De nos jours, il s'agit de l'une des chansons enfantines françaises les plus courantes.
Histoire
Création
Écrite vers 1787[1], cette chanson serait inspirée d'un air de chasse beaucoup plus ancien, La Fanfare du grand cerf[2],[3]. Ses couplets sont écrits au fil du temps. Les premières paroles datent de la période révolutionnaire et sont destinées à tourner la monarchie en ridicule, notamment Louis XVI — que l'on trouve alors nonchalant et indécis[2],[4],[5]. Dans l'un des passages dirigés directement contre Louis XVI, on trouve le passage suivant : « Le bon roi Dagobert / Mangeait en glouton du dessert », un texte visant la gloutonnerie dont Louis XVI était censé faire preuve[6].
Dagobert est alors perçu comme un archétype de roi fainéant et incapable ; bien que cela ne soit pas la réalité historique, il fournit un bon matériau artistique pour critiquer la monarchie en évitant la censure royale[5],[7]. L'Église catholique est aussi visée à travers saint Éloi, qui représente dans la chanson une figure d'évêque donnant un blanc-seing au pouvoir politique[5]. Cette évolution est décrite de la sorte[5] :
La chanson met en lumière le rôle important joué par l'Église française, qui excusait, voire sanctifiait, les abus et les incompétences des rois. À mesure que les événements avançaient vers la Révolution française, la chanson est devenue à la fois anti-monarchique et anti-ecclésiastique. Les deux premiers ordres (noblesse et clergé) sont condamnés comme corrompus, incompétents, et gouvernés par des intérêts qui ne sont pas partagés par le troisième ordre. Ainsi, Dagobert a effectué sa dernière transformation, passant de roi client du saint patron royal à un bouffon, et finalement à l'obscurité.
Le fait que la critique soit à la fois religieuse et politique se retrouve dans le choix des personnages, Dagobert est ainsi choisi car il est le roi fondateur de la basilique saint Denis[8]. La basilique est l'un des lieux centraux de l'idéologie religieuse qui sous-tend la monarchie de droit divin caractérisant l'Ancien régime[9].
Au début des années 2000, une étude est lancée dans une dizaine d'écoles primaires françaises ; on demande à des enfants âgés de 8 à 11 ans de dessiner des figures représentant des notions, comme par exemple la gentillesse. Dagobert est l'une des figures stéréotypées les plus dessinées de manière générale et est spécifiquement représenté pour caractériser l'idiotie[14]. Aujourd'hui, elle est considérée comme étant une des chansons enfantines les plus courantes en France, aux côtés de Au clair de la lune[4].
Littérature
L'air est cité par Émile Zola dans Nana et Au bonheur des dames[15],[16]. Le poèteCharles Péguy lui ajoute de nombreux couplets, comme d'autres poètes, qui modèlent la version qu'ils préfèrent[3]. André Rivoire écrit aussi une pièce inspirée de la chanson, Dagobert s'y marie[17]. La traduction de cette référence culturelle a pu poser problème en anglais. Ainsi, un traducteur de Georges Perec en anglais a par exemple fait mention de la question dans le cadre de ses notes de traduction[18].
Le bon roi Dagobert
A mis sa culotte à l'envers ;
Le grand saint Éloi
Lui dit : Ô mon roi !
Votre Majesté
Est mal culottée.
C'est vrai, lui dit le roi,
Je vais la remettre à l'endroit.
2
Comme il la remettait
Et qu'un peu il se découvrait ;
Le grand saint Éloi
Lui dit : Ô mon roi !
Vous avez la peau
Plus noire qu'un corbeau.
Bah, bah, lui dit le roi,
La reine l'a bien plus noire que moi.
3
Le bon roi Dagobert
Fut mettre son bel habit vert ;
Le grand saint Éloi
Lui dit : Ô mon roi !
Votre habit paré
Au coude est percé.
C'est vrai, lui dit le roi,
Le tien est bon, prête-le moi.
4
Du bon roi Dagobert
Les bas étaient rongés des vers ;
Le grand saint Éloi
Lui dit : Ô mon roi !
Vos deux bas cadets
Font voir vos mollets.
C'est vrai, lui dit le roi,
Les tiens sont neufs, donne-les moi.
5
Le bon roi Dagobert
Faisait peu sa barbe en hiver ;
Le grand saint Éloi
Lui dit : Ô mon roi !
Il faut du savon
Pour votre menton.
C'est vrai, lui dit le roi,
As-tu deux sous ? Prête-les moi.
6
Du bon roi Dagobert
La perruque était de travers ;
Le grand saint Éloi
Lui dit : Ô mon roi !
Que le perruquier
Vous a mal coiffé !
C'est vrai, lui dit le roi,
Je prends ta tignasse pour moi.
7
Le bon roi Dagobert
Portait manteau court en hiver ;
Le grand saint Éloi
Lui dit : Ô mon roi !
Votre Majesté
Est bien écourtée.
C'est vrai, lui dit le roi,
Fais-le rallonger de deux doigts.
8
Du bon roi Dagobert
Le chapeau coiffait comme un cerf ;
Le grand saint Éloi
Lui dit : Ô mon roi !
La corne au milieu
Vous siérait bien mieux.
C'est vrai, lui dit le roi,
J'avais pris modèle sur toi.
9
Le roi faisait des vers
Mais il les faisait de travers ;
Le grand saint Éloi
Lui dit : Ô mon roi !
Laissez aux oisons
Faire des chansons.
Eh bien, lui dit le roi,
C'est toi qui les feras pour moi.
10
Le bon roi Dagobert
Chassait dans la plaine d'Anvers ;
Le grand saint Éloi
Lui dit : Ô mon roi !
Votre Majesté
Est bien essoufflée.
C'est vrai, lui dit le roi,
Un lapin courait après moi.
11
Le bon roi Dagobert
Allait à la chasse au pivert ;
Le grand saint Éloi
Lui dit : Ô mon roi !
La chasse aux coucous
Vaudrait mieux pour vous.
Eh bien, lui dit le roi,
Je vais tirer, prends garde à toi.
12
Le bon roi Dagobert
Avait un grand sabre de fer ;
Le grand saint Éloi
Lui dit : Ô mon roi !
Votre Majesté
Pourrait se blesser.
C'est vrai, lui dit le roi,
Qu'on me donne un sabre de bois.
13
Les chiens de Dagobert
Étaient de gale tout couverts ;
Le grand saint Éloi
Lui dit : Ô mon roi !
Pour les nettoyer
Faudrait les noyer.
Eh bien, lui dit le roi,
Va-t-en les noyer avec toi.
14
Le bon roi Dagobert
Se battait à tort, à travers ;
Le grand saint Éloi
Lui dit : Ô mon roi !
Votre Majesté
Se fera tuer.
C'est vrai, lui dit le roi,
Mets-toi bien vite devant moi.
15
Le bon roi Dagobert
Voulait conquérir l'univers ;
Le grand saint Éloi
Lui dit : Ô mon roi !
Voyager si loin
Donne du tintouin.
C'est vrai, lui dit le roi,
Il vaudrait mieux rester chez soi.
16
Le roi faisait la guerre
Mais il la faisait en hiver ;
Le grand saint Éloi
Lui dit : Ô mon roi !
Votre Majesté
Se fera geler.
C'est vrai, lui dit le roi,
Je m'en vais retourner chez moi.
17
Le bon roi Dagobert
Voulait s'embarquer pour la mer ;
Le grand saint Éloi
Lui dit : Ô mon roi !
Votre Majesté
Se fera noyer.
C'est vrai, lui dit le roi,
On pourra crier : « Le Roi boit ! ».
18
Le bon roi Dagobert
Avait un vieux fauteuil de fer ;
Le grand saint Éloi
Lui dit : Ô mon roi !
Votre vieux fauteuil
M'a donné dans l'œil.
Eh bien, lui dit le roi,
Fais-le vite emporter chez toi.
19
La reine Dagobert
Choyait un galant assez vert ;
Le grand saint Éloi
Lui dit : Ô mon roi !
Vous êtes cornu,
J'en suis convaincu.
C'est bon, lui dit le roi,
Mon père l'était avant moi.
20
Le bon roi Dagobert
Mangeait en glouton du dessert ;
Le grand saint Éloi
Lui dit : Ô mon roi !
Vous êtes gourmand,
Ne mangez pas tant.
Bah, bah, lui dit le roi,
Je ne le suis pas tant que toi.
21
Le bon roi Dagobert
Ayant bu, allait de travers ;
Le grand saint Éloi
Lui dit : Ô mon roi !
Votre Majesté
Va tout de côté.
Eh bien, lui dit le roi,
Quand tu es gris, marches-tu droit ?
22
À Saint Eloi, dit-on
Dagobert offrit un dindon.
Un dindon à moi !
lui dit Saint Eloi,
Votre Majesté
a trop de bonté.
Prends donc, lui dit le roi,
C'est pour te souvenir de moi.
23
Le bon roi Dagobert
Craignait d'aller en enfer ;
Le grand saint Eloi
Lui dit : Ô mon roi !
Je crois bien, ma foi
Que vous irez tout droit.
C'est vrai, lui dit le roi,
Ne veux-tu pas prier pour moi ?
24
Quand Dagobert mourut,
Le diable aussitôt accourut ;
Le grand saint Éloi
Lui dit : Ô mon roi !
Satan va passer,
Faut vous confesser.
Hélas, lui dit le roi,
↑Cyprien Mycinski, Paris, terre sacrée: une histoire spirituelle de la capitale, PUF, (ISBN978-2-13-082696-5)
↑ a et b(en) Alan M. Gillmor, « Musico-poetic Form in Satie's "Humoristic" Piano Suites (1913-14) », Canadian University Music Review, no 8, , p. 1 (ISSN0710-0353 et 2291-2436, DOI10.7202/1014932ar, lire en ligne, consulté le )
↑ a et bChristian Moncelet, « Le révisionnisme fantaisiste de l’Histoire », Écrire l'histoire. Histoire, Littérature, Esthétique, no 10, , p. 101–111 (ISSN1967-7499, DOI10.4000/elh.225, lire en ligne)
↑Émile Zola et Émile Zola, Nana, Gallimard, coll. « Les Rougon-Macquart / Émile Zola. Ed. établie et ann par Henri Mitterand; 9 », (ISBN978-2-07-042357-6)
↑Sophie Guermès, Au bonheur des Dames, Librairie Générale Française, coll. « Le livre de poche », (ISBN978-2-253-00286-4)
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↑Brian Reffin Smith, « Triple Entendre: Furniture Music, Muzak, Muzak-Plus Triple Entendre: Furniture Music, Muzak, Muzak-Plus by Hervé Vanel, University of Illinois Press, Champaign, IL, U.S.A., 2013. 216 pp. Trade. (ISBN978-0-2520-3799-3). », Leonardo, vol. 48, no 1, , p. 95–96 (ISSN0024-094X, lire en ligne, consulté le )
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↑Georges Monca (1888-1940), Le bon roi Dagobert (film ; 1911), (lire en ligne)
↑(en-US) Anna Fee, « Gender, Class and Cinephilia: Parisian Cinema Cultures, 1918-1925 », Department of Comparative Literature, Cinema and Media, (lire en ligne, consulté le )
Voir aussi
Bibliographie
Chanson
Louis Montjoie, Chansons populaires de France anciennes et modernes, Sayat, De Borée, , 572 p. (ISBN978-2-8129-0497-4), p. 15.
Robert Bossuat, Le roi Dagobert, héros de romans du Moyen Âge, dans les Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 108e année n° 2, p. 361 - 368 [lire en ligne]
Mireille Schmidt-Chazan, compte-rendu de Laurent Theis, Dagobert, un roi pour un peuple 1982, dans la revue Annales, tome 38-1, 1983, p. 214 - 215 [lire en ligne]