Le terme anarchie est un dérivé du grec « ἀναρχία » (« anarkhia »)[1]. Composé du préfixe a- privatif an- (en grec αν, « sans », « privé de ») et du mot arkhê, (en grec ἀρχή, « origine », « principe », « pouvoir » ou « commandement »)[2],[3]. L'étymologie du terme désigne donc, d'une manière générale, ce qui est dénué de principe directeur et d'origine. Cela se traduit par « absence de principe[4] », « absence de règle[4] », « absence de chef[5] », « absence d'autorité[6] » ou « absence de gouvernement[3] » et surtout, « absence de commandement »[7],[8],[9].
Ses détracteurs assimilent l'anarchie au chaos, au désordre et à l'anomie[10] tandis que ses partisans l'emploient dans un sens positif désignant un système où les individus sont dégagés de toute autorité[10]. Ce dernier sens apparaît en 1840 sous la plume du théoriciensocialistePierre Joseph Proudhon (1809-1865). Dans Qu'est-ce que la propriété ?, l'auteur se déclare anarchiste et précise ce qu'il entend par anarchie : une forme de gouvernement sans maître ni souverain[10].
Histoire
Origine du mot anarchie
Chez Homère ou Hérodote, le terme anarkhia apparaît d'abord pour désigner une situation dans laquelle un groupe armé, ou une armée, se retrouve sans chef[11]. En -467, dans Les Sept contre Thèbes, l'auteur de tragédie Eschyle utilise pour la première fois le mot αναρχία dans le sens de « désobéissance, anarchie[12] ». Dans cette pièce, Antigone refuse d'obéir aux ordres de la cité pour donner une sépulture au cadavre de son frère condamné à être « livré aux chiens » : « Il ne m'est point honteux d'ensevelir mon frère et d'enfreindre en ceci la volonté de la Ville[13]. »
Les philosophesSocrate et Platon utilisent le terme sous une forme négative en l'associant à une forme corrompue du régime démocratique[15]. Dans La République, Platon dénonce nettement la démocratie accusée d'entraîner la confusion des gouvernants et des gouvernés et de mener à la tyrannie[16]. Platon dresse un tableau horrible de l'anarchie générée par la démocratie : fin des hiérarchies, conflit de générations, des hommes et des femmes, sauvagerie et excès de toutes sortes[16].
Introduction du mot en français
Le terme anarchie apparait en français au Moyen Âge avec la traduction des œuvres d'Aristote par Nicole Oresme (1320-1382) à la demande du roi Charles V (1364-1380). Traduites non du grec mais à partir des versions latines de Robert de Lincoln (1175-1253), Guillaume de Moerbeke (1215-1286) et de Durand d'Auvergne[17] elles sont accompagnées d'un glossaire placé en exergue des textes soumis au roi et destiné à faciliter la compréhension des œuvres aristotéliciennes. Ces traductions donneront à la langue française quelques-unes des bases de son vocabulaire politique, dont démocratie, oligarchie, tyrannie, monarchie, aristocratie, etc. Au total, selon Robert Taylor, Nicole Oresme introduit 450 mots nouveaux dans la langue française[18], dont la première définition en français du mot anarchie :
« Anarchie est quant l'on franschit aucuns serfs et met en grans offices[19] »
Peu utilisé entre le XIVe et le XVIIe siècle, le mot entre dans le Dictionnaire de l'Académie française en 1694. Associé d'emblée à la démocratie, l'Académie française confirme sa définition dans les mêmes termes un siècle plus tard dans son édition de 1798[20].
« Estat déréglé, sans chef et sans aucune forme de gouvernement. La démocratie pure dégénère facilement en Anarchie[21] »
Denis Diderot, dans l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers (1751) complète cette définition, en la précisant et en supprimant toute référence au terme démocratie :
« C'est un désordre dans un État, qui consiste en ce que personne n'y a assez d'autorité pour commander et faire respecter les lois et que par conséquent le peuple se conduit comme il veut, sans subordination et sans police. Ce mot est composé de a privatif et de arche, Commandement. On peut affirmer que tout gouvernement en général tend au despotisme ou à l'anarchie[22]. »
« Une forme spécifique de rapport entre les hommes qui ont conclu un pacte civique d'association, mais sans aucune clause d'asservissement ; de ce fait ils bénéficient de la pleine liberté et de la reconnaissance mutuelle, sans aucune violence sociale, mais uniquement par la force de la décision unanime devenue égale. »
Toutefois, c'est en 1840 que le théoricien socialiste Pierre Joseph Proudhon, dans son livre Qu'est-ce que la propriété ?, opère une véritable rupture sémantique avec l'usage péjoratif en vogue depuis la révolution de 1789. Proudhon se déclare « anarchiste » et assure que « la société cherche l'ordre dans l'anarchie ». Pour autant, il continue, dans l'ensemble de son œuvre, à utiliser son acception négative, comprise comme « chaos », ambivalence conforme à sa « dialectique des contraires » selon laquelle une société juste et digne surgira de la liberté maximale, et non de l'autorité[28].
↑Sur l'étymologie du terme anarchie, voir : (fr) Grand dictionnaire encyclopédique, Paris, Larousse, 1982 ; (fr) Auguste Scheler, Dictionnaire d'étymologie française, Bruxelles, Auguste Schnée, 1862 ; (en) Ernest Weekley, An Etymological Dictionary of Modern English, Vol.1, Dover Publications, 1967
↑Trésor de la langue française, Paris, CNRS Éditions
↑ a et bPierre Kropotkine, Encyclopædia Britannica, Londres, 1910
↑ a et bPierre Joseph Proudhon, Qu'est-ce que la propriété ?, Paris, 1840
↑Le Nouveau Petit Robert, Paris, Editions Le Robert, 1995
↑Sébastien Faure, Encyclopédie anarchiste, Paris, La Librairie Internationale
↑Éric Cobast, Lexique de culture générale, Presses universitaires de France, (ISBN978-2-13-062530-8)
↑Marie Thérèse Jacquet, Les Mots de l'absence ou Du «Dictionnaire des idées reçues» de Flaubert, FeniXX réédition numérique, (ISBN978-2-402-06223-7)
↑Francis Dupuis-Déri et Thomas Déri, L'anarchie expliquée à mon père, Lux Éditeur, (ISBN978-2-89596-743-9)
↑ ab et cSylvie Arend, Christiane Rabier, Le Processus Politique : Environnements, Prise de Decision et Pouvoir, Ottawa, University of Ottawa Press, 2000 (ISBN2760305031)
↑ a et b Renaud Denuit, L'articulation entre ontologie et centralisme politique d'Héraclite à Aristote : Volume 2, Le cercle accompli, Paris, L'Harmattan, coll. « Ouverture Philosophique », 2003 (ISBN2747554783)
↑L. Petit de Julleville, Histoire de la langue et de la littérature française des origines à 1900, Paris, A. Colin, 1896
↑Robert Taylor, Les Néologismes chez Nicole Oresme, traducteur du XIVe siècle, Actes du 10e Congrès international de linguistique et de philologie romanes, Paris, Klincksieck, 1965
↑Adolphe Hatzfeld, Arsène Darmesteter, Antoine Thomas, Dictionnaire général de la langue Française du commencement du XVIIe siècle, Paris, Ch. Delagrave
↑Cité par Claude Harmel, Histoire de l'anarchie, des origines à 1880, Paris, Champs libre, 1984