Art opératifL'art opératif (ou stratégie opérationnelle[1], opératique[1] ou encore autrefois grande tactique[1]) est une discipline militaire complexe, relative à la théorie, la mise en place et la conduite d'opérations. Il en existe (au moins ?) deux définitions différentes et distinctes, ayant toutefois pour point commun de le lier à la tactique et à la stratégie, qui sont fréquemment confondues ou mal comprises[2]. La plus connue, celle sous laquelle on l'entend le plus souvent et celle qu'on peut qualifier d'« occidentale », est la préparation et la conduite des actions menées par les grandes formations (corps d'armée, armée ou groupe d'armées) d'une force armée à un niveau intermédiaire de la guerre entre tactique et stratégie, celui du théâtre d'opérations[3]. La seconde a été formulée par le général et théoricien militaire soviétique Alexandre Svetchine, reconnu généralement comme le premier à avoir fait mention d'art opératif, dans son traité Stratégie (« Стратегия ») en 1927. Il le définit comme « une discipline militaire à laquelle est confiée la tâche centrale d'organiser l'activité militaire en « opérations », sur la base de buts fixés, eux, par la stratégie »[2],[4]. Conception soviétiqueAvant sa théorisationAvant même que l'expression ne soit formulée par Svetchine, d'autres théoriciens militaires avaient touché du bout des doigts ce concept, sans aller jusqu'à le théoriser. Ce sont par exemple, le Prussien Carl von Clausewitz, qui parle dans De la guerre d'« employer les combats favorablement à la guerre »[5], ou plus tard l'Allemand Motlke l'Ancien qui ne comprenait pas pourquoi, malgré la victoire décisive de Sedan en 1870, les Français ne capitulaient pas et continuaient même à mobiliser de nouvelles armées. C'est également le cas du maréchal Foch dans son livre Des Principes de la Guerre[6]. L'art opératif fut autrefois désigné sous le nom de grande tactique, par Jomini par exemple. Il est également important de préciser que sa théorisation ne conditionne pas son existence : l'art opératif a toujours existé, sans que l'on ne sache le nommer, et certains ont su très bien le maîtriser ; c'est le cas par exemple de Napoléon Bonaparte. L'apport d'Alexandre SvetchineAlexandre Svetchine est le fils d'un général russe, qui devient officier d'artillerie puis d'état-major dans l'armée du tsar Nicolas II. Il se nourrit à cette époque d'influences occidentales, dont celle d'Antoine de Jomini et surtout de Carl von Clausewitz. Il participe à la guerre russo-japonaise de 1905 et à la Première Guerre mondiale. En 1918, il se rallie au pouvoir bolchévique et devient chef de l'état-major de campagne de l'Armée rouge. Quelques mois plus tard, il est nommé enseignant en stratégie et histoire militaire à l'Académie militaire de l'Armée rouge. C'est là qu'il publie en 1927 aux éditions du Moniteur de la Guerre son ouvrage Strategiia (Stratégie)[2]. C'est la troisième partie du livre, « Combiner les opérations pour atteindre le but final de la guerre », qu'il traite de l'art opératif[4]. L'art opératifContrairement à l'autre conception, l'art opératif n'est ici pas un « niveau intermédiaire » entre tactique et stratégie. Il s'intéresse au combat tout comme à la conduite de la guerre. Svetchine part du fait que la tactique n'est pas naturellement subordonnée à la stratégie : le combat a sa logique propre, celle d'un problème que la tactique doit résoudre, tandis que c'est la politique qui impose les buts de guerre que la stratégie doit atteindre. La stratégie peut donc se retrouver à subir le combat au lieu de l'exploiter[6]. Par exemple quand lors de la guerre de Cent Ans les victoires militaires ne permettent pas d'amener une solution politique durable, ou de même lors de la guerre de Trente Ans ou la Première Guerre mondiale. L'objet de l'art opératif est précisément de fournir le moyen d’employer les combats favorablement à la guerre. Pour ce faire, il a besoin d’orienter dans un certain sens lesdits combats, afin d’être certain que ceux-ci participent bien du but recherché et ne constituent pas une dispersion des efforts[2]. Cela se fait au travers d'opérations, d'où la définition de Svetchine de l'art opératif comme « une discipline militaire à laquelle est confiée la tâche centrale d'organiser l'activité militaire en « opérations », sur la base de buts fixés, eux, par la stratégie ». L'art opératif a donc une différence de nature et pas d'échelle avec la tactique et la stratégie. L’art opératif est ce qui relie les deux, un guide qui maintient toutes les actions sur la même direction ou route, ce que Svetchine baptise « ligne stratégique ». Benoist Bihan le compare au harnachement de cheval – la tactique – qui servent à son cavalier – la stratégie – à le diriger, lui faire faire ce qu'il veut sans tomber ni faire de détours. Michel Goya parle plus simplement « d’un lien qui permet d’« employer les combats favorablement à la guerre » selon l’expression de Clausewitz »[7]. Qu'on ne s'y méprenne pas toutefois : l'art opératif n'est pas une solution à la friction et au hasard de guerre de Clausewitz. L'opérationSvetchine la définit comme :
Benoist Bihan résume qu'elle est « le cheminement par lequel la stratégie atteint les buts qu'elle s'est fixé ». Il faut faire attention à ne pas la confondre avec certaines situations où l'on utilise le mot opération dans d'autres sens. Michel Goya précise ainsi :
Doctrines soviétiquesÀ partir de cette conception, les auteurs soviétiques développèrent plusieurs doctrines, notamment celle des opérations successives (dans les années 1920), celle des opérations en profondeur (dans les années 1930), de l'offensive d'artillerie (1943) et de l'offensive aérienne (1943)[8], qui furent un socle essentiel permettant la victoire soviétique sur l'Armée allemande pendant la Seconde Guerre mondiale. Le concept a été largement adopté depuis par d'autres forces armées, notamment par l'Armée américaine. Méprises sur l'art opératifL'art opératif a plusieurs fois été interprété comme un « art de la guerre soviétique », ce qu'il n'est pas. Comme la stratégie et la tactique, il appartient à la théorie générale de la guerre. De plus, d'après Benoist Bihan, l'art opératif tel que le conçoivent les Occidentaux découle d'une mauvaise compréhension et interprétation de Svetchine[2]. Conception occidentaleC'est la préparation et de la conduite des actions menées par les grandes formations (corps d'armée, armée et groupe d'armées) d'une armée à un niveau intermédiaire de la guerre entre tactique et stratégie, celui du théâtre d'opérations[3]. ExemplesReddition d'Ulm en 1805La reddition du Feldmarschall-Leutnant Karl Mack à Ulm (le ) est une illustration de l'art opératif car il s'agit d'une « victoire sans bataille ». Ce résultat a été obtenu en amont de l'échelon tactique, qui est celui du combat. Dans ce cas exemplaire, l'art opératif se divise en quatre domaines-clés – mobilité, logistique, information et moral – qui ont des conséquences indirectes sur la force de frappe autrichienne. Ces quatre « domaines de supériorité » s'influencent mutuellement. La supériorité de mouvement : la vélocité – exceptionnelle pour l'époque – de la Grande Armée lui permet de rapidement déborder et encercler l'armée autrichienne de Mack. Accessoirement, la vélocité permet aussi de créer un surnombre offensif en un point précis du théâtre d'opérations. On va voir que cette vélocité a aussi des conséquences logiques dans tous les autres domaines. La supériorité logistique : par sa mobilité, Napoléon intercepte les lignes logistiques adverses pour « couper les vivres » à Mack. Certes, les Autrichiens peuvent toujours se battre (et ils le feront) en comptant sur leurs propres réserves mais, à plus long terme, ils sont matériellement condamnés. La supériorité intellectuelle : déjà très pointilleux sur la confidentialité de ses opérations, Napoléon prive Mack d'informations fiables sur les Français car ces renseignements deviennent rapidement caducs : les corps d'armée français changent en effet de positions beaucoup trop rapidement. Tout cela entretient dans l'esprit de l'état-major autrichien un « brouillard de la guerre » qui est, par ailleurs, accentué par la campagne d'intoxication d'un agent infiltré, Schulmeister. En outre, le fait d'avoir un nombre croissant de routes coupées par son adversaire laisse à l'Autrichien moins d'options intellectuelles – ou de liberté de mouvement – que n'en dispose Napoléon. La supériorité morale : elle est la conséquence de tous les éléments précités. Savoir que l'on s'est fait couper les vivres a un effet démoralisant. Savoir que l'adversaire en sait plus sur vous que vous n'en savez sur lui a également un effet moralement déplorable. Enfin, savoir qu'il est impossible d'échapper à l'adversaire sans avoir à combattre en « forçant le passage » (réduction de la liberté de mouvement), a le même effet moral. Tout cela, in fine, réduit la pugnacité et la volonté de se battre. En résumé, Napoléon utilise sa vélocité pour obtenir sur son adversaire la supériorité logistique et l'ascendant intellectuel afin de le placer en état d'infériorité morale, et ainsi annihiler sans combat sa force de frappe. Le stratégiste américain Herbert Rosinski fait cependant remarquer qu'une telle « victoire sans bataille », comme celle de Napoléon à Ulm ou de Jules César dans la campagne de Lérida, est très exceptionnelle dans les conditions anciennes de la guerre : le plus souvent, même un mouvement opérationnel audacieux comme celui de Marlborough en 1704, déplaçant son théâtre d'opérations des Pays-Bas à la Bavière, ne dispense pas de livrer une ou plusieurs batailles. En outre, jusqu'aux progrès des moyens de communication rapides au XIXe siècle, il était rarement possible de coordonner des mouvements d'armée sur de grandes distances[9]. Opérations françaises de 1918Guerre du Golfe en 1991Notes et références
Voir aussiBibliographie
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