Tacuinum sanitatis
Le Tacuinum sanitatis (également appelé Taccuinum sanitatis) est un manuel médiéval sur la santé, basé sur le Taqwīm al-Ṣiḥḥa تقويم الصحة (Tableaux de santé), un traité médical arabe écrit par Ibn Butlân vers 1050. En réalité, le Tacuinum a donné naissance à deux séries de manuscrits latins. La première série, datant de la deuxième moitié du XIIIe siècle, est constituée de traductions en latin, relativement fidèles au texte arabe. La deuxième série, entamée à la fin du XIVe siècle est constituée de versions simplifiées du texte, augmentées de nombreuses illustrations, une pour chaque sujet traité. À la fin du Moyen Âge, le Tacuinum dans sa version généreusement illustrée est très populaire en Europe de l'Ouest. Une indication de cette popularité est l'utilisation du mot taccuino en italien moderne qui désigne n'importe quelle sorte de manuel de poche, guide ou cahier. ContenuManuscrit arabe originalLe texte original arabe Taqwim al-Sihha d'Ibn Butlan est connu à travers 16 exemplaires répertoriés dans les bibliothèques d'Orient et d'Occident. Les prescriptions du livre s'inspirent largement de la théorie des humeurs d'Hippocrate, elle-même basée sur la théorie des quatre éléments, reprise par Galien et la tradition médicale gréco-romaine pour passer ensuite dans la culture arabe. Les aliments, mais aussi les phénomènes atmosphériques, les saisons et tous les facteurs d'environnement en général sont classés en différentes catégories selon les qualités des éléments qui les composent sur deux axes — chaud et froid, sec et humide — et sur une échelle comprenant quatre degrés[1]. Dans la conception hippocratique, en effet :
Galien s'est appuyé sur l'œuvre de Dioscoride pour développer divers traités sur les vertus curatives de plantes et les médicaments qui en sont tirés. Il est l'auteur d'une théorie de l'action curative basée sur l'intensité des qualités primaires de chaque remède, mesurée sur une échelle de quatre degrés[3]. À la suite de l'expansion islamique des VIIIe et XIXe siècles, la science grecque et son savoir médical ont été traduits du grec à l'arabe dans la maison de la sagesse de Bagdad par le médecin Hunayn ibn Ishaq, qui a implanté le système de Galien dans la culture islamique. Par la suite, divers auteurs — notamment Ali Abbas, Rhazès et Avicenne — ont développé et enrichi le corpus grec et en ont proposé « une synthèse d'une grande rigueur logique[4]. » Vers 1050, Ibn Butlan, médecin irakien de confession nestorienne, est le premier à proposer dans son Taqwim al-Sihha (Tables de santé) un exposé synthétique sous forme de tableaux des principes de diététique et d'hygiène. L'ouvrage, qui remporte un grand succès, est traduit en latin au cours du XIIIe siècle pour le roi de Sicile, Manfred Ier de Sicile (1232 -1266) ou son successeur Charles Ier d'Anjou[5]. Le terme Taqwin, devenu populaire dans la langue arabe pour désigner une synthèse pratique et fiable. Manuscrits non illustrésContenuLa première traduction en latin du manuscrit arabe est effectuée vers 1250 à la demande de la cour de Sicile, puis copiée avec des variantes mineures dans les décennies suivantes. Les contenus sont articulés autour de tables regroupant des informations de santé sur un grand nombre d'aliments, de comportements, de régions, etc. Avec de menues variantes selon les exemplaires, toutes les tables de l'ouvrage sont formées sur une structure commune. Chaque élément examiné constitue une ligne. En colonnes sont décrites les caractéristiques suivantes :
Comme dans l'original arabe, les éléments sont généralement regroupés par tables de sept lignes. Une quarantaine de tables parsèment l'ouvrage, entrecoupés de textes théoriques. Dans ces premières traductions, la mise en forme des tables reste également très similaire : les colonnes 5 à 8 sont mises en valeur (élargies), alors que les premières et dernières colonnes sont très compactes et abrégées.
Exemplaires connusIl existerait plusieurs dizaines de manuscrits de cette première série dans les bibliothèques d'Europe[6]. On peut citer les suivants :
Manuscrits illustrésLes versions illustrées du Tacuinum apparaissent dans le Nord de l'Italie à partir de 1380. La structure des ouvrages change considérablement : la quantité de texte est fortement réduite, et chaque élément est traité sur une page séparée, une illustration occupant la plus grande part de chaque notice. Les tables disparaissent donc, et chaque article contient un court résumé des indications d'origine présenté comme une légende de l'image. En dehors du titre de l'élément, les caractéristiques mentionnées se réduisent généralement à cinq items.
Il faut aussi noter d'autres adaptations : certains éléments d'origine, inconnus en Italie du Nord, disparaissent, alors que d'autres, locaux, apparaissent. Dans certains cas, c'est l'illustration qui prime et certaines légendes semblent avoir été adaptées ou même imaginées pour justifier une scène de genre. En plus de son importance pour l'étude de la médecine médiévale, le Tacuinum est également intéressant pour l'étude de l'agriculture, de la botanique, du commerce et plus généralement du mode de vie de l'époque des illustrations. À titre d'exemple, on trouve la première illustration d'une carotte, qui est une plante moderne pour l'époque. À titre d'illustration, voici la légende de la notice Fichus (figue) dans le Tacuinum illustré de Liège.
Et la page de la notice Fichus (figues) dans cinq exemplaires du manuscrit, avec des styles d'illustration assez différents :
On peut également comparer différentes versions de la notice Ver (printemps) :
L'exemplaire BnF 9333 est le seul à comporter sur chaque notice une traduction en allemand, ajoutée ultérieurement au texte initial. Du point de vue des illustrations, les exemplaires de Vienne, de Rome et de Paris Lat.9333 se ressemblent énormément. L'original est probablement l'exemplaire de Vienne. L'exemplaire Liège ms. 1041 a probablement l'exécution artistique la plus fine des dessins, mais la mise en couleurs est incomplète sur la grande majorité des notices du manuscrit, et parfois complètement absente. Thèmes couvertsDans les exemplaires illustrés du Tacuinum, les notices s'enchaînent sans séparation formelle. On peut toutefois constater un regroupement des notices en thèmes, variant légèrement selon l'exemplaire consulté. Les deux grandes catégories de notices sont les aliments (bruts ou préparés) d'une part, et les autres facteurs environnementaux "hygiéniques" d'autre part, pour lesquels la théorie des humeurs et des degrés semblait s'appliquer également.
SaisonsAliments chauds et secsAliments froids et humides
Aliments froids et secs
Aliments chauds et humides
Exemplaires connusLes six exemplaires illustrés du Tacuinum sanitatis[7],[8] conservés dans des institutions publiques sont souvent désignés par leur localisation :
Des œuvres plus récentes incluent ou adaptent tout ou partie du Tacuinum :
Reproductions contemporainesL'art de vivre en santé (Liège Ms 1041)L'exemplaire de Liège est reproduit dans L'art de vivre en santé[9], accompagné de notes détaillées sur chaque feuillet et d'une introduction historique par Carmélia Opsomer, directrice du Département des manuscrits de l'Université de Liège[6]. Édition du Vindobonensis series nova 2644 de la Bibliothèque nationale d'AutricheL'exemplaire de Vienne est reproduit dans L'art de vivre au Moyen âge[10], présentation de Daniel Poirion et Claude Thomasset. Fac-similé du manuscrit Latin 9333 de la BnFEn 2008, la maison d’édition espagnole M. Moleiro Editor a publié un fac-similé du Tacuinum sanitatis Ms. Latin 9333 conservé à la Bibliothèque nationale de France[11], dans une édition limitée à 987 exemplaires[12]. Cette édition de luxe reproduit les caractéristiques physiques de l'ouvrage tant au plan de la texture et épaisseur du papier que de la reliure et des fermoirs. Cette édition s'accompagne d'un volume de commentaires par Alain Touwaide (Smithsonian Institution), Eberhard König (Université libre de Berlin) et Carlos Miranda García-Tejedor. Notes et références
Ouvrages cités
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