Bencao jing jizhu
Commentaires du classique de la matière médicale Bencao jing jizhu
Le Bencao jing jizhu 本草經 集注 / 本草经 集注, , (EFEO Pen ts’ao tsing tsi tcheou), « Commentaires du classique de la matière médicale », (forme courte Bencao jizhu 本草集注), est un ouvrage de matière médicale[n 1] édité vers 500 de l’ère commune, par le lettré taoïste Tao Hongjing 陶弘景 (456 – vers 536), l’ermite du mont Mao (maoshan 茅山), connu pour sa contribution au taoïsme de l’école Shangqing, de la dynastie Liang 梁. Le Bencao jizhu reprend les notices sur les matières médicales de l’ancien ouvrage de base de matière médicale le Shennong bencao jing 神农本草经 (anonyme), que Tao Hongjing complète par des informations venant de médecins célèbres, et par ses propres observations. Il rajoute aussi de nouvelles notices sur des substances médicinales qui n’apparaissent pas dans la bencao d’origine. Ce travail va servir de modèle pour les siècles suivants, à tous ceux qui entreprendront une mise à jour des anciennes bencao, par la méthode de compilation systématique des travaux précédents. Le Bencao jizhu décrit 750 substances médicinales, classées en 6 grandes classes naturelles (1. minéraux, 2. végétaux, 3. vers et poissons, 4. oiseaux et quadrupèdes, 5. fruits et légumes, 6. grains et nourritures, et un groupe résiduel des drogues obsolètes), présentées en 7 chapitres. Cette classification dite « naturelle » sera continuellement améliorée jusqu’au Bencao gangmu de Li Shizhen (1593). Tao Hongjing présente aussi les principes d’associations des drogues simples entre elles, pour les faire collaborer efficacement à l’effet thérapeutique recherché, en s’inspirant du modèle de gouvernance impérial basé sur la hiérarchie souverain-ministre-assistant-messager (Jūn chén zuǒ shǐ 君臣佐使). Cependant la première révision du Bencao jizhu effectuée par Su Jing 蘇敬 en 659 eut un effet collatéral malencontreux (du moins pour les historiens des sciences). La circulation du Xinxiu bencao 新修本草 la « Nouvelle révision de la matière médicale » de Su Jing, rendit caduque le Bencao jing jizhu. Si bien que cet ouvrage de matière médicale disparut peu à peu et qu’il est maintenant considéré comme perdu depuis longtemps, sauf la préface (xùlù 敘錄). Mais grâce à la découverte de fragments du texte de Tao Hongjing dans les grottes de Dunhuang et des nombreuses citations effectuées dans les bencao suivantes, il est possible de se faire une idée assez précise de l’œuvre. Structure du texteTao Hongjing a écrit sa matière médicale en deux étapes. Il compose d’abord un Shennong bencao jing 神农本草经, en 3 chapitres et 750 notices de description des drogues[n 2] puis peu après, il réorganise le plan de sa matière médicale et publie le Bencao jing jizhu 本草經 集注 en 7 chapitres. Le contenu des deux ouvrages est identique, comme l’indique une note à la fin de la préface du dernier ouvrage[1]. Le premier chapitre du Bencao jing jizhu de Tao Hongjing s’inquiète de l’ignorance générale des acteurs du traitement et de l’usage de la matière médicale, en raison d'un manque de circulation de l'information.
Il donne des indications générales sur la période de récolte des racines, des fleurs ou des feuilles.
Il précise les anciennes et nouvelles unités de mesure. Après la collecte des plantes médicinales, vient leur préparation, séchage, découpe, pulvérisation, pilonnage etc. Les méthodes de fabrication des pilules, des poudres, décoctions etc. sont aussi passées en revue. Le chapitre premier se poursuit avec l’énumération des 41 types d’empoisonnement, les 12 prohibitions de certains aliments avec certaines drogues, les 4 prohibitions générales concernant la prise de certaines drogues, la liste des drogues qui ne doivent pas être consommées en décoction ou avec du vin médicinal et la liste des incompatibilités de drogues. Puis du chapitre 2 au chapitre 7, sont présentées les notices (monographies) sur les drogues qui sont regroupées en 7 classes naturelles 1. Pierres précieuses / minéraux yushi 玉石 2. Herbes / arbres caomu 草木 3. Vers / poissons chongyu 蟲魚 4. Oiseaux / quadrupèdes qinshou 禽獸 5. Fruits / légumes guocai 果菜 6. Grains / nourriture mishi 米食 7. Drogues connues de nom mais qui ne sont plus en usage youming weiyong 有名未用 Tao Hongjing ajoute des commentaires aux anciennes notices sur les drogues, concernant le lieu d’origine, l’apparence, la préparation ainsi que du stockage de la matière médicale. Toutefois, l’information n’est pas fournie systématiquement à chaque notice. Les trois sources du texte du Bencao jizhu sont donc
D’après les documents trouvés à Dunhuang sur le Bencao jizhu, les parties du texte venant du Shennong benjing (anonyme) sont écrites à l’encre rouge, celles venant du Mingyi fupin des médecins célèbres, sont écrites à l’encre noire et les propres commentaires de Tao Hongjing sont donnés en écriture plus petite[2]. Histoire du texteDu texte originel perdu depuis longtemps, des fragments ont été découverts dans les grottes de Mogao de Dunhuang 敦煌 ainsi que dans les pharmacopées suivantes[3]
Les fragments trouvés à Dunhuang, contiennent la totalité du premier chapitre du Bencao jing jizhu, exception faite des deux premières lignes de la préface. Ce qui permet de comparer le texte originel de Tao Hongjing et les textes qui lui sont attribués et qui ont été transmis par citation dans les bencao plus tardives. Et on constate des différences insignifiantes. La préface du Bencao jizhu 本草集注[4] donne des informations sur le contexte historique de production des premières bencao. Il décrit notamment comment des incendies sous les dynasties des Han postérieurs 后汉 (25-220) et la dynastie Jin (265-420) 晉 firent disparaitre un millier d’ouvrages. De l’ouvrage fondamental à l’origine de la longue tradition des pharmacopées, le Shennong bencao jing anonyme (abréviation Benjing), il ne reste que quatre chapitres. Par l’ordonnancement des lieux d’origine des drogues, Tao Hongjing suppose que le texte aurait été écrit sous les Han postérieurs. Il semblerait qu’il y eut plusieurs éditions comportant 595 ou 431 ou 319 drogues. Après avoir adressé une critique sévère de toutes les insuffisances et incohérences du texte, il indique avoir repris les 365 drogues du Benjing auxquelles il rajoute 365 drogues supplémentaires venant de médecins célèbres, en remédiant aux insuffisances et incohérences dénoncées. De cette préface, nous extrayons les informations historiques suivantes:
Caractéristiques des droguesLa préface se poursuit ainsi[4] :
Dans sa version première le Shennong bencao jing 神农本草经, en 3 chapitres et 750 notices (de ce qui deviendra le Bencao jing jizhu en 7 chapitres), Tao Hongjing donne la table des matières suivantes:
Les trois grades de droguesDans la préface, Tao Hongjing expose la division tripartite des drogues en supérieure 上, moyenne 中 et inférieure 下, venant du Shennong ben jing anonyme mais en mettant en relation cette division tripartite des drogues avec la division ciel-homme-terre et avec les trois cycles agricoles:
On notera que les drogues ayant une efficacité thérapeutique doivent obligatoirement être employées en association avec d'autres drogues. Cette pratique s'est poursuivie jusqu'à l'époque moderne. L’association des drogues entre ellesLa préface se poursuit en présentant une caractéristique essentielle de la thérapie chinoise par les médicaments: les traitements associant plusieurs substances[4]
La complexité de la formulation des remèdes en pharmaceutique chinoise souligne l'importance de comprendre les interactions entre les différents ingrédients. Les principes de la philosophie des relations dynamiques entre les principes yin et yang ainsi que les interactions entre substances comparées aux relations humaines guidées par les sentiments (amitié, opposition, crainte, hostilité, haine etc.) aident à faire les associations appropriées. Jusqu'à l'époque moderne, les formules associant plusieurs substances médicinales plutôt que l’emploi d’une substance seule, ont fourni les médicaments les plus couramment utilisés en médecine chinoise[5]. Les substances souveraines 君 et ministérielles 臣 traitent les principaux symptômes et jouent un rôle majeur dans la formule, les secondes aidant les premières. Les substances auxiliaires aident les substances principales des deux premiers rangs, à traiter les symptômes qui les accompagnent ou à entraver leur toxicité. Les substances des messageries 使 ont pour fonction d'amener tous les composants médicinaux directement dans la région pathologique ou de moduler positivement les effets médicinaux[n 7]. Le Huangdi neijing suwen avait déjà dans le chapitre 74 (至真要大) abordé quelques exercices formels symboliques avec la hiérarchie souverain-ministre-assistant-messager 君臣佐使. Par exemple, « Le Grand Essentiel indique. Un souverain, deux ministres. C’est une composition impaire »[n 8]. Il poursuit, deux souverains, quatre ministres, c’est une composition paire, etc. Ceux qui sont près, traite-les avec une composition impaire ; ceux qui sont loin, traite-les avec une composition paire. Il poursuit ainsi ses exercices de numérologie. Mais pour avoir un exemple pratique concret, il faut aller dans le Shanghan Lun 伤寒论 (vers 196), où est analysé la formule mahuangtang 麻黄汤 pour traiter les symptômes d'un rhume externe causé par le vent et le froid[6]. Elle comporte 1) du mahuang 麻黄 Ephedra, comme substance souveraine qui agit pour disperser le froid et promouvoir la transpiration, 2) du guizhi 桂枝 de la cannelle, Cinnamomum cassia qui en tant que ministre aide à promouvoir la transpiration, en harmonisant le Ying et le Wei Qi, 3) du xingren 杏仁 Amande Prunus armeniaca comme assistant qui collabore avec le souverain et le ministre pour aider à diffuser le Qi des poumons et calmer l'asthme, 4) du gancao 甘草 Réglisse de l'Oural, Glycyrrhiza uralensis, qui comme messager harmonise les autres composants et aide à modérer l'effet de la formule pour éviter une transpiration excessive. Comme dans l’ouvrage de référence, le Shennong bencao jing (anonyme), Tao Hongjing attribut à chaque substance médicinale une saveur (wei 味), une thermo-influence[n 9] (qi 气) et une efficacité médicinale (youdu 有毒 toxique (ie. efficace), wudu 无毒 non toxique). Cinq saveurs sont distinguées: acide (suan 酸), salé (xian 鹹/咸), doux (gan 甘), amer (ku 苦), piquant (xin 辛), ainsi que quatre qi [thermo-influences]: froid (han 寒), chaud (re 热), tiède (wen 温), frais (liang 凉). Pour Tao Hongjing, ces informations peuvent être tirées d’essais observationnels mais avec plus de difficultés pour le qi thermique.
Les maladiesTao Hongjing examine les causes des maladies en ces termes :
Tao Hongjing discute aussi des substances toxiques. Il indique qu’il faut utiliser une dose aussi petite qu’un grain de millet ou de sorgho. Si la maladie persiste, on augmente la dose jusqu’il y ait un effet. Si on combine plusieurs remèdes toxiques, il faut bien sûr diminuer en proportion les doses etc. Il distingue 8 qi pathogènes : 4 venant de l’environnement météorologique (le vent, le froid, la chaleur, l’humidité) et 4 venant de l’état physiologique de l’homme (la faim, la satiété, l’effort, le repos). Ces notions se trouvent dans les écrits médicaux antérieurs. Par exemple, l’ouvrage fondateur de la médecine chinoise, le Huangdi neijing Suwen (premier siècle avant notre ère), dans le cadre de la présentation du système des correspondances Wuxing 五行, discute en de multiples endroits des qi excessifs et pathogènes comme dans le chapitre 5 阴阳应象大论 ou le chapitre 66 天元纪大论 qui considère que les Cinq phases génèrent le froid, la chaleur, la sécheresse, l’humidité et le vent[n 10]. Les innovations pharmaceutiques de Tao HongjingL’intérêt de Tao Hongjing, l’ermite taoïste du mont Mao (maoshan 茅山) pour la préparation d’élixir de longue vie et la transmutation des métaux et minéraux transparait dans le traitement de certain article du Bencao jizhu. Il indique que « Le vif-argent est capable de transformer l’or et l’argent en pâte »[1]. Selon Unschuld, il est probable que cette pâte servait à fabriquer des amalgames dentaires, 150 ans avant que le Xinxiu bencao ne le décrive explicitement. Tao décrit aussi la production du minium (Pb3O4). « Le minium est produit en traitant le plomb à la chaleur ». Il a aussi indiqué de nombreux remèdes qui sont encore utilisés en Chine de nos jours. Il fut le premier à recommander la noix d’arec (bīnláng 槟榔), produit par aréquier (Areca catechu) comme remède contre le ténia. Mais l'empreinte taoïste de Tao Hongjing se retrouve aussi dans le nombreuses recommandations de thérapie démonologique. Un des apports les plus intéressant de Tao Hongjing à la confection de manuel de matière médicale est la méthode de classement des notices. La méthode utilisée par le Benjing de classification des drogues en grade supérieur, moyen et inférieur, consistait à répartir les 365 drogues dans des groupes supérieur, moyen et inférieur, respectivement de 120, 120 et 125 drogues. Ces classes quoique longues à parcourir n’interdisait pas de le faire moyennant un peu de patience. Car le gros problème de l’écriture chinoise est qu’elle ne permet pas de classification alphabétique qui rend possible d’accéder facilement à partir du nom de l’item à sa position dans un classement[n 11]. Mais avec 750 drogues la méthode devenait très problématique. C’est pourquoi Tao Hongjing choisit de répartir les substances médicinales dans 7 classes en fonction de leur origine naturelle (minéraux, herbes, poissons, animaux, fruits, grains, et drogues obsolètes) chacune sous-divisée en supérieure, moyenne et inférieure. Cette classification dite « naturelle » sera continuellement améliorée jusqu’au Bencao gangmu de Li Shizhen (1593) qui est un système de classification hiérarchique constitué de 16 sections (bu 部), 60 catégories (lei 类). Durant cette période, la classification en trois grades perdit peu à peu de son intérêt et finit par être abandonnée. L’utilisation d’encre de couleurs différentes pour distinguer les sources montra tout son intérêt pour la critique textuelle. Cette méthode fut adoptée par toutes le bencao suivantes. Après l’introduction des techniques d’impression[n 12], la différenciation des deux sources, se fit par des caractères blancs sur fond noir et vice versa[1]. Notes et référencesNotes
Références
Liens internesLiens externes |