Les rencontres déterminantes se feront cependant en dehors des écoles : celles du compositeur Georges Migot et du mathématicien René Thom[4] en France, ainsi que du musicologue Annibale Gianuario en Italie[5].
Il soutient en 1982 à l’École des hautes études en sciences sociales une thèse de Troisième Cycle sous la direction de Louis Marin : L'Orphée moderne, rhétorique et métaphysique du «suono delle parole» dans l'humanisme littéraire et musical du Cinquecento[2].
À partir de 2003, Bruno Pinchard est titulaire de la chaire de philosophie de la Renaissance et de l’Âge classique à l’Université Jean-Moulin Lyon-III[7], où il est directeur de l’École doctorale de philosophie, région Rhône-Alpes (2007-2016).
Il y est élu en 2016 doyen de la faculté de Philosophie pour un mandat de cinq années[8].
Depuis 2021, il poursuit ses travaux en France au sein du Centre Jean Pépin (CNRS-ENS Ulm), et développe ses recherches selon deux axes institutionnels : la Société Dantesque de France dont il est le fondateur, et Actualités de René Thom[9].
Bruno Pinchard cherche en philosophie à rompre avec la « déconstruction » qui a régné sur sa génération intellectuelle et en appelle, en retour, à une « Métamorphose de la philosophia perennis »[10] (la « philosophie éternelle »), c’est-à-dire aux conditions d’une renaissance se confrontant aux conséquences des deux guerres mondiales[11].
Son étude sur la Fabbrica della mente, « architecture de l’esprit » (expression empruntée au Tasse), parue en 1992 sous le titre La Raison dédoublée, s’attache historiquement à la Renaissance italienne dont il fait l’épisode exemplaire d’un renouvellement de la philosophie[12]. Se fondant sur l’examen de cette période charnière, entre moyen-âge et temps modernes, il pose que l’architecture de l’esprit capable de porter une civilisation se construit à partir du « dédoublement » de son principe[13].
La pensée de la Renaissance s’est dédoublée entre scolastique et modernité (à travers la question de l’analogie)[14], entre paganisme et christianisme (avec le retour du platonisme), entre terre et mer (avec les grandes découvertes). À partir de ces observations historiques, le travail de Bruno Pinchard consiste à donner un sens conceptuel aux dynamiques de « dédoublement »[15]. Pour Pinchard, c’est seulement sur la base du dédoublement que la pensée réalise ses fins théoriques et pratiques.[16] Dès lors que l’esprit se dédouble, l’intelligence humaine devient féconde. Pinchard oppose ainsi le pouvoir critique de la dualité aux réductions à une unité contrainte qui, à ses yeux, caractérisent les idéologies[17],[18].
Libérer la scission irrépressible qui réside dans tout ce qui se réclame d’une unité, tel est selon cet auteur le véritable pouvoir de la pensée[19]. Pinchard parvient à en contenir le risque destructeur en trouvant dans les mythes humanistes une mesure capable de s’imposer à la puissance de division de l’intelligence[20]. Par cette culture du mythe réfléchi, la pensée de Pinchard est un humanisme[21].
Face à des oppositions qui semblent désormais irréconciliables entre profane et sacré, tradition et modernité, progrès et décadence ou globalisation et territorialisation, on trouve à l'œuvre selon Pinchard des mythes fédérateurs, fondements d'une communauté humaine. En effet, ces derniers ne font pas obstacle à l’approfondissement des dédoublements à la base de la vie historique [22],[23]. Ils en constituent seulement le fonds substantiel. Pinchard trouve des expressions universelles de ces mythes, en particulier chez Rabelais et chez Dante : les géants de l’origine et le culte des déesses méditerranéennes[24],[25]. Par les mêmes voies il défend l’ontologie contre le parti pris anti-substantialiste de la philosophie contemporaine, en particulier le courant phénoménologique, toute substance devenant pour lui un centre mythique, qu’il nomme après René Thom, un « puits de potentiel »[20].
Bruno Pinchard a entretenu un dialogue constant avec l’œuvre mathématique de René Thom[26]. Il a cherché dans la géométrie des catastrophes (des plis topologiques de l’espace) la forme profonde de ces mythes organisateurs[27],[28]. Sous l’impulsion de René Thom, sa philosophie est devenue un « occasionnalisme » qui fait de tout événement une occasion actualisant la forme pure d’un mythe[29]. Il a retrouvé jusque dans l’idée du Capital selon Marx un prolongement de ce point de vue[30], qu’on pourrait nommer un « occasionnalisme mythologique »[31].
En résumé le dédoublement selon Pinchard est la plus vieille marque de l’humanité qui se sait exposée au devenir et à la mort, celle d’un savoir confronté à sa part d’ignorance et à la dualité de son engendrement[32]. Être dédoublé, c’est être initié au secret du monde et retrouver sa place dans l’histoire de l’humanisation[33].
Ainsi le dédoublement s'établit selon Bruno Pinchard comme une méthode à mettre en œuvre dans le champ des sciences humaines comme dans tout effort d’interprétation des témoignages du passé. Il est finalement question pour cet auteur de répondre au défi posé par l'idée d'une fin de la métaphysique[34],[35].
Société Dantesque de France
Bruno Pinchard est fondateur en janvier 2016 de la Société Dantesque de France (SDdF) dont il est également élu président. Dans sa lettre de fondation, il invite plusieurs chercheurs et philosophes à réactiver l'initiative du professeur Laurencin et de Maurice Mignon d'avant la Seconde Guerre mondiale. En s'appuyant sur les nouvelles études historiques réalisées autour de l'image et l’œuvre de Dante Alighieri, la SDdF entend participer au réseau des sociétés dantesques dans le monde et travailler à la transmission de la pensée du poète[36],[37]. L'équipe de direction et le comité scientifique de la société réunit de nombreux et éminents italianistes, des philosophes, de jeunes doctorants ainsi que plusieurs universitaires[37].
Actualités de René Thom
Bruno Pinchard apporte sa contribution aux recherches en cours autour de l’œuvre de René Thom organisées, depuis 2018, par Jean-Jacques Szczeciniarz, Jean Petitot, Isabel Marcos et Clément Morier : Actualités de René Thom[38]. Bruno Pinchard y anime, en compagnie d'un artiste, Thibaud Bernard-Helis, un cercle de travail sur le néo-aristotélisme morphologique. Actualités de René Thom est patronné par l'IHSS de l'Université Paris VII Diderot et l'Université Nouvelle de Lisbonne (CICS. Nova)[2].
À l'occasion de la publication de son ouvrage Philosophie de l'initiation en 2016, il évoque son appartenance à la franc-maçonnerie[32]. Cet ouvrage reçoit en novembre 2016 et à l'occasion du Salon maçonnique du livre de Paris, le prix littéraire de la catégorie philosophie et société de l'Institut maçonnique de France[44].
Principales publications
Métaphysique et sémantique. Autour de Cajétan, Paris, Librairie philosophique, Vrin, 1987.
Savonarole. La Fonction de la poésie, précédé de « Le nœud de la colère », Lausanne, L’Âge d’Homme, 1989[45].
La Raison dédoublée. La Fabbrica della mente, suivi de « La transcendance démembrée » par René Thom, Paris, Aubier, 1992
(dir.), Rationalisme analogique et humanisme théologique, la culture de Thomas de Vio, Il Gaetano, Actes du Colloque de Naples réunis par Bruno Pinchard et Saverio Ricci, Naples, Vivarium, 1993.
Vico. De l’antique sagesse de l’Italie, Paris, Flammarion, « GF », 1993.
(dir.), « Fine follie » ou la catastrophe humaniste, Paris, Champion, 1995.
Le Bûcher de Béatrice, essai sur Dante, Paris, Aubier, 1996.
Une juste plainte, une juste prière: Ariane et Orphée aux origines du chant orphique de Claudio Monteverdi ; Introduction à la connaissance du "Parlar cantando" et du chant humaniste à Annibale Gianuario, Fondazione Centro Studi Rinascimento Musicale, Fiesole, 1997.
(dir.), La légèreté de l’être, études sur Malebranche, Paris, Vrin, 1998.
(dir.), Pour Dante : I. Dante et l’Apocalypse. II. Lectures humanistes de Dante, Paris, Honoré Champion-CESR, 2001.
Méditations mythologiques, Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, Le Seuil, 2002[a].
Un Dieu pour la ville, une âme dans la ville, cours d’Agrégation de philosophie sur saint Augustin, CNED, 2004[46].
(dir.), Heidegger et la question de l’humanisme : faits, concepts, débats, Paris, PUF, 2005.
(dir.), en collaboration avec Yves-Charles Zarka, Y a-t-il une histoire de la métaphysique? Paris, PUF, 2005.
Éducation, transmission, rénovation à la Renaissance, textes sur la Renaissance réunis par Bruno Pinchard et Pierre Servet, ouverture de Jacqueline de Romilly, Cahiers du Gadges, no 4, Diffusion Libraire Droz, Genève, 2006.
Recherches métaphysiques. Philosophie française contemporaine (Leçons données dans les universités japonaises, octobre 2008), édition bilingue, Tokyo, Nihon University press, 2009[47].
Philosophie à outrance, cinq essais de métaphysique contemporaine, Bruxelles, EME, 2010.
Rovesciamenti e rotazioni, Due saggi di metafisica contemporanea, a cura di Luigi Francesco Clemente, Nuovi Orizzonti, San Benedetto del Tronto, 2011[48].
Métaphysique de la destruction, Bibliothèque philosophique de Louvain no 86, Peeters-Vrin, 2012.
↑Cet ouvrage est disponible en roumain : Meditatii mito-logice, traduction de Dorin Ciontescu-Samfireag, préface et traduction trad. Ionel Buse, Édition Dacia, Cluj Napoca, 2010. En effet, le roumain : Meditatii mito-logice signifie "Méditations mytho-logiques". Voir la page de ce livre à la bibliothèque Fundația Noua Europă.
Références
↑« Hommage à Max Princhard », Le Havre Presse, (lire en ligne, consulté le ).
↑Bruno Pinchard, La raison dédoublée. La fabbrica della mente, suivi de "La transcendance démembrée" par René Thom, Paris, Aubier, , 621 p. (ISBN978-2700733396), pages 563 à 567
↑Jean-Pierre Osier, « La Raison dédoublée, La Fabbrica della mente par Bruno Pinchard. », Revue de Métaphysique et de Morale, , p. 569-570 (lire en ligne).
↑Joël Biard, « Quel humanisme ? », Espace Temps, , p. 117-121 (lire en ligne).
↑Olivier Boulnois, « Analyses et comptes rendus - Jérôme Savonarole, La fonction de la poésie, traduit et annoté par Bruno Pinchard », Les Études philosophiques, janvier- mars 1991, p. 128-130 (lire en ligne).
↑Marc Ragon, « La philosophie du voyageur. Concilier l'exercice rationnel de la science avec les désordres de la vie est la leçon de l'humanisme : la "Raison dédoublée" de Bruno Pinchard », Libération, (lire en ligne)
↑Bruno Pinchard, « À propos de l'article de Joël Biard », Espace temps, , p. 121-123 (lire en ligne)
↑Jean-Christophe Goddard, « Redonner à la philosophie le sens de la vie », Espace temps, , p. 123-127 (lire en ligne).
↑ a et bRené Thom, La Transcendance démembrée, postface à La Raison dédoublée de Bruno Pinchard, Paris, Aubier, , 621 p. (ISBN978-2700733396), p. 575-610
↑Luigi Francesco Clemente, « Recension », Cités, , p. 187- 190 (lire en ligne). cf. Luigi Francesco Clemente, Marx a rovescio, traduction italienne, Mimesis, 2017, Préface.
↑Jean-Christophe Goddard, « Redonner à la philosophie le sens de la vie », Espace temps, , p. 125-126 (lire en ligne).
↑René Le Moal, « Construire sa vie par la philosophie. Un entretien avec Bruno Pinchard », La chaîne d'union, , p. 16-21 (lire en ligne).