La Chicheface (chincheface en Anjou, chichefache, ou encore chichevache, ce qui signifie vilaine mine) est un animal fantastique qu'on prétendait toujours prêt à dévorer les femmes lorsqu'elles avaient le tort de ne pas contredire leur mari[2].
Dans le Mystère de Sainte-Geneviève, Chicheface qui mange les femmes, allié au monstre Bigorne[3] qui mange les maris, était un animal fabuleux du genre du loup-garou, animal qui se nourrissait exclusivement des femmes qui étaient bonnes et sages, d'où sa maigreur proverbiale car « il ne devait point faire de fréquents ni de copieux repas » : « L'on m'a nommée Chicheface / Aussi seiche qu'une carcasse ».
Bigorne au contraire, qui avait l'apparence d'un tigre, était repu, gros et gras, car il mangeait les hommes tyrannisés par leur femme (« Bons hommes sont sa nourriture ») : « par le corps bleu, la chicheface n'a garde de vous manger, car je puis sûrement juger, que vous êtes fière et rebelle » (tiré de Le Savetier et le Moine et la Femme[4]).
La Bigorne dans le Poitou-Charentes était un animal fantastique qui attirait et mangeait les petits enfants qui s'approchaient un peu trop des points d'eau comme les mares, les puits etc.
Pour se débarrasser de Chicheface, il fallait faire la fière avec son mari, le prendre à rebours et lui parler orgueilleusement : en effet, elle ne s'en prenait qu'à celles qui parlaient sagement. Ainsi Chicheface finirait par mourir de faim.
On a trouvé deux poèmes, le dit de Bigorne et le dit de Chicheface.
Origine
L'origine de la facétie « Bigorne et Chicheface » se trouverait dans la seconde rédaction de Renard le Contrefait (rédigé entre 1328 and 1342), représentée par Dame Tigre qui ne se nourrit que de bonnes femmes, et volontiers mangerait[5].
On trouve dans Jean d'Outremeuse au XIVe siècleLy myreur des histors, une chronique médiévale, dans la Geste de Liège « Aussi maigre qu'une chicheface », « Car li rois Àlarich, la male chichefache; Et s'astoit aussi maigre qu'une chichefache »[6] et l'exclamation : « par sainte Chichefache ! »
Description
Le Dit de Chicheface la décrit ainsi, les yeux gros comme des corbeilles, et ardents comme des tisons, les dents comme des briques : « Laide estoit de cors et de fache ; L'en l'apeloit la chinchefache. Lez denz a Ions comme broqueriex, Et si vous di qu'ele a les iex Aussi gros comme uns corbisons Et clers ardanz comme uns tisons ».
« Laide estoit de cors et de fâche, L'en l'appeloit la Chincheface ; La beste parest si sauvage Conques nus hom tèle ne vit.
Or vous dirai dont ele vit : Des preudes fames dévorer Qui sagement savent parler. Quant la lame a tant de bonté Que de tout fë la volenté De son seignor sanz contredit Cèle ne puet avoir respict Que tantost ne soit devorée. N'en i a nule demorée En Toscane n'en Lombardie Meismement en Normandie Ne cuit-je pas qu'il en ait douze. »
Le poète s'adressait ensuite aux dames, pour leur offrir un moyen de déjouer la malice cruelle de la bête :
« Pour Dieu, Dames, dit-il, si la beste vient en ce pays, entourez-vous d'orgueil et de dédains ; si votre mari vous parle, répondez-lui tout à rebours ; s'il veut pois, qu'il ait gruau ; gardez-vous bien de rien faire qui lui soit agréable ; alors il faudra bien que la Chicheface meure de faim. »[7]
La Chicheface avait fait partie sinon du monde réel de l'art : sculptures, peintures, gravures théâtre, poésies font allusion à Bigorne et Chicheface. Une peinture de Chicheface est citée par Durand chez un orfèvre d'Amiens mort en 1517 : il en existe des gravures avec l'adresse de Simon Graffart au XVIe siècle[8],[9]
Contrairement à Chicheface qui est efflanquée, Bigorne est bien pansue. A Villeneuve-Lembron, elle est représentée avec une tête et des pattes de félin, des écailles sur le dos et une longue queue.
En Angleterre, une gravure sur bois, d'un travail grossier et exécutée sous le règne d'Élisabeth, où se montrent encore les deux bêtes fantastiques, également reconnaissables, l'une à son état de dépérissement piteux, l'autre à son obésité envahissante ; Chicheface s'appelle Pinch-Belly, c'est-à-dire Ventre-Creux, et Bigorne, Fill-Gult (Boyaux Pleins}[10]. Cette légende existerait aussi en Hollande et en Allemagne.
Le souvenir en existe toujours en France dans la littérature populaire, et les paysans du nord achetaient pour un sou pièce deux placards coloriés de Bigorne et de Chicheface, avec des légendes en vers.
Toponymes
Enseignes, maisons et rues : À Paris au Clos Bruneau, on trouvait une maison « la Chicheface », l'enseigne de l'Occasion rue des Amandiers, où demeurait l'imprimeur Jean Bailleur, et dont Pierre Louvel est propriétaire en 1449 et Firmin Leclercq en 1612 : entre l'enseigne Saint-Nicolas et le jardin de Chicheface aboutissant par derrière au jardin de l'hôtel d'Albret ou rue des Sept-Voyes, une maison rue de la Calandre, à l'enseigne de la Chicheface[11] ; et aussi à Châlons-sur-Marne en 1543 ; à Chartres une Maison des Chichefaces ; à Évreux une rue de la Chicheface ; à Amiens, la Maison de le Chichefache, « séant en ladicte ville d'Amiens, en la rue des Fèvres, tenant d'un costé et par derrière à la maison du Dieu d'Amours » ; en Seine-Maritime, une ruelle et un Hôtel de la Chichefache.
Arts
Matheolus l'emploie en manière de comparaison : « Je suis comme une Chicheface ».
Villon se qualifie dans un poème de "plus maigre que chimère" mais ferait en réalité allusion à la chicheface, les chimères étant plus hybrides que maigres.
Guillaume Coquillart dans ses poèmes emploie peut-être le double sens de « maigre » et de « dévoreuse » :
« Et de prime face nous dit Laurence la Chicheface Demourant à la Pourcellette, »
— Guillaume Coquillart, Le plaidoyé de Coquillart d'entre la Simple et la Rusée
Chaucer y fait allusion dans Les contes de Canterbury, et John Lydgate dans le poème « Of Bycorne and Chichevache » :
« O noble wyves, full of heigh prudence, Lat noon [no] humylitee youre tonge naille: Ne [nor] lat no clerk have cause or diligence To write of yow a storie of swich [such] mervaille, As of Grisildis [Griselda], pacient and kynde, Lest Chichivache yow swelwe [swallow] in hire entraille. »
Gratien Dupont la met dans son énumération des livres hostiles aux femmes :
« Semblablement les dictz de Chicheface Qui maint vouloir d'aimer femmes efface. »
Achille Jubinal, dans les « Mystères inédits »[13], a publié le poème satirique de Chincheface, composé seulement de 168 vers et transcrit au XIVe siècle dans le manuscrit du roi[14]. C'était la meilleure explication qu'il pût donner d'un passage du mystère de Sainte Geneviève (ibidem, p. 48) où un bourgeois répond à la jeune sainte, qui lui prêche le pardon :
« Gardez-vous de la Chicheface : El Tous mordra, s'el vous rencontre ; Par tous les sains de cy encontre Vous n'amendez point sa besongne »
[15]Le roman "CREATURARUM", roman publié en autoédition, se sert de la Chicheface comme principale antagoniste du récit tout en rendant hommage à la fable d'origine.
Moy qu'on appelle Chicheface, Très maigre de coleur et face Je suis, et bien en est raison ; Car ne mange en nulle saison Que femmes qui font le sommant De leurs maris entiérement. Des ans y a plus de deux cens Que ceste tiens entre mes dens, Et sy je ne l'oze avaler, De peur de trop long-temps jeuner ; Car dix mille ans ay esté en voye Sans avoir jamais trouvé proye
Deux autres ballades, La Loyauté des femmes et La Loyauté des hommes, sont suivies de deux pièces, Bigorne qui mange tous les hommes qui font le commandement de leurs femmes et Chicheface qui mange toutes les femmes...
Étymologie possible
La Chicheface, littéralement est une personne au visage décharné (Rabelais)
Chickou en patois veut dire le petit d'une chienne ; il est possible que cette figure, d'un dessin extrêmement grossier, fut prise, surtout par le peuple, pour celle d'une chienne allaitant ses petits.
Parler bigorne signifiait parler argot. C'était aussi une enclume à deux faces.
↑Olivier Beigbeder.Fresques et peintures murales en Auvergne et Velay.G. de Bussac, 1970.p.163.
↑Godefroy, Dictionnaire de l'ancienne langue française
↑Une pièce satirique, réimprimée en 1839, d'après un original gothique, s'intitule : Bigorne, qui mange tous les hommes qui font le commandement de leurs femmes.
↑La Normandie romanesque et merveilleuse : Traditions, légendes, par Amélie Bosquet.
↑Dans la Description des monuments des différents âges observés dans le département de la Haute-Vienne, M. Allou, membre de la Société royale des Antiquaires de France, fait une mention de la Chicheface ou Chiche : « Un monument non moins curieux que les précédents [l'auteur vient de parler de lions sculptés], se voyait autrefois dans une niche pratiquée sur le mur méridional de l'église de Saint-Martial ; il était désigné par le peuple sous le nom de Chiche, dont on n'a pas encore donné d'étymologie raisonnable. C'était un bas-relief assez saillant, d'environ 3 p. de large, sur un peu plus de hauteur, d'un granit semblable à celui du lion, et d'un dessin extrêmement grossier. Tout, dans ce monument, d'ailleurs très fruste, semblait annoncer une haute antiquité. Ce bas-relief, respecté jusqu'à l'époque de la Révolution, fut déplacé lorsqu'on commença à démolir l'église de St-Martial (1794) à M. Juge St Martin en fit l'acquisition, et le mit dans sa pépinière. Il fut cédé, en 1804, à un particulier, qui l'envoya à M. Choiseul-Gouffier. Du cabinet de ce savant, il passa au Musée des Antiquités nationales. On ignore ce que sera devenue la chiche, après la dispersion des objets qui composaient ce bel établissement, mais on doit regretter qu'elle n'ait pas été conservée par la ville de Limoges, pour qui seule elle avait encore, outre son mérite particulier, celui d'un monument national. Autant qu'on peut en juger par les dessins que nous avons sous les yeux, et qui ne sont même pas tout à fait identiques, ce bas-relief, dont l'explication a donné lieu à une foule d'hypothèses plus ou moins bizarres, représentait, sous un fronton assez aigu et orné de quelques moulures, une lionne couchée, et tenant entre ses pattes plusieurs lionceaux, dont l'un paraît, dans quelques dessins, se disposer à la frapper. Au-dessus de la lionne, une figure d'homme, parfaitement de face, et d'un style lourd et incorrect, semble s'appuyer sur le dos de l'animal, et le presser encore du poids de deux grosses boules qui terminent ses bras (les mains ne sont pas indiquées dans ces dessins). Au bas de ce monument, on lisait autrefois l'inscription ci-après, sur une plaque de cuivre, enlevée, à ce qu'il paraît, vers la fin du XVIe siècle :
Aima leaena duces saevos parit, atque coronat ;
Opprimit hanc natus Walfer, malesanus, alumnam,Sed pressus gravitate, luit sub pondere pœnas. »
Il faut remarquer que, d'après Beaumesnil, une pierre, placée au-dessous de la Chiche, et qui faisait partie du mur de l'église, offrait deux boules en relief, tout à fait semblables à celles qui terminaient les bras de la figure principale. La plupart des érudits qui ont parlé de ce monument curieux s'accordent à en reporter l'origine au temps de Louis le Débonnaire, qui, après avoir édifié, sous le nom de Saint-Sauveur, la basilique dédiée depuis à St. Martial, voulut consacrer le souvenir des victoires de son aïeul Pépin sur le duc Waïfer. Mais ici les opinions commencent à diverger d'une manière sensible ; quelques écrivains ont prétendu qu'au-dessous de la chiche devait se trouver la sépulture de Waïfer, et que ce prince lui-même était représenté par la figure qui surmonte la lionne, emblème ordinaire de l'Aquitaine...
↑Cette gravure sur bois doit être celle indiquée par M. Wright, dans son annotation de Chaucer, comme faisant partie d'une précieuse collection de canards conservée dans la bibliothèque de la Société des Antiquaires de Londres.
↑Les Enseignes de Paris, Revue archéologique, Paris, Lclcux, in-8, XIIe année, 1855, p. 9.
↑Œuvres de Coquillart, Volume 2 Par Charles d'Héricault
Godefroy, Dictionnaire de l'ancienne langue française
«Bigorne e Chicheface, ricerche d'iconografia popolare»: Mélanges offerts à M. Émile Picot, Volume 2 Par Emile Picot, 1969.[2]
L'origine de la facétie Bigorne el Chicheface par Justin Fanii, rev. Aesculape, 1951.
Le dit de Chicheface, à l'origine d'une tradition folklorique", dans "Imprimer au cœur d'homme fermeté d'espérance". Moyen Âge et Renaissance, Hommage au professeur François Rouy, Publications de la Faculté des Lettres de Nice, 1995
[lire en ligne]Chicheface qui mange toutes les bonnes femmes dans Recueil de poésies françaises des XVe et XVIe sièclesAnatole de Montaiglon
[lire en ligne]Solidarités et sociabilités en Espagn, Rafael Carrasco : La Bigorne en Espagne .Bibliographie.
CREATURARUM, tome 1 La geste de Renaud, roman de Charles Moullin publié sur Amazon KDP.