Bénédict, Augustin Morel est un psychiatre français né le à Vienne (Autriche) et mort le à Rouen[1]. Il fut connu, au milieu du xixe siècle, par ses expertises sur l'état mental de criminels et la postérité a surtout retenu sa théorie de la dégénérescence.
À la suite des guerres de la Sixième coalition, ses parents l'abandonnent aux soins d'un prêtre luxembourgeois, l'abbé François Dupont et de sa servante Marianne. Ceux-ci pourvoient à l'éducation et aux études du jeune homme[3].
L'intérêt de Morel pour la psychiatrie se précise après ses visites de plusieurs asiles pour malades mentaux à travers l'Europe. En 1848, il est nommé médecin en chef à l'asile d'aliénés de Maréville, près de Nancy[5]. Il y introduit des réformes pour le bien-être des aliénés et y réduisant, en particulier, les pratiques de contention. En médecine légale, il est le premier à demander que le sujet d'une expertise psychiatrique soit observé non en prison, mais à l'asile d'aliénés. Il étudie l'histoire ses handicapés mentaux et de leurs familles, la pauvreté et les maladies infantiles. En 1856, il est nommé médecin en chef à l'asile du manoir de Saint-Yon à Rouen[6].
Morel, influencé par diverses théories pré-darwiniennes de l'évolution, celles, en particulier qui accordent un grand poids à l'acclimatation, conçoit la déficience mentale comme le dernier stade d'un processus de détérioration. Dans les années 1850, il élabore une théorie où la dégénération mentale se développe de l'enfance à l'âge adulte.
Il publie, en 1857, un Traité des dégénérescences physiques, intellectuelles et morales de l'espèce humaine et des causes qui produisent ces variétés maladives, dans lequel il explique la nature, les causes et les indications de la dégénération humaine. Morel recherche les causes des maladies dans l'hérédité bien qu'il ait plus tard pointé l'alcoolisme et l'usage de drogues comme des causes de l'affaiblissement mental. Morel s'inscrit dans le mouvement intellectuel dominant au milieu du xixe siècle pour lequel, dans la mouvance du darwinisme, la dégénérescence de l'espèce humaine constitue un facteur majeurs en matière sanitaire, social, éducative, voire raciale.
Dans le premier tome de ses Études cliniques (1852), Morel utilise à l'occasion le terme démence précoce pour décrire les caractéristiques de certains jeunes patients[8],[9]
Morel utilise le terme de façon descriptive et non pour définir une nouvelle entité nosographique. Il désigne ainsi un groupe de jeune sujets atteints d'une forme de stupeur[10]. Leur état se caractérise par une torpeur, une énervation, un désordre de la volonté et ce qu'on reliait alors à la mélancolie. Morel a une compréhension traditionnelle de la [démence] : a contrario des conceptions actuelles, il ne la conçoit pas comme irréversible[11].
Bien qu'on ait pu voir dans les observations de Morel sur la démence précoce une préfiguration du diagnostic de la schizophrénie[10], d'autres ont montré de façon convaincante que les descriptions de Morel ne peuvent en aucune manière en faire un précurseur du concept de dementia praecox caractérisé par le psychiatre allemand Emil Kraepelin[12].
Leurs concepts respectifs de démence diffèrent de façon significative. Kreapelin utilise le terme dans le sens presque moderne de Schizophrenie alors que Morel ne décrit en aucune manière une catégorie nosographique. Le terme de démence précoce utilisé par Morel avait totalement disparu avant les études d'Arnold Pick et Emil Kraepelin et il est à peu près certain que ceux-ci n'en eurent même connaissance que longtemps après la publication de leurs travaux sur une maladie portant le même nom[13]. Comme l'a dit simplement Eugène Minkowski ; « Un abyme sépare la démence précoce de Morel de celle de Kraepelin. »[14]
↑(Hoenig, 1995, p=337) ; (Boyle, 2002 , p=46). Berrios, Luque et Villagran prétendent, dans leur article de 2003 sur la schizophrénie, que Morel n'utilisa le terme qu'en 1860, dans son ouvrage Traité des maladies mentales (Berrios, Luque, Villagran, 2003, p=117) ; (Morel, 1860). Dowbiggin prétend incorrectement que Morel utilisa le terme à la page 234 du premier volume de ses Études cliniques de 1852 (Dowbiggin, 1996, p=388) ; (Morel, 1852, p=234). Dans ses Études cliniques de 1852, Morel évoque la démence juvénile pour dire qu'il n'y a pas d'âge pour la sénilité et que, dans son expérience clinique, il y a autant de cas de sénilité parmi les jeunes que parmi les vieillards
(Morel, 1852, p=235). De plus Hoenig indique, avec raison, que Morel utilise le terme deux fois dans son traité de 1852, aux pages 282 et 361
(Hoenig, 1995, p=337) : (Morel, 1852, pp=282, 361). Dans le premier cas, il s'agit de jeunes filles affectées d'asthénie qui ont été plusieurs fois affectées de typhoïde. Il s'agit donc d'un terne descriptif et non d'un diagnostic. Le terme est utilisé, dans le second cas, pour préciser que la maladie des maniaques n'évolue pas nécessairement vers une forme précoce de démence
↑Berrios, Luque et Villagran (2003) page 117. Le terne Démence précoce n'est utilisé qu'une seule fois par Morel dans son Traité des dégénérescence physiques, intellectuelles, et morales de l'espèce humaine de 1857.
(Morel, 1857, p=391), et sept fois dans son livre Traité des maladies mentales : (Morel, 1860, pp=119, 279, 516, 526, 532, 536, 552).
↑Alors que Barrios, Luque et Villagran plaident en ce sens, voir page 117 de Berrios, Luque et Villagran en 2003, d'autres prétendent, sans preuve, que Krepelin a été inspira par Morel. Par exemple Stone 2006, p. 1.
(en) German E. Berrios, Rogelio Luque et Jose M. Villagran, « Schizophrenia: a conceptual history », International Journal of Psychology and Psychological Therapy, vol. 3, , p. 111–140 (lire en ligne)
(en) Mary Boyle, Schizophrenia : A Scientific Delusion?, Londres, , 2e éd. (lire en ligne)
(en) Norberto Aldo Conti, « Benedict Augustin Morel and the origin of the term dementia praecox », Vertex (Buenos Aires, Argentina), Argentine, vol. 14, no 53, , p. 227–31 (PMID14569313)
(en) Ian Dowbiggin, « Back to the future: Valentin Magnan, French psychiatry, and the classification of mental diseases, 1885-1925 », Social History of Medicine, vol. 9, no 3, , p. 383–408 (PMID11618728, DOI10.1093/shm/9.3.383)
(en) J Hoenig, A History of Clinical Psychiatry : The Origin and History of Psychiatric Disorders, Londres, Berrios, German E., , 336–48 p. (ISBN0-485-24011-4), « Schizophrenia: clinical section »
(en) Eduardo Luis Mahieu, « On Morel and dementia praecox », Vertex (Buenos Aires, Argentina), Argentine, vol. 15, no 55, , p. 73–5 (PMID15085229)
(en) B.A. Morel (Vol. 1), Études cliniques : traité, théorique et pratique des maladies mentales, Nancy, (lire en ligne)
B.A. Morel, Traité des dégénérescence physiques, intellectuelles, et morales de l'espèce humaine, Paris, J.B. Balliere, (lire en ligne)
(en) B.A. Morel, Traité des maladies mentales, Paris, (lire en ligne)
(en) Daniel Pick, Faces of degeneration : a Europeam disorder, c. 1848-c. 1918, Cambridge, Cambridge University Press, , 1re éd. (ISBN0-521-45753-X)
(en) Michael H. Stone, « History of schizophrenia and its antecedents », dans Jeffrey A. Lieberman, T. Scott Stroup et Diana O. Perkins, The American Psychiatric Publishing Textbook of Schizophrenia, Arlington, , 1–15 p. (lire en ligne)