L'histoire des Juifs en Corse commencerait en l'an 800, avec les premières traces supposées de présence juive. Au cours des siècles, les Juifs seraient venus d'Égypte, de plusieurs villes d'Italie et de Palestine au début du XXe siècle.
Cette histoire est souvent parsemée de mythes, notamment sur une supposée origine juive répandue dans la population corse et de certains noms de familles en Corse, théorie qui a été réfutée par les recherches génétiques et que cette histoire est purement légendaire, apparue dans les années 1980 et sans fondements historiques.
Antiquité
Après la chute de Jérusalem défaite par les Romains, en 70 après J.-C., l'historien romain Suétone indique que l'empereur Tibère a déporté des milliers de Juifs « dans des provinces malsaines », la Corse n'étant cependant pas expressément citée[1] et la Sardaigne plus souvent évoquée[2] (voir Ethnie nuragique).
Mythe sur une hypothétique origine juive des Corses
Au XVIe siècle, des Juifs marranes émigrent en Corse[3]. Selon des sites israéliens francophones, certains portent des noms devenus aujourd'hui célèbres : Zuccarelli, Giacobbi ou Siméoni[4]. Toutefois, ces noms n'ont en réalité aucun lien avec les Juifs, il s'agit plutôt de patronymes et de noms en lien avec le christianisme, aux saints chrétiens ainsi que d'une italianisation des noms ou une attribution de noms de famille. En effet, les Corses ne portaient pas de noms de famille avant le XVIe siècle hormis la noblesse corse[5].
Ashkénazes de Padoue
Entre l'an 1590 et l'an 1684, les Juifs ashkénazes de Padoue sont obligés de vivre dans un ghetto édifié en 1516. Cette période est marquée par de multiples violences contre la communauté juive et une grande partie d'entre elle aurait décidé après ces désastreux évènements d'émigrer en Corse.
Un mythe persistant veut que les habitants les nommèrent Padovani, ce qui signifie : venus de Padoue[6]. En réalité, le nom de famille « Padovani », très répandu de nos jours en Corse, est une référence au saint éponyme, Antoine de Padoue[5].
Génétique et patronymie
Si des présences juives en Corse sont attestées, la génétique de la population globale corse ne démontre pas qu'il y ait des origines juives. En effet, une étude génétique réalisée en 2019, établit que la population corse n'est pas d'origine juive, tout comme la provenance de certains noms de famille qui sont en fait simplement tirés des noms bibliques, ces patronymes sont également portés par beaucoup d'Italiens qui n'ont pourtant aucune origine juive[6].
La génétique de la population montre que s'il existe des origines sémitiques dans la population corse issues de populations arabisées du Levant et d'Afrique du Nord et datant de l'époque de l'expansion de l'islam et des tentatives d'invasion par les Arabes au VIIe siècle, il n'existe pas de trace de mélange au-delà de cette période[7].
Les noms de famille corses sont issus d'une italianisation[8],[6], alors que les noms de famille n'existaient pas avant le XVIIe siècle en Corse à l'exception de la noblesse portant des noms issus des zones d'où viennent leurs familles. Notamment à l'étranger, les condotieri corses étaient appelés individuellement Corso pour les reconnaître.
Ashkénazes de l'Italie du Nord
Le phénomène de la persécution s'est poursuivi dans le nord de l'Italie et l'immigration juive la plus connue s'est développée entre les années 1750 et 1769, lorsqu'à la fin de la domination génoise qui a duré quatre cents ans, un nombre de 5 000 à 10 000 juifs sont arrivés en Corse, principalement de Milan, Turin et Gênes, ainsi que de Padoue. Pasquale Paoli écrit le 26 juin 1760 au fils de Domenicu Rivarola, consul du Piémont à Livourne : « si les juifs voulaient s’établir parmi nous, nous leur accorderions la naturalisation et les privilèges pour se gouverner avec leurs propres lois, parlez–en à quelque rabbin accrédité »[9]. « Paoli (passe) un accord semblable avec des entrepreneurs français au moment de la guerre de Sept ans (1756-1763), pour l’exploitation des forêts »[10]. En 1763, Paoli qui se propose d’installer toute une colonie juive dans l’île[9], accède à la requête d'un Juif nommé Modigliani installé parmi les premiers habitants de la cité d’Ile Rousse, de bénéficier du même droit de vote que les habitants nationaux selon la promesse du général[10]. Il déclare : « Les Juifs ont les mêmes droits que les Corses puisqu’ils partagent le même sort »[6]. La Première République française a ainsi accueilli les Juifs arrivés en Corse en leur reconnaissant les mêmes droits que les autres citoyens, pouvant pratiquer librement leur religion (ce qui n'était pas le cas à l'époque dans de nombreux pays).
Alors qu'auparavant, seuls les marins napolitains et autres pêchaient le corail, Paoli autorise les Juifs de Livourne à le pêcher sur les côtes corses en 1767, occasion pour lui de développer l'économie portuaire et commerciale de la Corse[10].
Immigration de Palestine, de Syrie et d'Afrique du nord
Première Guerre mondiale
Pendant la Première Guerre mondiale, des familles juives originaires du Maroc et d'Algérie mais vivant à Alep (actuelle Syrie) et à Tibériade (aujourd'hui située en Israël)[11], sont chassées par les ravages de la campagne du Sinaï et de la Palestine que mènent les armées de l'Empire ottoman et de l'Empire allemand. Elles parviennent à faire valoir leur nationalité française grâce aux décret Crémieux et au traité de Fez. De fait, elles sont expulsées de l'empire Ottoman à l'été 1915. Embarquées depuis Beyrouth et Jaffa, les familles sont d'abord reçues en Crète d'où elles sont finalement refoulées. Prises en charge par la marine française, elles sont débarquées au port d'Ajaccio le 14 décembre 1915[6].
À l'arrivée des Juifs dont 200 enfants, la solidarité corse s'organise. L'épouse du préfet Albert Marie Georges Henry aide les miséreux. « Un grand élan populaire vient au secours de ces 740 démunis, des « Syriens »[12] qui ne parlent que l’arabe et l’hébreu ». Des bulletin de paie d'instituteurs montrent qu'ils ont versé une partie de celle-ci pour payer le tissu permettant de confectionner des habits européens pour les « Syriens »[6]. Les réfugiés sont installés dans l'ancien séminaire d'Ajaccio. Chaque famille y dispose d'une chambre. Un temple avec un mikvé sont installés.
«Sur les instances du préfet, et avec le concours de Baruch Israël, le chef de l’unique famille juive d’Ajaccio, l’organisation communautaire s’ébauche. Début janvier 1916, un Comité israélite franco-syrien, présidé par Moïse Abbo se constitue au sein des réfugiés, chargé de les représenter auprès des autorités. Jacob Aknine, rabbin de Tibériade, est désigné comme « Grand Rabbin des réfugiés Israélites de Palestine », à charge pour lui de s’occuper des besoins religieux et de trancher les différends[13]»
Rapidement des tensions entre les juifs d'origine algérienne et ceux d'origine marocaine se font jour. Il est donc décidé de transférer ces derniers à Bastia. Ces 180 "Syrianos", qui sont en réalité des Marocains, y retrouvent la vingtaine de familles de "Turchinos" venus de Constantinople et établis vers 1895 autour du port de Bastia. La vie communautaire se structure rapidement. Une synagogue plus vaste que le temple officieux qu'avaient créé les Turcs est installé dans le quartier des Docs. Salomon ben Samoun, est nommé « grand-rabbin » et un rouleau de Sefer Torah est offert par la communauté voisine de Livourne. Les juifs s'intègrent rapidement et reçoivent de nombreuses marques de sympathie et de solidarité de la part des Corses et des autorités bastiaises, dont le rabbin les remercie en écrivant à Bastia-Journal[14]
À la suite de la Déclation Balfour, il est question pour les juifs réfugiés en Corse de retourner vers la Palestine. Leur départ est retardé par les tensions qui apparaissent dans la région. «Ce n’est que le 4 août 1920, alors qu’une administration civile vient d’être mise en place par les Britanniques à Jérusalem, que les réfugiés, volontaires pour retourner chez eux, sont rassemblés dans le port d’Ajaccio et embarquent via Beyrouth pour la Palestine [13]».
Quelques familles décident cependant de rester en Corse[15]. D'autres ayant retrouvé la misère en Palestine y reviennent[6] durant la décennie 20. "D’autres arrivent au début des années trente du Maroc, de Turquie et d’Égypte, chassés cette fois par la crise économique. Un petit nombre d’entre eux s’éparpille dans l’intérieur de l’île et jusqu’à Ajaccio, mais la plupart s’établissent à Bastia où ils prennent les rênes de la communauté"[13]. Le Rabbin Meir Toledano, dont le jeune frère faisait partie des réfugiés, rejoint Bastia en 1924 avec sa femme et ses enfants. C'est sous son impulsion qu'est créée la synagogue Beith Meir rue du Castagno à Bastia dans une ruelle à proximité du vieux-port. Il y officiera jusqu'en 1970.
Dans l'entre-deux-guerres
Les esprits commencent à être « travaillés dans l’île, durant l’entre-deux guerres, par la presse d’extrême droite et la presse irrédentiste comme «A Muvra». À la fin des années trente, ce journal justifie les agressions auxquelles nazis et fascistes se livrent contre les peuples en avançant que les dictateurs fascistes luttent « contre la grande offensive hébraïque ourdie à Moscou et à Londres ». « Si les Juifs et les francs-maçons veulent la ruine de Hitler et de Mussolini qu’ils y aillent eux-mêmes », peut-on lire dans ce journal à la veille de la guerre »[16].
Ces familles Ebrei (« Juifs » en langue corse) au nombre de 210, soit 600 à 800 juifs de Corse et quelques dizaines d'autres venant du continent[18], sont en quelque sorte « protégées » par des particuliers. À Asco, 57 d'entre elles sont assignées à résidence par les Italiens[16], et sauvées de la déportation dans les camps d’extermination nazis pendant le deuxième conflit mondial, n'étant pas livrées aux Allemands[19],[20]. In fine, on ne déplorera qu'un seul juif de Corse, d'origine tchèque, déporté accidentellement et assassiné dans un camp de l'est[20].
Le régime de Vichy reproche au préfetPaul Balley (qui sera décoré de la Francisque puis révoqué sans pension[21]) et de son administration de ne pas être assez diligent pour recenser les Juifs de l’île, qu'en réalité il protège (en indiquant à sa hiérarchie qu'il n'y a pas de Juif en Corse de la catégorie réclamée[20]). Des sous-préfets semblent également traîner les pieds ; celui de Bastia, Pierre-Henry Rix, gaulliste, F.F.L., s'entretient à Marseille en mars 1942 avec Bedi Arbel, consul général de Turquie (neutre dans le conflit), pour faire déclarer sujets turcs tous les juifs de son arrondissement, auxquels sont délivrés des passeports[22], afin de n'en recenser aucun[23],[16] ; le sous-préfet Pierre Joseph Jean-Jacques Ravail à Sartène (qui sera renvoyé sans ménagement sur le continent en mars 1943[24],[25]) protège également les anti-fascistes et les Juifs, en travaillant avec le réseau mis en place par les partisans de Paul Giacobbi[4],[6]. « Dans la seule région de Marseille, le chiffre de 20 000 passeports est avancé. Le consul Beli Arbel disposait également de laissez-passer turcs pour traiter les cas les plus urgents »[22].
Lors de la grande rafle des Juifs apatrides d'août 1942, aucun Juif de Corse n'a été envoyé sur le continent pour subir un sort fatal[20].
L'historien Iannis Roder, responsable de la formation à la Fondation pour la mémoire de la Shoah, rappelle toutefois qu'à cette époque, des Corses manifestent leur hostilité aux Juifs en distribuant des tracts antisémites et en maculant les vitrines de commerce leur appartenant. La presse pétainiste et judéophobe corse comme le Bastia journal du 21 juin 1941 fustige « les fauteurs de discorde, Juifs échappés des ghettos, francs-maçons chassés de leurs termitières, communistes impénitents, apatrides saboteurs »[16]. La presse catholique à travers le Bulletin diocésain d’août 1941 justifie la persécution que les Juifs subissent «…parce qu’ils commençaient à trop s’identifier avec les peuples au milieu desquels ils vivaient et qu’ils étaient en train de perdre leur originalité ; alors Dieu a permis qu’ils fussent ramenés durement à leur destinée ». Juste après la rafle du vél d’Hiv, l'année suivante, cette même publication diocésaine du 24 août 1942 récidive en justifiant les persécutions du peuple juif qui n’aurait pas reconnu Jésus comme le Messie[16].
La Corse reste le seul département français où il n'y a eu aucune dénonciation, et seule une déportation, Ignace Schreter, le 9 septembre 1942, à l'initiative du secrétaire général de la préfecture d’Ajaccio, profitant de l’absence du préfet Paul Balley.
L'occupation des forces italiennes, peu engagées à la persécution des juifs en Corse, la précoce Libération de la Corse par l'Armée française de la Libération, ainsi que les positions protectrices car peu collaborationnistes, des préfets Pierre-Henri Rix et Paul Balley demeurent les raisons principales de cette situation cependant remarquable au regard de ce qui se déroule alors dans le reste de la France [20],[26].
Reconnaissance
En octobre 2010, l’association juive Hommage aux villages de France, regroupant des enfants et des familles de Juifs ayant été sauvés pendant la Seconde guerre mondiale, a rendu hommage au village de Canari en Cap Corse, pour en avoir sauvé[4],[3].
En 2017, le mouvement B'naï Brit remet deux menorah d'or aux deux présidents des conseils départementaux corses, en reconnaissance de l'action protectrice en faveur des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale[20],[27].
De nos jours
Institutions
En 2017, le rabbin Levi Pinson s'installe à Ajaccio et forme la communauté juive dans la cité impériale. En 2020, il délègue à Zalman Teboul et à son épouse le soin de diffuser le judaïsme à Bastia et en haute Corse[28].
Aujourd'hui, trois centres communautaires juifs « Beth Habad » font vivre le judaïsme insulaire.
Sur la route des Sanguinaires à Ajaccio avec le rabbin Pinson, sur le boulevard Giraud à Bastia avec le rabbin Teboul et dans le centre ville de Porto Vecchio avec le rabbin Sebbag, pour une communauté estimée à 500 personnes[29],[30].
La synagogue de Bastia Beth Meir[31] continue quant à elle de rallier la communauté « historique » de l'île, attachée à son intégration dans la vie locale et aux valeurs de la République[32]. Rattachée au consistoire israélite de France et gérée par l'association cultuelle et culturelle Israélite de Corse, elle est ouverte à toutes les fêtes. Depuis juin 2024, elle est animée par un délégué rabbinique du séminaire israélite de France : Mickael Hazzout, présent tout l'été et pour chaque fête. (Yom Kippour[33]et Yom Tov) et proposent de nombreux services[34].
Velléités
Face au dépassement du millier d'actes antisémitismes recensés sur le continent, à la suite des attaques terroristes du Hamas sur Israël, le 7 octobre 2023, et la guerre qui s'ensuit, de nombreux Juifs émettent le vœu de s'installer sur l'île de Beauté pour s'y sentir en sécurité[30],[35],[36]. Dans ce même temps, un groupe composé de 80 personnalités corses appellent la France à s’inspirer de l’histoire de la Corse « qui s’est toujours illustrée par sa défense des Juifs » et de conclure[30] :
« Amis Juifs, nous sommes avec vous. Résistons ensemble. Resistemu inseme ! »
Toutefois, en , des tags antisémites commencent à apparaître en Corse[37] dont l'un est « Juifs Fora FLNC IFF » (IFF : I Francesi Fora signifiant les français dehors) visant les continentaux et les juifs[38].
Filmographie
Le secret de Zia Maria, un film écrit et réalisé par Isabelle Balducchi en 2012 , parle du secret de la grand-mère de la réalisatrice, qui a caché un membre de la communauté juive de Bastia pendant la Seconde Guerre mondiale[39].
↑(en) Erika Tamm et al., « Genome-wide analysis of Corsican population reveals a close affinity with Northern and Central Italy », in Scientific Reports, volume 9, Article no 13581, 2019 (lire en ligne).
↑Gérard Bonet, « Balley (Paul, Louis, Emmanuel) », dans Nouveau Dictionnaire de biographies roussillonnaises 1789-2011, vol. 1 Pouvoirs et société, t. 1 (A-L), Perpignan, Publications de l'olivier, 2011, 699 p. (ISBN9782908866414)
↑Jean-Louis Panicacci, L’Occupation italienne: Sud-Est de la France, juin 1940-septembre 1943, Presses universitaires de Rennes, (ISBN978-2-7535-6736-8, lire en ligne), p. 239