Lorsque l'on parle des lois de Raoult[2] (au pluriel), on fait généralement allusion aux trois lois évoquées ci-dessus qu'il ne faut pas confondre avec la loi de Raoult (au singulier) concernant les équilibres liquide-vapeur idéaux.
Dans le monde anglo-saxon, cette loi est appelée loi de Blagden, du nom du chimiste Charles Blagden[3], assistant de Henry Cavendish, qui l'a mise en évidence expérimentalement dès 1788 sur des solutions aqueuses. Raoult généralisa cette loi, notamment en étudiant des solutions organiques[4].
Énoncé de la loi
Cas général
Lorsque l'on considère un solvant contenant un soluté, la température de solidification du solvant avec le soluté est plus basse que la température de solidification du solvant seul. La loi de la cryométrie s'énonce ainsi :
« L'abaissement de la température de solidification est proportionnel à la fraction molaire du soluté. »
Soit (en remarquant que pour un corps pur la température de solidification - ou température de congélation - est égale à la température de fusion) :
Sous cette forme, la constante cryoscopique a la dimension d'une température, elle s'exprime en kelvins (K).
Autrement dit, à pression constante, la température de fusion du solvant pur passe à en présence d'un soluté. L'enthalpie de fusion étant une grandeur positive, la constante cryoscopique est positive. Ainsi l'ajout d'un soluté fait-il diminuer la température de fusion du solvant à pression constante (, soit ).
La loi de la cryométrie a été établie expérimentalement, mais elle peut se démontrer théoriquement. Cette loi n'est valable que sous les hypothèses suivantes :
la quantité de soluté est négligeable devant celle du solvant dans la solution liquide ;
la phase solide peut être considérée comme constituée de solvant pur, le soluté et le solvant n'étant pas miscibles en phase solide.
La loi de la cryométrie est une approximation aux faibles concentrations de l'équation de Schröder-van Laar qui peut être appliquée à des concentrations plus importantes.
En fonction de la molalité
La loi de la cryométrie est souvent exprimée en fonction de la molalité du soluté, qui représente la quantité de soluté pour 1 kg de solvant (en mol/kg) :
Loi de la cryométrie :
La constante cryoscopique vaut alors :
Constante cryoscopique molale :
avec la masse molaire du solvant (en g/mol). Sous cette forme, la constante cryoscopique s'exprime en K·kg/mol, elle ne dépend toujours que des propriétés du solvant pur.
On a, par définition de la fraction molaire, pour le soluté :
Si la quantité de soluté est négligeable devant celle du solvant :
La masse de solvant est donnée par :
La molalité du soluté est donnée par définition par :
On a par conséquent le rapport :
La masse molaire étant exprimée le plus souvent en g/mol et la molalité en mol/kg, il est nécessaire d'introduire un facteur de conversion :
Pour un soluté dissociatif
Si le soluté se dissocie dans la solution liquide, comme un sel se dissociant en ions, l'expression de la loi est modifiée par le facteur de van 't Hoff :
Loi de la cryométrie :
La constante , elle, n'est pas modifiée.
Démonstration
Pour un solvant pur au point de fusion, à sa température de fusion , on a l'égalité des potentiels chimiques des deux phases solide et liquide :
(1)
avec :
le potentiel chimique en phase solide pur ;
le potentiel chimique en phase liquide pur.
On introduit, à pression constante, un soluté dans le solvant liquide. La température de fusion du solvant est modifiée et devient . Le potentiel chimique du solvant en phase liquide idéale s'écrit, avec la fraction molaire du solvant dans cette phase :
On considère qu'en phase solide le solvant est le seul constituant. Au nouvel équilibre de phases on a toujours l'égalité des potentiels chimiques :
on a donc :
(2)
En soustrayant les termes de la relation (1) dans la relation (2) on a :
(3)
La relation de Gibbs-Duhem donne la variation du potentiel chimique du solvant pur à pression constante :
avec l'entropiemolaire du solvant pur. On peut donc intégrer, en considérant une faible variation de température sur laquelle l'entropie molaire peut être considérée comme constante :
On peut en conséquence calculer la masse molaire du soluté selon :
La constante étant exprimée en K·kg/mol, on obtient ainsi une masse molaire en kg/mol, il est nécessaire d'introduire un facteur de conversion pour l'exprimer en g/mol.
La masse molaire du soluté, en g/mol, est obtenue selon :
Masse molaire du soluté :
Pour rappel, cette formule n'est valable que si la quantité de soluté est négligeable devant celle du solvant ().
10,10 g de vanilline sont dissouts dans 500 g d'eau. La température de fusion de l'eau passe de 0 °C à −0,247 °C. La constante cryoscopique molale de l'eau est de 1,86 °C·kg/mol. L'abaissement de la température de fusion de l'eau vaut :
La masse molaire de la vanilline est de :
Constante cryoscopique
Le tableau suivant donne les constantes cryoscopiques de quelques solvants d'usage courant.
Note : un écart de température de 1 K étant égal à un écart de 1 °C, la constante cryoscopique peut indifféremment s'exprimer en K·kg/mol ou en °C·kg/mol.
Constante cryoscopique de quelques solvants[7],[8]
Cette propriété colligative est utilisée par exemple en hiver lorsque les routes sont salées : l'épandage de sel fait fondre la neige en dessous de sa température de fusion normale. Les antigels sont des mélanges d'eau et de produits organiques (souvent des composés hydroxylés - alcool ou glycole), permettant également d'abaisser la température de fusion de l'eau.
Dans l'industrie, des saumures sont utilisées comme fluides frigoporteurs : des températures jusqu'à −55 °C peuvent être obtenues avec le chlorure de calcium CaCl2, le chlorure de sodium NaCl ne permet pas de descendre en dessous de −21,2 °C. Des eaux carbonatées, glycolées ou ammoniaquées sont aussi employées[9]. Le tableau suivant donne la concentration en sel nécessaire pour obtenir une température de fusion d'une saumure de −40 °C.
Concentration en sel d'une saumure ayant une température de fusion de −40 °C[9]
↑Dictionnaire Larousse, « Cryométrie », sur Larousse.fr (consulté le ).
↑Danielle Baeyens-Volant, Pascal Laurent et Nathalie Warzée, Chimie générale : chimie des solutions : Exercices et méthodes, Dunod, (ISBN978-2-10-076593-5, lire en ligne), p. 64 et 72.
↑ abcd et eClaude Friedli, Chimie générale pour ingénieur, Lausanne/Paris, PPUR presses polytechniques, , 747 p. (ISBN2-88074-428-8, lire en ligne), p. 312.
Détermination des poids moléculaires : mémoires de MM. Avogadro, Ampère, Raoult, van 't Hoff, D. Berthelot, Gauthier-Villars, (lire en ligne), sur Gallica.
Paul Arnaud, Françoise Rouquérol, Gilberte Chambaud, Roland Lissillour, Abdou Boucekkine, Renaud Bouchet, Florence Boulc'h et Virginie Hornebecq, Chimie générale : Cours avec 330 questions et exercices corrigés et 200 QCM, Dunod, coll. « Les cours de Paul Arnaud », , 8e éd., 672 p. (ISBN978-2-10-074482-4, lire en ligne), p. 337-341.
Peter William Atkins, Loretta Jones et Leroy Laverman (trad. de l'anglais), Principes de chimie, Louvain-la-Neuve, De Boeck Superieur, , 4e éd., 1088 p. (ISBN978-2-8073-0638-7, lire en ligne), p. 388-390.
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Danielle Baeyens-Volant, Pascal Laurent et Nathalie Warzée, Chimie des solutions : Exercices et méthodes, Dunod, coll. « Chimie générale », , 320 p. (ISBN978-2-10-076593-5, lire en ligne), p. 28-30.
John C. Kotz et Paul M. Treichel Jr (trad. de l'anglais), Chimie des solutions, Bruxelles/Issy-les-Moulineaux, De Boeck Supérieur, coll. « Chimie générale », , 358 p. (ISBN978-2-8041-5232-1, lire en ligne), p. 31-33.