Daniel Mercure (sociologue)Daniel Mercure
Daniel Mercure (Québec, Canada) est un sociologue dont les recherches portent sur les changements sociaux contemporains et les transformations du monde du travail. Professeur titulaire et directeur du Département de sociologie de l’Université Laval[1], Daniel Mercure est reconnu pour ses travaux précurseurs sur les temporalités sociales et novateurs en sociologie du travail[2]. Ses études sur le temps social[3] ont contribué à façonner ce nouveau champ de recherche. Ses nombreuses publications sur les modèles productifs fondés sur la flexibilité[4] et ses travaux sur l’ethos du travail ont renouvelé notre compréhension des changements contemporains des formes d’emploi et de rapport au travail, de même que du lien social. En 2016, il a été élu à l’Académie canadienne des sciences sociales de la Société royale du Canada[5]. En septembre 2020, il a été nommé par le Conseil des ministres comme membre indépendant du conseil d'administration du Musée national des beaux-arts du Québec[6]. BiographieAprès un master en sociologie de la culture sous la direction de Fernand Dumont, il a obtenu un diplôme d’études approfondies en anthropologie sociale et culturelle, puis un doctorat, option sociologie, de l’Université Paris Descartes-Sorbonne, sous la direction de Georges Balandier. Il a été Visiting Fellow aux universités de Harvard, d’Oxford, de Genève, de Californie, de même qu’au LEST d’Aix-en-Provence. Il a effectué différents séjours de recherche ou d’enseignement aux universités de Paris-Sorbonne et Paris-Dauphine, ainsi qu’à l’European University Institute de Florence, à l’université de Séville, de Sfax, de Porto Alegre, etc. Il a été professeur invité dans le cadre de plusieurs chaires, notamment à la chaire Élie Halévy de l’Institut d’études politiques de Paris et à la chaire Jacques Leclercq de l’université catholique de Louvain ; plus récemment, à la chaire Jean D’Alembert de l’Université Paris-Saclay et à l’Institut d’études avancées de Paris[7]. Principal responsable de l’organisation d’une vingtaine de colloques, dont un congrès international sur le thème de la mondialisation[8], il est l’auteur ou le coauteur d’une douzaine d’ouvrages. Daniel Mercure assume aussi un rôle institutionnel significatif. Il fut vice-président, puis président de l’Association internationale des sociologues de langue française (2000-2004), dont il est aujourd’hui président d’honneur. Fondateur et coprésident du Comité international sociologie du travail, il est aussi le fondateur et le directeur de la collection Sociologie contemporaine aux Presses de l’Université Laval[9]. Récipiendaire de plusieurs prix, il a été élu chevalier de l’ordre de la Pléiade en 2001[10] par l’assemblé parlementaire de la francophonie. Il a aussi été membre du Comité scientifique de l’Association internationale d’études québécoises, de l’Association canadienne des sociologues et anthropologues, de plusieurs comités scientifiques de revues spécialisées dans le domaine du travail et de différents conseils d’administration, notamment celui du Musée de la civilisation du Québec ; il est l’un des gouverneurs du Centre d’étude et de coopération internationale du Canada[11]. RechercheTemps social et éclatement contemporain de l’avenirDaniel Mercure a d’abord publié des travaux sur le temps social, dont il examine et critique les principales catégories d’analyse, notamment celle de temporalité sociale[12]. Ses enquêtes de terrain montrent, à l’aide d’un modèle construit par substruction, que l’emprise sur le temps et l’avenir varie selon les catégories socioprofessionnelles, ce qui influe sur les capacités d’action des sujets. Sa typologie des représentations de l’avenir[13], qui se retrouve dans différents manuels[14], et ses études sur les temporalités vécues, ont contribué à la création d’un comité international d’étude des temps sociaux toujours actif, qu’il a présidé après l’avoir fondé à l’occasion d’un colloque qu’il a coorganisé en Belgique . Ses études sur les représentations de l’avenir proposent une analyse de la modernité fondée sur une mutation fondamentale de la temporalité vécue et du rapport à l’avenir. Comme il le précise à propos de l’émergence de la modernité : « L’histoire du futur est celle d’un fractionnement, d’un éclatement, d’une scission de plus en plus profonde de l’avenir. L`«à venir», ce qui vient à nous, s’est d’abord dissocié de l’avenir, laissant toute la place au futur : temps linéaire et cumulatif, temps du projet et du dépassement, mode d’organisation de l’avenir dont le but principal est de produire un présent autre, de produire un futur. La scission de l’avenir, le divorce entre l’« à venir» et le futur, engendre un nouveau rapport au présent, transforme celui-ci en un mode de l’actuel… Dépouillé de l’«à venir» et réduit à l’actuel, le présent du futur n’est plus alors que de l’éphémère[15]. » Mercure considère que c’est «de moins en moins dans l’absence que se pense le présent», et que la revalorisation de celui-ci exprime une critique forte des assises de la modernité. Conception du nouveau monde du travailSes études sur les temporalités vécues l’incitent à analyser les trajectoires professionnelles et les carrières, ce qui le conduit (après l’obtention d’un premier poste de professeur dans un département de sciences administratives) à une série de travaux sur les changements de modèles de travail. Dans Le travail déraciné[16], il élabore un cadre d’analyse dynamique des liens de dépendance réciproque entre «les conditions socio-économiques de production, les stratégies d’entreprise et les rapports sociaux de travail » en vue d’une analyse historico-sociologique des changements des modèles de travail[16]. Puis, il forge le concept d’impartition flexible pour rendre compte des nouveaux modèles de travail en émergence, concept qui lui permet de caractériser la transition des modèles fordistes aux modèles postfordistes. Pour l’essentiel, « l’impartition flexible désigne, d’une part, l’essor des pratiques d’externalisation du travail, soit l’impartition, spécialement celles qui ont trait aux nouvelles formes de sous-traitance directe et indirecte et, d’autre part, la quête de flexibilité tous azimuts, particulièrement au chapitre des flexibilités financière, technique, fonctionnelle et numérique »[17]. Sa mise en œuvre se distingue par un ensemble de changements dans les modes de gestion de la production, de l’organisation du travail et des rapports de travail qui visent, selon lui, à concilier trois objectifs : la sécurité des approvisionnements et du marché, la flexibilité de l’appareil de production et la haute productivité du travail. Ses principaux jalons sont « d’abord l’émergence de stratégies de performance arrimées à la stratégie globale de l’entreprise ; ensuite, la présence de formes de coordination et d’intégration des activités productives basées sur une logique de flexibilité et d’impartition ; enfin, la mise en place de systèmes de gestion du travail et de rapports de travail à la fois souples, polyvalents et concurrentiels »[17]. Cette contribution fut suivie d’une étude auprès de 700 entreprises portant sur les changements des formes de qualification qui accompagnent les transformations du modèle productif (Les entreprises et l’emploi. Les nouvelles formes de qualification du travail[18]). Les résultats de l’étude confirment l’accentuation du virage des entreprises vers la flexibilité, mais remettent en question les thèses fondées sur la fin de la division du travail et celles sur le néotaylorisme. En effet, il repère trois nouveaux modèles de qualification hybrides, qui arriment flexibilité et néo-taylorisation. Dans son esprit, la tension entre flexibilité et productivité ne prend plus la forme d’une opposition, mais celle d’un nouvel arrimage fonctionnel. Flexibilité et qualification en emploiSes travaux sur la flexibilité et la qualification l’amènent à poser un regard plus étendu sur les changements du monde travail. Il montre que les nouveaux modèles productifs, malgré leurs différences internes, reposent de manière constante sur trois dimensions clés : « l’émergence de la flexibilité comme logique d’entreprise ; l’essor d’un modèle de gestion des ressources humaines axé sur le développement des compétences et la logique de l’employabilité ; la promotion de modes de mobilisation et de contrôle principalement basés sur l’autonomie responsable et l’implication subjective au travail[19]. » Puis, il s’interroge sur le libéralisme contemporain. Après un essai sur Adam Smith, chez qui il voit les assises de la conception du lien social dans la modernité[20], il propose une lecture critique des transformations du lien social dans les sociétés néolibérales. Partant des travaux classiques de Smith, de Hume et de la tradition sociologique, il propose, dans Libéralisme et lien social. Une analyse critique[21], une perspective historique des changements en cours selon laquelle nous vivons une triple mutation fondée sur le renouvellement de la société comme marché, comme contrat et comme communauté sociétale en voie de reconfiguration. Culture, travail et managementC’est comme directeur scientifique d’une enquête financée par le secteur privé et l’ACDI qu’il aborde la question de la culture au travail. Dans Culture et gestion en Algérie[22], il montre, à partir d’un échantillon représentatif de l’ensemble des salariés algériens, les écarts profonds entre les fondements culturels de la société algérienne et les pratiques bureaucratiques de gestion héritées du modèle colonial français et renforcées par le socialisme bureaucratique. Ce livre critique, devenu une référence en Algérie, et le concept de hiatus culturel qu’il a développé, soulève la question de l’ethos du travail, en plus de constituer une critique radicale du One Best Way et des thèses traditionnelles sur le Culture Lag. C’est à la suite de cette enquête empirique qu’il s’intéresse aux différentes conceptions du travail, ce qui l’amène à piloter, avec un collègue allemand, un projet d’ouvrage théorique: mettre en relief les principales transformations des conceptions du travail dans l’histoire récente de la pensée occidentale. Il fait alors appel à plusieurs spécialistes de nationalités différentes qui examinent les étapes charnières des principaux changements dans un ouvrage ambitieux : Le Travail dans l’histoire de la pensée occidentale[23]. Après cet ouvrage, il étudie de manière empirique les fondements structurels des changements d’ethos du travail dans sa société. Il publie, avec son collègue Vultur, La Signification du travail. Nouveau modèle productif et ethos du travail au Québec[24]. L’ouvrage analyse les transformations des ethos du travail au Québec, concept qu’il opérationnalise sur la base de la finalité et de la centralité absolue et relative du travail. Ce livre actualise les thèses wébériennes et montre que, des 6 ethos identifiés, certains sont en phase avec le nouveau modèle productif en émergence, alors que d’autres témoignent de la persistance ou de l’effritement d’anciens modèles productifs. Des journées d’étude sont organisées à l’étranger et au Canada autour de ce livre primé (prix Turgot-FFA d’économie francophone), mais aussi critiqué par les tenants du Labor Process Theory en sociologie industrielle. Les nouvelles voies de la subjectivitéLes travaux récents de Daniel Mercure ont surtout été marqués par la mise en œuvre d’un programme international de recherche sur les nouvelles voies de la subjectivité au sein de nos sociétés. Ce programme, qui fait appel à une trentaine de chercheurs, a été déployé en collaboration avec sa collègue Marie-Pierre-Bourdages-Sylvain. Un premier ouvrage a examiné de manière critique les liens entre travail et subjectivité (Travail et subjectivité. Perspectives critiques[25]). Il fut suivi d’un séminaire international à l’Institut d’études avancées de Paris, lequel a porté sur les liens entre la vie quotidienne, les formes contemporaines de subjectivité et le travail, soit le rapport au travail, ce qui a donné lieu à la publication du livre Les transformations contemporaines du rapport au travail[26]. Les derniers travaux de ce programme s’inscrivaient dans une perspective plus large, notamment l’examen des liens entre les formes contemporaines de subjectivité, les changements culturels et les nouveaux modes d’institutionnalisation, ce dont rend compte l’ouvrage Société et subjectivité. Transformations contemporaines[27]. En parallèle à ce programme, il est aussi revenu à la sociologie du travail avec deux livres de synthèse : un premier avec Jan Spurk sur Les théories du travail. Les classiques[28] (qui actualise un ancien ouvrage); et un second, qui porte sur les transformations en cours des principaux concepts en sociologie du travail : avec M. Vultur, Dix concepts pour penser le nouveau monde du travail[29]. Approche théoriqueDe façon générale, les travaux de Mercure se caractérisent par un va-et-vient constant entre études théoriques et empiriques. Dans ses études de terrain, il associe souvent méthodes quantitatives et qualitatives. Dans ses analyses, ses schèmes d’explication font toujours appel aux éléments structurels et culturels. Ses travaux en cours mettent l’accent sur les nouvelles formes de mobilisation de la subjectivité au travail et les liens entre celles-ci, les exigences de performance du capitalisme actionnarial et les transformations culturelles du rapport au travail. Dans son esprit, les nouvelles formes de rapport au travail témoignent de ces changements et des effets des nouveaux modèles de management. Mercure considère que nous assistons à une importante révolution managériale, qui se trouve au centre de la transformation du monde du travail. Celle-ci repose essentiellement sur de nouvelles formes de mobilisation au travail qui sont à la source de nouveaux rapports de domination : « Arrimées à de nouvelles tendances culturelles marquées par l’individualisme qualitatif et la quête de réalisation de soi, ainsi qu’au regain de l’idéologie libérale du libre marché, les nouvelles normes et pratiques managériales modifient en profondeur les rapports de pouvoir et de domination au travail. Elles mettent l’accent sur des modes novateurs de mobilisation des subjectivités individuelles, de contrôles fondés sur l’autonomie responsable et la promotion de procédures de négociation des normes, le développement de soi par le développement des compétences ainsi que l’affirmation identitaire par la gestion symbolique de la reconnaissance. Elles s’inscrivent dans un nouvel esprit du capitalisme qui instrumentalise les besoins de réalisation de soi, un nouvel esprit où se conjuguent faits de culture et nouvelles logiques structurelles aux fins de la valorisation du capital[30]. » Dans ses séminaires et conférences, Mercure soutient que les entreprises tendent moins à organiser le travail qu’à organiser les esprits en vue de favoriser l’autorégulation, cependant qu’elles multiplient les formes de contrôle. Il considère que nous sommes dans un nouveau monde du travail, surtout dans les secteurs de l’économie du savoir, un nouveau monde du travail qui « repose sur un modèle inédit de pouvoir et de domination », ce qu’il résume de la manière suivante : « Aujourd’hui, les entreprises empreintes de la nouvelle logique postfordiste n’engagent plus la force de travail, mais la « personne » ; elles ne dirigent plus un travailleur, mais le guident dans son auto-évaluation ; elles ne sanctionnent plus le non-respect des consignes, mais amènent le travailleur à comprendre les motifs profonds qui inhibent son esprit d’initiative et expliquent ses faibles performances ; elles ne lui proposent plus un plan de carrière, mais un plan de développement personnel ; elles ne lui prescrivent plus des tâches, mais favorisent l’autoprescription des bonnes attitudes à la source des comportements attendus. Bref, idéalement, l’organisation ne s’impose plus à lui, car il est l’organisation, principal responsable de ses réussites et de ses échecs, qui sont aussi bien les siens que ceux de l’organisation[30]. » Conférence captéeLibéralisme et lien social, conférence présidentielle prononcée en 2004 à l'Association Internationale de Sociologie de Langue Française (AISLF)[31]. DocumentaireDaniel Mercure, en collaboration avec P. Fraser, a réalisé un documentaire intitulé Les transformations contemporaines du rapport au travail[32]. Ce documentaire rend compte d’un séminaire international qui s’est tenu à l’Institut d’études avancées de Paris en 2018. Daniel Mercure, en collaboration avec Pierre Fraser, a réalisé un documentaire intitulé «Un monde du travail en mutation». Les principaux intervenants de ce documentaire sont Jacques Létourneau, président de la CSN, et Louise Chabot, présidente de la CSQ. BibliographieLivres
Livres (direction, codirection)
Sélection d’articles et de chapitres de livre
Notes et références
Voir aussiArticles connexes
Liens externes
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