Le Scipion est un vaisseau de force de 74 canons lancé selon les normes définies dans les années 1740 par les constructeurs français pour obtenir un bon rapport coût/manœuvrabilité/armement afin de pouvoir tenir tête à la marine anglaise qui dispose de beaucoup plus de vaisseaux[4]. Sans être standardisé, le Scipion, partage les caractéristiques communes de tous les « 74 canons » construits à des dizaines d’exemplaires jusqu’au début du XIXe siècle et qui évoluent au rythme lent des techniques de construction de l’époque et de la volonté des responsables navals d’exploiter au mieux cette excellente catégorie de navire de guerre[5].
Comme pour tous les vaisseaux de guerre de l’époque, sa coque est en chêne. Son gréement, (mâts et vergues) est en pin[6]. Il y a aussi de l’orme, du tilleul, du peuplier et du noyer pour les affûts des canons, les sculptures des gaillards et les menuiseries intérieures[6]. Les cordages (80 tonnes) et les voiles (à peu près 2 500 m2) sont en chanvre[6]. Un deuxième jeu de voiles de secours est stocké en soute. Prévu pour pouvoir opérer pendant des semaines très loin de ses bases européennes s’il le faut, ses capacités de transport sont considérables[5]. Il emporte pour trois mois de consommation d’eau, complétée par six mois de vin[7]. S’y ajoute pour cinq à six mois de vivres, soit plusieurs dizaines de tonnes de biscuits, farine, légumes secs et frais, viande et poisson salé, fromage, huile, vinaigre, sel, sans compter du bétail sur pied qui sera abattu au fur et à mesure de la campagne[8].
Il dispose sur son pont inférieur de 28 canons de 36 livres (les plus gros calibres en service dans la flotte à cette époque) et de 30 canons de 18 livres sur son pont supérieur. En outre, 16 canons de 8 livres sont répartis sur les gaillards. Cette artillerie en fer pèse 215 tonnes[6]. Lorsqu'elle tire, elle peut délivrer une bordée pesant 838 livres (soit à peu près 410 kg) et le double si le navire fait feu simultanément sur les deux bords[9]. Le vaisseau embarque près de 6 000 boulets pesants au total 67 tonnes[10]. S’y ajoute des boulets ramés, chaînés et beaucoup de mitraille (8 tonnes)[6]. Il y a 20 tonnes de poudre noire, stockée sous forme de gargousses ou en vrac dans les profondeurs du vaisseau[11]. En moyenne, chaque canon dispose de 50 à 60 boulets[12].
Carrière
En 1779, il rentre de Saint-Domingue accompagné de vaisseaux français et espagnols et de la frégate française la Surveillante et mouille à Brest
En , il fait partie de l'escadre du comte de Grasse qui quitte Brest en accompagnant un grand convoi pour les Antilles. Il est commandé par le capitaine Clavel. Il est engagé dans la bataille de Fort-Royal, le , qui permet de lever le siège de la Martinique. Cette même année, toujours dans l'escadre de Grasse, il passe en Amérique du Nord et combat à la bataille de la baie de Chesapeake. Le Scipion se trouve à l'arrière de la ligne de bataille française.
En 1782, il ne participe pas à la bataille des Saintes mais combat vaillamment le 17 octobre de cette même année, sous les ordres du capitaine de vaisseauNicolas Henri de Grimouard, contre deux vaisseaux de ligne anglais le HMS London et le Torbay, respectivement de 90 et 74 canons. Par les manœuvres habiles de son capitaine, le Scipion parvient à se positionner favorablement et à infliger d'importants dégâts au HMS London avant de prendre la fuite. Mais les Britanniques ne le laissent pas s'échapper. Le lendemain, alors qu'il est toujours poursuivi, le Scipion est victime d'une fortune de mer : il heurte une roche inconnue en baie de Samaná (dans l'actuelle République dominicaine), et coule. Le Scipion fait partie des vingt vaisseaux de ligne perdus par la Marine royale lors de la guerre d’Indépendance américaine[13]. Son épave a été localisée récemment[Quand ?][14].
↑Le ratio habituel, sur tous les types de vaisseau de guerre au XVIIIe siècle est d'en moyenne 10 hommes par canon, quelle que soit la fonction de chacun à bord. C'est ainsi qu'un 100 canons emporte 1 000 hommes d'équipage, un 80 canons 800 hommes, un 74 canons 740, un 64 canons 640, etc. L'état-major est en sus. Cet effectif réglementaire peut cependant varier considérablement en cas d'épidémie, de perte au combat ou de manque de matelots à l'embarquement. Acerra et Zysberg 1997, p. 220.
↑210 000 litres d’eau douce. 101 000 litres de vin rouge, à raison d’un litre par jour et par homme. Le vin complète largement l’eau qui est croupie dans les barriques au bout de quelques semaines. Jacques Gay dans Vergé-Franceschi 2002, p. 1486-1487
↑Des moutons (six par mois pour 100 hommes), volailles (une poule par mois pour sept hommes, avec aussi des dindes, des pigeons, des canards), Jacques Gay dans Vergé-Franceschi 2002, p. 1486-1487.
↑Selon les normes du temps, le navire, en combattant en ligne de file, ne tire que sur un seul bord. Il ne tire sur les deux bords que s'il est encerclé ou s'il cherche à traverser le dispositif ennemi, ce qui est rare. Base de calcul : 1 livre = 0,489 kg.
↑Dans le détail : 2 240 projectiles de 36 livres-poids, 2 400 de 18 livres et 1 280 de 8 livres. Acerra et Zysberg 1997, p. 216.
↑En moyenne : un quart de la poudre est mise en gargousse à l’avance pour les besoins de la batterie basse, celle des plus gros canons au calibre de 36 livres, et un tiers pour les pièces du second pont et des gaillards. Acerra et Zysberg 1997, p. 216
Olivier Chaline, Philippe Bonnichon et Charles-Philippe de Vergennes (dir.), Les marines de la Guerre d'Indépendance américaine (1763-1783) : L'instrument naval, t. 1, Paris, PUPS, , 453 p. (ISBN978-2-84050-890-8).
Olivier Chaline, Philippe Bonnichon et Charles-Philippe de Vergennes (dir.), Les marines de la Guerre d'Indépendance américaine (1763-1783) : L'opérationnel naval, t. 2, Paris, PUPS, , 457 p. (ISBN979-10-231-0585-8).
Martine Acerra et André Zysberg, L'essor des marines de guerre européennes : vers 1680-1790, Paris, SEDES, coll. « Regards sur l'histoire » (no 119), , 298 p. [détail de l’édition] (ISBN2-7181-9515-0, BNF36697883)
Jean-Michel Roche (dir.), Dictionnaire des bâtiments de la flotte de guerre française de Colbert à nos jours, t. 1, de 1671 à 1870, éditions LTP, , 530 p. (lire en ligne)
Onésime Troude, Batailles navales de la France, t. 2, Paris, Challamel aîné, , 469 p. (lire en ligne)