Entreprise sans usineUne entreprise sans usine ou fabless (contraction de l'anglais fabrication et less, soit « sans usine, sans unité de fabrication »), conçoit ses produits et sous-traite l'intégralité de sa fabrication. Le modèle a d'abord été développé dans les secteurs des semi-conducteurs, de l'informatique, des télécommunications, puis s'est développé à tous les secteurs d'activité. Ce concept, mis en œuvre par les décideurs en entreprise, a accompagné la désindustrialisation qui touche la quasi-totalité des pays riches et industrialisés dans la seconde moitié du XXe siècle. HistoireEn France, l’économiste Jean Fourastié, devenu célèbre avec la publication en 1949 de son ouvrage Le Grand Espoir du XXe siècle, qui, bien avant les péripéties d’Alcatel, lancé en France la réflexion autour du dépassement de la société fordiste[1]. Dès les années 1980, des dirigeants d'entreprise font le constat que la valeur ajoutée d’une entreprise se trouve plus sur les phases de développement des produits et services et moins dans les phases de fabrication par l’industrie manufacturière[2]. Les décennies 1980 et 1990 voient l'apparition de « services de fabrications électroniques et de grandes firmes sous-traitantes. Dans cette industrie mondialisée, l'externalisation de la production par les Majors entraîne une délocalisation des productions des États-Unis et d'Europe occidentale en Europe de l'Est et en Asie »[3]. En France, dans les années 90, domine le discours politico-économique de déclinisme heureux : les usines disparaitront comme ce fut le cas pour l'agriculture auparavant. Décrit comme schumpétérien, ce mouvement croyait que la destruction des usines allait créer des millions d'emplois dans le secteur des services de meilleure qualité. Une évolution perçue comme porteuse de progrès social, puisqu'enfin l'usine, ultime symbole du travail pénible et sale disparaîtrait[4]... Mais le timing n’est pas bon : la stratégie a été menée en pleine crise des hautes technologies[5]. En 2011, le concept de fabless est salué par l'économiste soutien du NFP Julia Cagé[6] selon laquelle si l'Allemagne " se porte si bien quant à ses exportations, c'est en partie parce qu'il a délocalisé une part de sa production, tout en maintenant sur les sites nationaux les étapes à haute valeur ajoutée. La France doit avoir le courage de faire ce choix de l'outsourcing, parce que c'est celui de la valeur ajoutée et de l'emploi[6]". Contrairement à la France, outre-Atlantique, le mouvement a été compensé par l’émergence d’un puissant écosystème dans la tech autour de la Silicon Valley, qui soutient aujourd’hui la croissance[7]. Le terme fabless - une contraction des mots anglophones fabrication et less[8],[9] - naît en 1994, dans la Silicon Valley, quand Jodi Shelton, et initialement une demi-douzaine d'entreprises, créent le Fabless Semiconductor Association (FSA) pour promouvoir ce business modèle[10]. Son ambition est de "tenter de parvenir à un équilibre plus optimal entre la demande et la capacité de production de plaquettes". Quelques années plus tard, "ses plus de 350 membres représentent des entreprises sans usine, des fabricants de dispositifs intégrés, des fournisseurs de fonderie, des sociétés d'emballage et d'assemblage, des sociétés d'automatisation de la conception électronique, des banquiers d'investissement, des fournisseurs de propriété intellectuelle et d'autres entreprises"[11]. L'association changera de nom en 2007 pour Global Semiconductor Alliance[10]. Selon le journal Les Échos, « le modèle de l'usine virtuelle nous semble affecté d'une faiblesse beaucoup plus grave : celle de la sous-estimation du rôle du contexte dans la valorisation des compétences fondamentales »[12]. Bernie Vonderschmitt, cofondateur du fabricant américain de FPGA Xilinx, est un des pionniers dans cette approche de société sans usine. Apple a fait le choix de sous-traiter intégralement sa production tout en générant du profit par une maîtrise de la gestion de ses brevets et sous-traitants[2]. Plusieurs entreprises n'ont pas suivi cette stratégie, comme Intel (et AMD jusqu'au 7 octobre 2008[13]) qui développe ses propres capacités de production. En 2006, alors que la société de produits alimentaires Michel et Augustin se lance, ses dirigeants choisissent d'adopter un modèle fabless pour appuyer dès le début leur développement, une première dans l'agroalimentaire[14]. Le choix d'entreprise « sans usine », particulièrement par la France de 1995 à 2015, est associé à une désindustrialisation massive et sans précédent[15],[16],[2]. En 2011, selon Patrick Artus (de Natixis) et Marie-Paule Virard (journaliste économique), « à partir du moment où une économie ne produit plus assez de biens à exporter, un problème de solvabilité externe se pose. Des déficits de la balance des transactions courantes alimentent une dette externe qui doit être financée »[17],[18]. À la suite des crise du Covid-19 en 2020 et de la guerre en Ukraine de 2022, les faiblesses, mises à jour dans les chaînes productives et entraînées par le choix d'entreprises sans usines dans les pays développés, ont mis en avant un enjeu de souveraineté concernant certains produits vitaux et dans certains domaines stratégiques. Celles-ci ont poussé certains pays vers la réindustrialisation[19],[20]. DescriptionPrincipeLes entreprises sans usine se concentrent sur leur recherche et développement et évitent d'investir dans les outils, lieux et stocks de production, qui génèrent des coûts d'immobilisation[3]. D'autre part, « ils transfèrent les risques de sous-utilisation des capacités productives liés aux variations de la demande dans des marchés très concurrentiels et conjoncturels sur les sous-traitants qui embauchent ou licencient beaucoup plus facilement ». Les groupes concernés n'ont plus à faire face au « risque social et revendicatif des salariés de la production »[3]. L'externalisation des usines aide à la recherche d'intégration horizontale des entreprises par rachats de concurrents. Celles-ci se recentrent sur leur cœur de métier, d'où une meilleure efficacité de l'économie, au risque d'interdépendances accrues[réf. nécessaire]. Semi-conducteursDans le secteur des semi-conducteurs, les entreprises fabless sont spécialisées dans la conception et la vente de puces électroniques. La fabrication des puces est sous-traitée à des sociétés spécialisées dans la fabrication de semi-conducteurs appelées fonderies. Les sociétés fabless vendent également la conception d'une fonction électronique qu'elles protègent par des brevets ou vendent sous la forme de licences à d'autres fabricants de puces. Les sociétés sans usine les plus connues sont Nord américaines :
En 2004, la sous-traitance électronique représente un marché annuel mondial de plus 70 milliards $. « Entre 1996 et 2004, le chiffre d’affaires des six plus importants groupes passe de 5 à 49,2 milliards de dollar ». On peut citer les entreprises Flextronics, Solectron, Sanmina, Celestica, Jabil Circuits[3]. Les autres grandes fonderies mondiales sont TSMC, GlobalFoundries ou UMC. InformatiqueLe secteur informatique a connu dans les années 1980 un mouvement vers l'entreprise sans usine. Précédemment, les entreprises dominantes du marché, IBM, Digital, Unisys et autres, construisaient entièrement leurs systèmes, du processeur aux applications. Le désengagement des secteurs de conception-fabrication pour se consacrer aux développements à forte valeur ajoutée s'est poursuivi et étendu aux entreprises du secteur des ordinateurs personnels (Compaq, Dell, IBM, HP, Apple)[21]. TélécommunicationsPartant en 1995 d'un groupe industriel diversifié, Alcatel-Alsthom, anciennement connu sous le nom de la Compagnie générale d'électricité (CGE), Serge Tchuruk (son PDG) a fait le choix de se recentrer sur les équipements et réseaux télécoms, puis de mettre en œuvre l’idée qu’un groupe comme Alcatel devait, se concentrer sur la recherche et le développement, et abandonner la production aux marges plus faibles aux industriels des pays émergents et devenir une « entreprise sans usine »[22]. En 2001, le dirigeant d'Alcatel, annonce sa stratégie de cessions de ses centres de production[23],[24],[25],[9] Les activités non directement liées à son cœur de métier et celles comportant peu de valeur ajoutée, comme les composants électroniques classiques, ont donc été cédées aux champions de la production de masse, comme Solectron, Flextronics, Celestica ou Sanmina, Asteel. Les usines de Brest, Laval, Cherbourg , Illkirch ont été vendues aux sous-traitants. En 2009, à Eu, un des derniers sites industriels du groupe en France perd 40 % de ses effectifs[21],[26], Cette politique comporte les risques, d'affaiblir l'entreprise en perdant son savoir-faire, de rater les virages technologiques, de finir par détruire des postes dans la recherche et développement. Alcatel finalement devenue Alcatel-Lucent disparaît en 2016 à la suite de son absorption par Nokia[22]. Ericsson, Lucent et Nortel ont aussi choisi d'avoir recours à la sous-traitance en matière de fabrication[21]. Notes et références
Voir aussiArticles connexes
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