en corolle. Leur décoration géométrique est bicolore, lie-de-vin sur crème. Céramiques à décor graphiqueElles comportent des décors complexes travaillés au pinceau fin, de plumes ou de poils, sur des tracés parfois préalablement gravés au stylet. Les dessins sont en aplats de couleur, toujours bicolores. Les personnages sont représentés de profil avec un enrichissement graphique au pinceau fin. Les motifs représentés incluent des animaux, des plantes et de multiples scènes de la vie quotidienne, religieuse ou même sexuelle. Céramiques sculptées en ronde-bosseCe dernier type représente généralement des objets ou scènes de la vie courante : fruits, légumes ou animaux, scènes d’agriculture, de pêche, de métallurgie ou de tissage, scènes érotiques, scènes de guerres ou encore de sacrifices.
Règles et conventions iconographiquesMalgré une apparente liberté formelle, l’art mochica impose en réalité des canons esthétiques rigides à la représentation du monde. Ce vocabulaire esthétique comporte sa propre syntaxe et s’apparente, pour ces peuples qui n’ont pas laissé de traces d’une écriture, à un véritable langage. On constate une différence de traitement entre les pièces ornées de scènes de la vie quotidienne, inventives et parfois cocasses et le caractère figé des représentations religieuses - telles les images de la divinité Ai apaec - ou rituelles. Parmi celles-ci, les scènes de guerre, de pêche ou de chasse confirment la dimension religieuse de ces événements[1]. Les dimensions relatives
La distorsionDans les représentations humaines, la céramique mochica combine les vues de face, de profil et de dessus selon les parties du corps. Le corps, les yeux, les mains sont figurés de face tandis que les bras, jambes et pieds apparaissent de profil. Les pieds et mains, dont les doigts sont intégralement représentés, font l’objet d’une figuration conventionnelle. Les pouces disposés au-dessus des mains ne permettent pas de différencier les membres gauches ou droits. La perspectiveLa représentation de figures plus réduites sur la partie supérieure des poteries suggère qu’elles sont plus éloignées que le sujet principal. La hiérarchieLes personnages de rang élevé sont représentés assis sur des plates-formes ou des litières, vêtus de costumes et d’ornements. Ils peuvent être accompagnés d’un félin. Les personnages de rang inférieur ne portent pas d’ornements, sont peu vêtus et vaquent à des tâches domestiques. La taille relative des personnages reflète également leur importance hiérarchique. Dans les scènes de bataille, le décor reflète clairement la perte de dignité entraînée par la situation du vaincu. On trouve des prisonniers dévêtus et enchaînés, contrastant avec des vainqueurs qui conservent le privilège de leur litière et de leurs ornements. Le décor graphiqueComme pour les huacos en ronde-bosse, les céramiques à décor graphique exploitent tout l’éventail des représentations en se limitant à deux teintes contrastées. Les décors géométriques, fréquents dans les premières périodes sont manifestement influencés par les décors en négatif des potiers de Viru et Vicús. Les décors naturalistes représentent des scènes de la vie quotidienne, des animaux ou des plantes. Les décors symboliques ou religieux font appel à des représentations de créatures anthropo-zoomorphes. L'association de caractéristiques zoomorphes et anthropomorphes est largement présente dans les décors symboliques ou religieux ornant les céramiques mochica. Ces combinaisons sont employés dans la représentation de divinités renvoyant à la mythologie mochica. Certains attribues comme la bouche de félin peuvent être également lié à la figuration de membre de l'élites ou de haut dignitaires symbolisant le pouvoir de l'individus représenté. Le motif du hibou est quant à lui largement représenté au début de la période, et est associé à la figure du prêtre qui porte ailes et bec dans certaines représentations graphiques ornant les céramiques. Certaines divinités sont représentés de face contrairement à la majorité des personnages qui sont généralement représentés de profil. Évolution et périodes de la céramique mochicaLes spécialistes distinguent généralement cinq périodes caractérisées par la variation de la forme de l’anse-goulot en étrier[5]. Les décors sont variés, entre le modelage, le relief, l’incision, la peinture, ou encore le dessin au trait, dans des tons lie de vin sur crème. Parfois, ces poteries peuvent être noires (Mochica III) ou à engobes gris ou polychromes (Mochica V). Les céramiques évoluent vers plus de réalisme, de vie et une plus grande complexité, et la poterie mochica est la première qui parte à la conquête de l’expression (personnages hilares). Les thèmes sont donc riches et variés : félins, guerriers portant bouclier rond, masse d’arme, tunique en coton et casque, ou encore chamans mastiquant de la coca mêlée à de la chaux. Les deux premières périodes correspondent au Ier siècle av. J.-C. et au Ier siècle apr. J.-C. Il ne s’agit donc pas encore à proprement parler de la culture moche, mais plutôt des cultures Vicús, Salinar et Gallinazo.
Les périodes 3 et 4 s’étendent du IIe au Ve apr. J.-C.
La période 5 s’étend du VIe au VIIIe siècle.
Chronologie de la céramique précolombienne du Nord-PérouBleu, violet : peuples des régions côtières — Marron : peuples des régions andines. GalerieBibliographie
Notes
Articles connexes
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