BibliomancieLa bibliomancie (du grec βιϐλία [biblia] : livre et μαντεία [manteia] : divination) est une pratique divinatoire consistant à ouvrir au hasard un écrit (livre sacré, recueil de poésie, etc.) et à tirer de la lecture d'un passage, également sélectionné au hasard, une prédiction ou une décision. Lorsque le livre choisi est un recueil de poésies, ce procédé est parfois appelé stichomancie (du grec στιχος [stichos] : vers) ou, plus rarement, rhapsodomancie (du grec ῥαψῳδός [rhapsōdos] : récitation)[1]. On qualifie souvent de bibliomancie des techniques proches, telles que les sortes homericœ (sorts homériques) et les sortes virgilianœ (sorts Virgiliens) de l'antiquité, les Sortes Sanctorum (sorts des saints) du monde chrétien, le Fal (bonne parole) des musulmans de Perse, etc. BibliomancieLes termes de bibliomancie, ou de stichomancie lorsque le texte est en vers, recouvrent diverses pratiques qui ont comme point commun le fait que la lecture au hasard d'un fragment de texte, sacré ou profane, apporte la réponse à une question ou décide d'une action. Ces pratiques remontent à l'antiquité et se sont perpétuées jusqu'à nos jours sous des formes diverses.
Sorts homériques ou virgiliensL'antiquité avait recours à l'usage des « sorts homériques » (sortes homericœ) ou des « sorts virgiliens » (sortes virgilianœ), procédé consistant à choisir au hasard un passage d'un des poèmes d'Homère ou de Virgile et de tirer de l'interprétation d'un vers la réponse à la question posée. Cette stichomancie était fréquemment utilisée durant l'Empire romain comme en témoigne ou au IVe siècle Saint Augustin :
François Rabelais consacre le chapitre X du Tiers Livre[3] à ce procédé et aux divers emplois qu'en auraient fait Socrate[N 1] et de nombreux empereurs romains : Opellius Macrinus, Alexandre Sévère, Adrian, Trajan, etc. Alfred de Musset (1810-1857) les pratiquaient encore au XIXe siècle. Selon son frère Paul de Musset : « L'auteur avait un goût particulier pour les oracles virgiliens. Il s'amusait souvent à en tirer non seulement dans Virgile mais dans toutes sortes de livres. Le poète qu'il consultait avec le plus de confiance était Shakespeare »[4]. Bath-KolAu sujet des sortes homericœ et des sortes virgilianœ, Alfred Maury avance que « Ce mode de consultation de l'avenir était un reste de celui que les Hébreux appelaient Bath-Col. »[5]. Or, dans le Talmud, le Bath-Kol (fille de la voix, en Hébreu: בּת קול) n'est pas un texte mais une voix céleste qui transmet la volonté divine. Dans la pratique, il s'agit en général d'une voix entendue au hasard disant un texte ayant une relation avec un évènement en cours[6]. C'est une manifestation de ce type qui est à l'origine de la conversion de saint-Augustin en 386. Dans ses Confessions il raconte, qu'alors qu'il était plongé dans une profonde affliction sous un figuier, il entendit une voix juvénile qui chantonnait « prends lis, prends lis ». Il y vit un message : « Je réprimai l’essor de mes larmes, et je me levai, et ne vis plus là qu’un ordre divin d’ouvrir le livre de l’Apôtre, et de lire le premier chapitre venu. »[7] Bible et évangilesDès le IVe siècle, et durant le Haut Moyen Âge, les clercs pratiquaient fréquemment le tirage au sort d'un passage des Saintes Écritures pour orienter leurs choix[8]. En 625, c'est en pratiquant la bibliomancie sur les évangiles que l'empereur byzantin Héraclius décida que c'est en Albanie qu'il ferait stationner ses troupes pour l'hiver[9]. Plus tardivement, le tirage au sort de passages des évangiles pour décider de l'intronisation de quarante-deux évêques est attesté en Angleterre entre 1070 et 1129[8]. Dans de grandes occasions, on procédait de façon solennelle : on plaçait sur l'autel, le psautier, les évangiles et le missel et, à l'issue de la messe, on ouvrait au hasard les trois livres pour en extraire un passage. On considérait que l'oracle était parfait lorsque les trois textes concordaient[10]. Au XVIIIe siècle, le prêtre anglican John Wesley (1703-1791), fondateur de l'Eglise méthodiste pratiquait la bibliomancie : « ...souvent il ne se déterminait dans sa conduite que d'après le passage de la Bible que le hasard lui avait offerte. »[11] Sorts des saints ou des apôtresLes sorts des saints (Sortes sanctorum), également appelés sorts des apôtres (Sortes apostolorum) semblent directement hérités des sorts Virgiliens de l'antiquité. Bien que souvent confondue avec la pratique consistant à ouvrir au hasard un livre canonique, les sorts des saints étaient des ouvrages spécifiques, composés de sentences faussement attribuées aux saints ou aux apôtres, dont le choix au hasard était censé donner la réponse à la question posée. C'est bien un livre spécifique que le pape Gélase Ier classa dans les ouvrages apocryphes en 494[12]. Un exemplaire écrit en provençal, daté de la fin du XIIIe siècle, a été découvert au cours d'une démolition à Cordes à la fin du XIXe siècle. Il commence par une longue prière qui se termine par « Ce sont ici les sorts des apôtres ». Suivent cinquante-sept sentences qui correspondent chacune à un fil de couleur. On choisissait un fil au hasard et le texte correspondant était censé apporter la réponse à la question posée[13]. D'autres ouvrages d'oracles ont été également utilisés dans l'occident chrétien, tels que les Sorts de Saint-Gall au VIIe siècle ou les sortes XII Patriarchum, Prenostica Pitagorice et Prenostica Socratis Basilei aux XIIe et XIIIe siècles[8]. Condamnations de l’Église
L’Église condamna ces pratiques à de nombreuses reprises. En 409 Gaudence de Brescia considéra que les sorts faisaient partie de l’idolâtrie. Dès 461, le concile de Vannes promulgua dans son XVIe canon : « Sous peine d'excommunication, les clercs ne doivent se livrer à la divination par le sort des saints et la sainte écriture. » L'interdiction du concile de Vannes fut reprise dans le XLIIe canon du Concile d'Agde en 506 : « S'il se trouve des clercs ou des laïques qui, sous le voile de la religion, et au moyen de ce qu'ils appellent faussement les sorts des saints, (quas mentiuntur sortes sanctorum), exercent l'art de la divination et promettent de faire connaître l'avenir que tout clerc ou laïque, convaincu d'avoir enseigné cet art ou de l'avoir exercé, soit excommunié »[15], par le premier concile d'Orléans en 511 dans son XXXe canon : « Soient excommuniés ceux qui observent les divinations, les augures ou les sorts appelés faussement les sorts des saints » et par le premier synode diocésain d'Auxerre en 565. Ces fortes interdictions ne semblent pas avoir été suivies de beaucoup d'effet car, encore en 1310, le synode de Trêves stipule dans un de ses canons : « Que personne ne promette de faire connaître l'avenir, soit au moyen de ce qu'on appelle les sorts des saints ou des apôtres, soit par l'inspection d'une écriture quelconque. » Dans le monde arabo-musulmanBien que la divination soit condamnée par l'Islam, il existe une pratique dite « fal » (bonne parole) qui est attestée au XVIe siècle sous la dynastie Séfévides en Perse (Iran), et aussi dans les traditions ottomanes sunnites à la même période, et poursuivie au moins jusqu'au XIXe siècle. Le fal, ou istikhar, consiste à ouvrir au hasard un livre de poèmes, en particulier ceux du poète persan Hafez (XIVe siècle) et d'en tirer un présage[16]. « Le poète Hafez se prête très facilement à ce genre d'interprétation à cause de la nature mystique de sa poésie et de la commodité qu'on a à isoler les vers de ses gazela en leur prêtant un sens plus ou moins approprié à la question qu'on pose. »[17]. Les ouvrages de Djalâl ad-Dîn Rûmî sont aussi fréquemment utilisés à cette fin. On peut également ouvrir au hasard un Coran, soit pour en tirer directement un verset[N 2], soit pour en extraire une lettre qui renvoie à une liste de distiques (couplets) ajoutés à la fin de l'ouvrage et considérés comme étant la réponse à la question posée[18]. La lecture directe du Coran doit se faire d'une façon précise : le musulman doit préalablement procéder aux ablutions rituelles. Puis, après avoir ouvert le Coran au hasard, il doit lire la septième ligne du feuillet droit, puis la septième ligne de la septième page avant et après. C'est de l'interprétation de la combinaison de ces trois lignes que ressort le présage[17]. Le Fâlnâmeh est un manuel abrégé de bibliomancie qui indique les valeurs divinatoires des lettres de l’alphabet[19]. L'ange des bibliothèquesDans un ouvrage paru en 1972, l'écrivain Arthur Koestler mentionne quelques exemples d'un phénomène qu'il appelle « l'ange des bibliothèques »[20]. Si, dans les exemples qu'il relate, il y a bien une relation avec un écrit, il s'agit en général de coïncidences relevant de la synchronicité et non de la recherche délibérée d'une réponse à un questionnement. Bibliomancie amusanteCertaines gaufrettes portent des messages qui peuvent être interprétées comme des sentences s'appliquant à leur lecteur. C'est aussi parfois le cas sur des emballages de bonbons ou de morceaux de sucre. Méthode de dépistage des sorciersDans son Dictionnaire infernal (1863), Collin de Plancy indique, sans préciser ses sources, que ce terme recouvrait également une pratique très différente : on plaçait un livre sur le plateau d'une balance et un suspect sur l'autre plateau. S'il était plus lourd que le livre, il était déclaré sorcier ou magicien[21]. Dans la littératureL'usage de la bibliomancie est rapporté dans de nombreux romans : Dans le Tiers Livre, Panurge cherche à prédire le sort de son mariage à l’aide des vers virgiliens sur les conseils de Pantagruel :
Alfred de Musset a recours à la bibliomancie dans La Confession d'un enfant du siècle (1836) :
Dans le roman de Wilkie Collins La Pierre de lune (1868), le narrateur Gabriel Bettredge, fervent admirateur de Daniel Defoe, emploie la bibliomancie en lisant au hasard des passages de Robinson Crusoé. Dans le roman de Jules Verne Michel Strogoff (1876) :
Un autre emploi est donné par Jules Verne dans un passage de son roman L'Île mystérieuse (1874) :
Victor Cherbuliez fait référence à la stichomancie dans Après fortune faite (1896) :
Notes et référencesNotes
Références
AnnexesBibliographie
Articles connexesLiens externes |