Sa vie est sans cesse portée par cette volonté de filmer des corps, des paysages sauvages et des villes, d'enregistrer des sons et des voix[1]. Le cinéma de François Reichenbach est un cinéma sans frontières. Il réalise des œuvres différentes qui font partie de la nouvelle vague par sa liberté et son audace mais qui s’approchent aussi de celles de Jean Rouch par sa vérité[2].
Biographie
Enfance
François Reichenbach naît en 1921, à Neuilly-sur-Seine[3] dans une famille bourgeoise aisée composée d'industriels et d'hommes d'affaires. Son père Bernard est un homme d'affaires florissant et sa mère Germaine a une passion pour la musique ; c'est elle qui la transmet au petit François.
Son grand-père maternel, Gaston Monteux[4], est un industriel qui a fait fortune dans la chaussure ; il est l'un des premiers à acheter des toiles de maître de Chagall, Braque, Picasso, Soutine, Utrillo et Modigliani. Dans ses mémoires François Reichenbach raconte : « À l'âge de cinq ans j'étais terrorisé par tous ses visages dans les tableaux et je devins faussaire. J'ajoutais des moustaches et des poils aux nus de Modigliani. Ce canular prend une autre dimension quand l'on sait que j'ai fait un film avec Orson Welles sur le faussaire Elmyr de Hory en 1973 »[5].
Il est également le neveu du collectionneur de manuscrits et de livres Jacques Guérin et le cousin du producteur de cinéma Pierre Braunberger ; celui-ci l'a encouragé à faire du cinéma.
Se souvenant de l'immense collection de tableaux de son enfance, il part pour les États-Unis avec une carte d'émigré pour vendre des tableaux. Il débute à New York comme conseiller auprès de musées américains pour l'achat d'œuvres d'art en Europe, puis il vend des toiles de maître. Il réside plusieurs années aux États-Unis[6].
Dernières volontés
En 1993, sur son lit de mort, François Reichenbach confie à la cinéaste Danièle Thompson sa volonté d'être inhumé à Limoges où il a passé ses vacances dans sa jeunesse. Devant la remarque de la scénariste, faisant valoir qu'il ne serait pas commode de se déplacer, le cinéaste a répondu « Ceux qui m'aiment prendront le train »[7]. Cette citation a inspiré à Danièle Thompson le propos et le titre du film Ceux qui m'aiment prendront le train (1998) de Patrice Chéreau avec Jean-Louis Trintignant, Charles Berling et Vincent Perez[8].
François Reichenbach meurt le à Neuilly-sur-Seine. Le réalisateur Gérard Oury et sa fille Danièle Thompson étaient proches de François Reichenbach. Aussi, ils ont pris le train pour Limoges pour assister à son enterrement dans la section juive du cimetière de Louyat[9].
Réalisateur
Ce pionnier de la Nouvelle Vague[10] par l'importance de son œuvre cinématographique fait de ce cinéaste, au regard libre et respectueux de l'autre, un témoin privilégié de son époque. Il avait toujours une caméra chargée sur le siège arrière de sa voiture pour filmer immédiatement « au cas où » car il aimait « filmer tout ce qui bouge »[11]. La revue les Cahiers du cinéma écrit : « François Reichenbach est né avec une caméra dans l'œil »[12].
En 1955, il achète sa première caméra 16 mm Bell & Howell dont il n'a pas lu la notice. Il ignore comment utiliser la pellicule et il charge les bobines déjà impressionnées, ce qui donne son quatrième court-métrage Impressions de New York. Avec ses drôles d'images superposées, il a réinventé par hasard un procédé inconnu[13]. Le film est récompensé par le Prix spécial du jury au festival de Tours et une mention au festival international du film d'Édimbourg : sa carrière de cinéaste est lancée.
François Reichenbach filme tout ce qui lui passe par la tête, les deux yeux ouverts. Il dit que « le cinéma est fait par des borgnes : un œil dans le viseur, l'autre fermé pour mieux se concentrer sur l'image ». Lui, il garde l'autre ouvert (l'œil humain) pour ne pas perdre contact et ne pas abandonner le sujet filmé à la machine qu'est la caméra[11].
En 1957, il réalise son premier court-métrage Les Marines sur une unité d'élite américaine, qui impose un style nouveau par son impression de vérité, le culot et l'originalité du regard[14].
Ce boulimique d'images filme inlassablement ce qu'il observe au gré de son inspiration et de ses vagabondages. Il aime avant tout se présenter comme un musicien. Il réalise plus d'une centaine de documentaires en alternant les tournages entre la France, les États-Unis et le Mexique avec une filmographie très personnelle et des reportages artistiques proches du journalisme.
En 1960, son premier long-métrage L'Amérique insolite fait sensation avec un style nouveau par son impression de vérité et l'originalité du regard, il filme le citoyen américain depuis sa naissance jusqu'à sa mort dans toutes les circonstances cocasses, burlesques et insolites de sa vie.
François Reichenbach est un passionné du Mexique, il possède également la nationalité mexicaine. Dans ses mémoires Le monde a encore un visage[16], il raconte : « Entre le Mexique et moi le contact fut immédiat et définitif. Ce pays est ma terre d'adoption, d'amour et d'avenir ». Il y a séjourné très fréquemment depuis 1960.
De ses séjours et de ses tournages au Mexique — de Mexico Mexico, Entends-tu les chiens aboyer ? à Une passion mexicaine — il a amassé une collection exceptionnelle de plus de 3 000 objets d'art mexicains tout à fait remarquable : en particulier des masques mexicains ainsi que des statuettes, des céramiques, des tableaux de laine et des arbres de vie. « Ces masques, je les ai vus fabriqués par des masqueros dans les villages. Ils ont été portés, dansés. Je les ai filmés lors de grandes fêtes villageoises, dans des coins perdus du Mexique. Ils ont une vie. Leur magie est là et chacun me parle, raconte son histoire. Il faut savoir entendre et regarder »[17].