La fable de Schleicher est un texte artificiel composé en indo-européen commun (langue hypothétique et reconstituée) par August Schleicher en 1868. Scheicher fut le premier érudit à écrire un texte en indo-européen commun.
La fable, intitulée Avis akvāsas ka (en français : Le Mouton et les Chevaux), a été publiée par Scheicher en 1868, dans « Eine Fabel in indogermanischer Ursprache », Beiträge zur vergleichenden Sprachforschung[1].
Depuis, maintes réécritures de la fable ont été proposées, reflétant l'évolution de la conception de l'indo-européen commun.
En 1939, Helmut Arntz publia la première révision de la fable, écrite par Hermann Hirt[2]. En 1979, Winfred Patrick Lehmann et Ladislav Zgusta proposèrent une nouvelle réécriture de la fable. En 1997, dans l'Encyclopédie de la culture indoeuropéenne[3], parut une nouvelle version signée Douglas Quentin Adams. Les dernières réécritures en date sont celles de Frederik Kortlandt[4] (2007) et de Rosemarie Lühr (2008)[2]. En 2013, Andrew Miles Byrd, de l'Université du Kentucky, en a proposé une réécriture et une lecture[5].
Texte original et réécritures
Schleicher (1868)
Avis akvāsas ka
Avis, jasmin varnā na ā ast, dadarka akvams, tam, vāgham garum vaghantam, tam, bhāram magham, tam, manum āku bharantam. Avis akvabhjams ā vavakat: kard aghnutai mai vidanti manum akvams agantam. Akvāsas ā vavakant: krudhi avai, kard aghnutai vividvant-svas: manus patis varnām avisāms karnauti svabhjam gharmam vastram avibhjams ka varnā na asti. Tat kukruvants avis agram ā bhugat.
Hirt (1939)
Owis ek’wōses-kʷe
Owis, jesmin wьlənā ne ēst, dedork’e ek’wons, tom, woghom gʷьrum weghontm̥, tom, bhorom megam, tom, gh’ьmonm̥ ōk’u bherontm̥. Owis ek’womos ewьwekʷet: k’ērd aghnutai moi widontei gh’ьmonm̥ ek’wons ag’ontm̥. Ek’wōses ewьwekʷont: kl’udhi, owei!, k’ērd aghnutai vidontmos: gh’ьmo, potis, wьlənām owjōm kʷr̥neuti sebhoi ghʷermom westrom; owimos-kʷe wьlənā ne esti. Tod k’ek’ruwos owis ag’rom ebhuget.
Lehmann et Zgusta (1979)
Owis eḱwōskʷe
Gʷərēi owis, kʷesjo wl̥hnā ne ēst, eḱwōns espeḱet, oinom ghe gʷr̥um woǵhom weǵhontm̥, oinomkʷe meǵam bhorom, oinomkʷe ǵhm̥enm̥ ōḱu bherontm̥. Owis nu eḱwobh(j)os (eḱwomos) ewewkʷet: "Ḱēr aghnutoi moi eḱwōns aǵontm̥ nerm̥ widn̥tei". Eḱwōs tu ewewkʷont: "Ḱludhi, owei, ḱēr ghe aghnutoi n̥smei widn̥tbh(j)os (widn̥tmos): nēr, potis, owiōm r̥ wl̥hnām sebhi gʷhermom westrom kʷrn̥euti. Neǵhi owiōm wl̥hnā esti". Tod ḱeḱluwōs owis aǵrom ebhuget.
Glose grammaticale de l'« indo-européen classique » de Kortlandt 2010[7]
Le Mouton et les Chevaux
[Le] mouton et [les] chevaux
ʕʷeu.i-s
ʔiḱ.u-es-kʷe
mouton-NOM.SG
cheval-NOM.PL-et
[Sur une colline,] un mouton qui n'avait pas de laine
[Un] mouton auquel la laine n’était pas (un mouton tondu)
ʕʷeu.i-s
io-i
ʕuel.ʔn.eʕ
nē-ʔs
mouton-NOM.SG
REL-DAT
laine-NOM.SG
NÉG-être-3SG.INJONCTIF
vit des chevaux,
vit <des> chevaux,
ʔeḱ.u-ns
ʔe
uēiʼd
cheval-ACC.PL
alors
voir-3SG.AOR
l'un tirant une lourde charrette,
celui-ci tirant [un] lourd chariot,
tom
ʼgʷrʕ.eu-m
uoǵ.o-m
ueǵ-ont-m
DÉMONSTR.ACC.SG.M
lourd-ACC.SG
chariot-ACC.SG
transporter-PARTIC-ACC.SG
l'un soutenant une grosse charge,
celui-là [une] lourde charge,
tom
mʼg.eʕ-m
bor.o-m
DÉMONSTR.ACC.SG.M
grand-ACC.SG
charge-ACC.SG
l'un conduisant un homme à toute allure.
cet autre portant rapidement [un] homme.
tom
dǵm.en-m
ʔo.ʔḱ.u
ber-ont-m
DÉMONSTR.ACC.SG.M
être humain-ACC.SG
rapide-ACC.SG.N
porter-PARTIC-ACC.SG
Le mouton dit aux chevaux :
[Le] mouton dit [aux] chevaux :
ʔe
uē-uk
ʕʷeu.i-s
ʔeḱ.u-mus
alors
REDUPL-dire-3SG.PRÉS
mouton-NOM.SG
cheval-DAT.PL
« Cela me fait mal au cœur
[Le] cœur se rétrécit [en] moi (ça me désole),
ʕedǵ-o
ʔm-oi
ḱērʼd
faire mal-3SG.INTR.MOYEN
moi-DAT
cœur-NOM.SG
de voir un homme conduire des chevaux. »
en voyant [l']homme mener [les] chevaux.
ʕner-m
uiʼd-ent-i
ʔeḱ.u-ns
ʕeʼg-ont-m
homme-ACC.SG
voir-PARTIC-DAT.SG
cheval-ACC.PL
conduire-PARTIC-ACC.SG
Les chevaux dirent :
[Les] chevaux disent :
ʔe
ue-uk-nʼd
ʔiḱ.u-es
alors
REDUPL.dire-3PL.PRÉS
cheval-NOM.PL
« Écoute, le mouton,
écoute mouton
ḱlu-di
ʕʷu.ei
écouter-IMPÉR.2SG
mouton-VOC.SG
cela nous fait mal au cœur de voir ceci :
[le] cœur se rétrécit [dans les] ayant vu (nous nous désolons de ce que nous savons bien) :
ʕedǵ-o
ns-mi
ḱērʼd
uiʼd-ent-i
faire mal-3SG.INTR.MOYEN
nous-DAT
cœur-NOM.SG
voir-PARTIC-DAT.SG
l'homme, le maître,
[l']homme [le] maître
ʕnēr
pot.i-s
homme-NOM.SG
maître-NOM.SG
se fabrique un chaud vêtement avec la laine du mouton.
fait [de la] laine [des] moutons [un] vêtement chaud [pour] lui
ʕʷu.i-om
ʕul.ʔn.eʕ-m
su-bi
gʷer.mo-m
ues.ti
kʷr.ne.u-ti
mouton-GEN.PL
laine-ACC.SG
soi-DAT
chaud-ACC.SG
vêtement-ACC.SG
fabriquer-3SG.PRÉS.INDIC
Et le mouton n'a pas de laine. »
et [aux] moutons <la> laine n'est plus (les moutons n'ont plus de laine, ils sont tondus, c'est encore pire pour eux que pour les chevaux).
ʕʷu.i-mus-kʷe
ʕul.ʔn.eʕ
ne-ʔs-ti
mouton-DAT.PL-et
laine-NOM.SG
NÉG-être-3SG.PRÉS.INDIC
Ayant entendu ceci,
Ceci entendu-ayant
toʼd
ḱe-ḱlu-us
DÉMONSTR.ACC.SG.N
REDUPL-entendre-PARTIC.PARF.NOM.SG
le mouton s'enfuit dans la plaine.
[le] mouton plia (s’enfuit) [sur le] champ (il prit la poudre d’escampette).
ʕʷeu.i-s
pleʕ.no-m
ʔe
bēuʼg
mouton-NOM.SG
plaine-ACC.SG
alors
fuir-AOR.3SG
Commentaires
L'évolution de la fable, au fil des réécritures, témoigne des progrès de la linguistique sur l'indo-européen commun. On passe d'une langue très proche du sanskrit à une langue beaucoup plus complexe. Les dernières réécritures font apparaître la théorie des laryngales et la théorie des glottales(en).
*bʰeu̯g- « fuir » (Dans la traduction de Schleicher (de) bog « plia » [ou : prit une courbe] = racine probablement différente *bʰūgʰ- « courber »)
Références
↑(de) August Schleicher, « Eine fabel in indogermanischer ursprache », Beiträge zur vergleichenden Sprachforschung, Berlin, Ferd. Dümmler's Verlagsbuchhandlung, vol. 5, , p. 206-208 (ISSN2334-1270, lire en ligne)
↑Équivalent français de la traduction en allemand donnée par Schleicher, respectant ses crochets (éléments ajoutés en allemand) et parenthèses (périphrases), et notant entre < > les ajouts du français par rapport à l'allemand : Sylvain Auroux, Gilles Bernard et Jacques Boulle, « Le développement du comparatisme indo-européen (1999) », dans Sylvain Auroux (dir.), Histoire des Idées Linguistiques, t. 3, Pierre Mardaga, (ISBN2-87009-725-5, lire en ligne), p. 165
↑Classic Indo-European, troisième version de la fable au cours du temps (après séparation du groupe anatolien) dans Kortlandt 2010, avec gloses grammaticales et séparations de morphèmes données par Beekes 2011, p. 288, 296-297
↑(en) Robert S.P. Beekes, Comparative Indo-European Linguistics : An introduction, Amsterdam, Philadelphia, John Benjamins, , 2e éd., 415 p. (ISBN978-90-272-1186-6, lire en ligne)