Béatrice Nodé-Langlois est née le 4 avril 1940 à Compiègne[2], pendant la période des exodes qui accompagnent la Seconde Guerre mondiale et qui vont situer sa plus tendre enfance à Marseille.
Encouragée en cela par ce dernier, elle décide de se consacrer entièrement à l'écriture et à la peinture, une longue période pastelliste précédant son passage à la peinture acrylique. « Une artiste intéressante, maître de son langage » est-il de la sorte observé dès 1983 : « esquisses symboliques, silhouettes furtivement croquées, géométrie savamment dosée, ces Fragments de discours amoureux des couleurs rappellent l'esprit de Kandinsky. Personnages énigmatiques, vivant une tranche de vie dans un fond très travaillé, ces jets picturaux, uniquement composés aux pastels, sont plus que réussis. La suggestion joue son rôle provocateur et poétique »[6].
Chez Béatrice Nodé-Langlois, relève-t-on plus tard, en 1986[7], se confirment « d'étroites affinités électives entre le pinceau et la plume ». Énonçant son intérêt pour les travaux d'Isidore Isou et Henri Michaux[8], puis évoquant, à propos d'un voyage en Chine, l'absence de séparation qu'elle y voit confirmée entre peinture et écriture, « jusqu'à la Grande Muraille qui se présente comme une sculpture-écriture tracée à la crête, non seulement de la Chine, mais de notre planète »[9], elle-même interroge : « Peindre ? D'abord s'agit-il bien de peindre ? Ou d'une autre façon d'écrire ? »[7]
Les canettes écrasées
En mai 1993 sur la place de la Concorde, « événement microscopique qui a bouleversé ma façon de peindre » évoque-t-elle[10], Béatrice Nodé-Langlois accomplit le geste de ramasser dans un caniveau une canette métallique écrasée. Elle observe que cette canette « garde quelques traces de son passé d'aguicheuse publicitaire »[10], et que ces « restes de carrosserie lustrée mêlée à des rouilles, des plaies et des bosses » suggéraient « une beauté parlant de souffrance »[10]. Là se situe, pour l'artiste, l'acte inaugural inspirateur de toute la part de son œuvre classée sous le thème des Écrasés. « J'avais perçu, confie-t-elle, l'image d'un perdant de chair et d'os, voire, à travers lui, l'ombre éternelle de l'écrasement »[10].
Rassemblant en des techniques mixtes les canettes métalliques ramassées et la peinture acrylique, Les Écrasés, selon Béatrice Nodé-Langlois, « dérisoires petits cadavres de métal évoquant nos lendemains de fête et les stigmates de nos désenchantements »[10], mettent en lumière que « le rejet n'est pas une fatalité, que le devenir, et le changement, et la chance existent »[10], et tiennent du bas-relief : abimées, déchirées, aplaties, oxydées ou grumeleuses, les canettes écrasées peuvent en effet altérer la surface de leurs toiles, leur imposer rudesse et bizarreries, contraindre la fluidité de la peinture à cohabiter avec des rigidités métalliques[10].
La mort, l'amour
« Des images, des silhouettes comme on en rencontre dans les rêves ou lorsqu'on se prend à rêver à la terrasse d'un café » découvre Laurence Pythoud dans l'exposition La mort, l'amour en 1996[11]. Accoutumée à assortir chacune de ses exposition d'une préface, Béatrice Nodé-Langlois confie alors : « Le temps d'un rêve, une nuit, il me parut alors évident que peindre n'était pas une affaire de couleurs et de brosses. C'était animer un corps, puis l'envoyer se faire une place de haute lutte »[12]. Cette révélation est comprise par Laurence Pythoud comme une sorte d'introspection : dans cette part de l'œuvre, « la vie en toile de fond nourrit les fantômes de la propre histoire de l'artiste (ou serait-ce le contraire à la fois ?) et les nôtres, ou encore ceux qui passent simplement. Un travail de la mémoire, mais du hasard aussi, qui laisse émerger des émotions faites chair, où l'expression crée d'elle même sa forme »[11].
Louvre y es-tu ?
Béatrice Nodé-Langlois restitue cette autre démarche qui aboutit à son exposition de novembre 2019 Louvre y es-tu ? en la mairie du 1er arrondissement de Paris en écrivant : « Pour faire plus ample connaissance avec le 1er arrondissement, je me suis lancée dans de longues promenades au hasard des rues. Mêlée, emmêlée à ses passants, il m'est arrivé de les voir plus singuliers que des personnages de roman. Plus nus encore que les statues. Née de cette démarche, chaque toile de cette exposition associe une photo, localisée avec précision, à des personnages peints - disons très librement. Ceci en hommage au fantastique du grand sphinx de Tanis, aux paupières baissées de La Dentellière de Vermeer, au dos nu de la Vénus de Milo »[13].
Béatrice Nodé-Langlois écrit depuis 2001 dans la revue La Critique parisienne et est depuis 2011 membre de l'association Empreintes et arts regroupant des artistes et des psychanalystes[14]. Elle est membre du PEN Club français.
Elle meurt le 20 août 2023 à Nîmes[15] et est inhumée à Saint-Roman-de-Codières[16].
Œuvre
Livres publiés
La mère retrouvée, Plon, 1998.
Les écrasés, acte de naissance, Éditions d'écarts, 2001.
Exposée, roman autobiographique, Éditions d'écarts, 2013[17],[18].
Riant aux papillons d'or, Éditions d'écarts, 2019[19],[20].
Huis-clés, recueil de textes, reproductions et originaux d'œuvres plastiques par Jean-Pierre Paraggio, Robert Chapuis, Béatrice Nodé-Langlois, Tony Pusey, Georges Lem, André Bernard, Gabriel Peries, Tina Korr, Man Ray, Michel Dambrine, Ki Wist, Bernard Thomas-Roudeix, Claude Chabret, Claude-Lucien Cauët, Estela Rivello-Peries, édition limitée à 368 exemplaires numérotés, décembre 1989.
Hommage respectueux aux Cévennes, Espace Paris-Musique, Paris, juin 2002.
Galerie Mediart, Paris, 2003[2] (La dame aux pinceaux), décembre 2009 (Le silence[29]), juin-juillet 2012 (Sept milliards[22]), octobre 2016 (De nouveau les écrasés[23]).
Regards d'encre - Art et poésie : une manifestation itinéraires - art contemporain (rapprochement entre des peintures de Béatrice Nodé-Langlois et des poèmes de Mathias Lair, éditions La Rumeur libre), pavillon du Verdurier, Limoges, mars 2020 ; Galerie "À l'écu de France", Viroflay, mars avril 2020.
Festival Les Romanesques - Béatrice Nodé-Langlois (peintures), Ève Luquet (dessins et gravures), église Saint-Roman, Saint-Roman-de-Codières, août 2023[16],[33].
Regards d'encre 2 - Art et poésie - Hommage à Béatrice Nodé-Langlois, espace Jacques-Prévert, Mers-les-Bains, juin-août 2014.
Citations
Dits de Béatrice Nodé-Langlois
« Mais pourquoi ce bout de ferraille, ce dérisoire petit cadavre de métal, cet objet qu'on m'avait dit "dégoûtant" – Pas touche, petite, c'est sale ! – continue-t-il à me taper dans l'œil au point de ne plus voir en lui qu'une petite fleur d'asphalte, une feuille morte et nervurée, comme celles qui tombent des arbres et se ramassent à la pelle… Oui, les fameuses Feuilles mortes de Jacques Prévert, le merveilleux poète des choses simples… Pourquoi ? » - Béatrice Nodé-Langlois[34]
Réception critique
Écriture
« Exposée, qui est désigné comme un roman, mêle subtilement le récit de l'aventure épique de l'exposition à des réflexions plus profondes sur la création. La question fondamentale "Qu'est-ce que peindre ?" sous-tend tout le livre avant d'être clairement abordée. La narration originale surprend par des dialogues improbables (avec un courant d'air, par exemple)... Cette plume sensible et travailleuse est bien celle d'un écrivain. » - Célian de Préval[35]
Peinture
« Béatrice Nodé-Langlois avoue : "de plus en plus, j'écris mes tableaux"… Lire, car c'est bien d'écriture qu'il s'agit, et, sans le secours de l'artiste, il faudrait être un peu Champollion soi-même pour parvenir à déchiffrer ces nouvelles pierres de Rosette aux drôles de lettres, débridées, qui se contorsionnent, vivantes, vibrantes, danseuses, errantes, brillantes ou séductrices. Lettres déformées, jouées, trafiquées, transfigurées, magnifiées, avec leurs pieds-de-nez à la logique, leurs libertés de mœurs et de façons, mais leur soumission tout aussi bien… Béatrice Nodé-Langlois réinvente un langage ayant tout à la fois un tel pouvoir d'évocation et de dissimulation que malgré la clé que nous croyons détenir nous nous égarons vite, très vite, dans cette accumulation, ce grouillement, cet enchevêtrement, cette bousculade de signes aux tonalités bleues, grises, jaunes ou roses, pâles, fragiles et tendres, raffinées, sensuelles, où il nous est permis de lire tout et son contraire, d'y voir d'innocents jeux labyrinthiques ou quelques troublants tracés anthropomorphiques, "parlant aux sens, reconnaît-elle, bien plus qu'à l'intellect" et grâce auxquels cette peinture aime cultiver une certaine ambiguïté. » - Pierre Brisset[8]
« La couleur est primordiale chez Béatrice Nodé-Langlois. Il y a chez elle une jubilation de plonger dans la plénitude de ce qu'elle peut offrir, plus que dans sa matière, car les papiers et les toiles certes portent la vibration intense de la couleur, mais dans la légèreté. Pas d'épaisseur ni de pâte, et pourtant on pourrait le croire tant le plaisir et le jeu de la couleur sont là... C'est de la couleur qu'émergent les formes, silhouettes dont on ne sait en fait si elles apparaissent ou au contraire s'évanouissent bientôt. » - Laurence Pythoud[25]
« Ces œuvres aux faux airs primitifs (mais ni naïves ni ludiques) se subdivisent en bandes vaguement horizontales ou en parcelles géométriques aux contours irréguliers racontant chacun une histoire animée, souvent fantasmatique. Ces toiles éclatées, au style très personnel, peuvent intriguer, dérouter, mais ne sauraient laisser indifférent. » - Marc Hérissé[36]
↑ Agnès Dalbard, « Paysages humains de Béatrice Nodé-Langlois », Le Parisien, 27 avril 1989.
↑ a et b>Laurence Pythoud, « Béatrice Nodé-Langlois », L'Œil, novembre 1993.
↑ « Geprägt vom lyrischen Zug der Pariser Malerei - Austellung mit Bilder von Béatrice Nodé-Langlois in der Galerie des BBK Oldenburg », Nordwest-Zeitung(de), 16 février 1994.
↑Michel Nuridsany, « Arts : la rentrée dans les galeries parisiennes - Béatrice Nodé-Langlois chez Philippe Gand », Le Figaro, mardi 20 septembre 1994.