L'utilisation de troupes irrégulières légères harcelant les troupes régulières françaises, en particulier par la Hongrie pendant la guerre de Succession d'Autriche, conduisit à imaginer la levée de troupes capables de s'opposer aux houzards et autres pandours[2].
Une particularité de cette unité est qu'elle est composée à la fois de troupes à pied et de troupes montées, comme d'autres corps similaires contemporains. « Si l'infanterie était formée de volontaires jeunes et lestes[note 2], la cavalerie se composait de vieux soldats ayant fait leurs preuves, qui n'abandonnaient jamais leurs fantassins »[5].
Le rôle dévolu à cette formation était donc, d'une part, de s'opposer aux troupes légères ennemies et, d'autre part, de mener contre les troupes régulières ennemies le même type de guerre de harcèlement, qualifié, à l'époque, de « petite guerre » par opposition à la « guerre réglée » des batailles rangées et des sièges.
Très souvent cités et loués dans les écrits de l'époque[6],[note 3], leur rôle tactique est théorisé par Maurice de Saxe dans ses études consacrés à cette forme de combat.
Origine historique, organisation et rôle sur le champ de bataille
À sa création, à Metz[3],[note 4], le corps se compose de 300 cavaliers répartis en six compagnies, donnant deux escadrons, et 900 hommes répartis en neuf compagnies à pied. Pour constituer ce régiment, les compagnies franches de Bidache, Dulimont, Vandal et de Bayet, ainsi que les compagnies de dragons de Romberg et de Bidache, furent supprimées[3].
Cette unité est l'une des premières constituées pour se livrer spécifiquement à cette « petite guerre » – à l'instar des Chasseurs de Fischer levés en 1743 – et initiera la lignée des troupes légères jusqu'à la Révolution et au Premier Empire.
Le corps sera porté à 1 500 hommes par les ordonnances du et du .
Le rôle auquel cette troupe est destinée est double. En premier lieu, s'opposer aux troupes légères ennemies, en particulier celles alignées par l'armée de Marie-Thérèse d'Autriche - comme le redoutable régiment de pandours levé par Franz de Trenck - et qui avaient particulièrement gêné l'armée française[note 5]. En second lieu, porter la même gêne dans les rangs et le dispositif de bataille de l'armée ennemie, en attaquant ses lignes de communication, ses postes, son ravitaillement, etc.
Notre armée, en 1746, ayant quitté le camp des cinq étoiles, pour prendre une autre position, fut attaquée à son arrière-garde, dans la plaine de Ramillies, par toutes les troupes légères des alliés, qui donnèrent sur le régiment de Grassin en queue et en flanc. Celui-ci se présenta toujours en si bonne contenance, que non seulement il ne reçut point d’échec ; mais au contraire, qu’il chargea vivement, le sabre à la main, les troupes de hussards trop avancées, sans rien engager. Cette belle manœuvre, dont toute l’armée fut témoin, fit un honneur infini à ce régiment, qui perdit beaucoup d’hommes et de chevaux par le canon et par la mousqueterie des ennemis.
Propos de Thomas-Auguste Le Roy de Grandmaison sur les Arquebusiers de Grassin[7].
Composition des troupes
Composition des troupes à pied
Il y a neuf compagnies de même composition. Les deux compagnies de grenadiers apparaissent en 1745, avec l'augmentation des effectifs.
Ils apparaissent à l'origine, à raison de dix par compagnie. Ils ne sont réunis en compagnie que pour les manœuvres. Entre-temps, les grenadiers restent dans les compagnies[8]. En 1745, ils sont groupés en deux compagnies.
Pour chaque compagnie, on trouve un capitaine, un capitaine en second, un premier-lieutenant, deux sergents, trois caporaux, trois anspessades, trente-six grenadiers et un tambour[note 8].
Composition des troupes à cheval
Les six compagnies d'origine ont la même composition. L'augmentation des effectifs de 1745 va voir passer de six à huit le nombre de compagnies. Mais cela se traduira par le doublement de l'effectif des compagnies colonelle et lieutenant-colonelle[note 9].
Pour la compagnie colonelle et lieutenant-colonelle :
un capitaine en premier, deux capitaines en second, un premier lieutenant, un lieutenant en second, un cornette, deux maréchaux des logis, quatre cadets, six brigadiers, quarante-six arquebusiers et un trompette[3].
Pour les six autres compagnies :
un capitaine, un lieutenant, un cornette, un maréchal des logis, deux cadets, trois brigadiers, quarante-six arquebusiers et un trompette[3].
Uniformes
Les descriptions d'uniformes données ci-dessous sont basées sur l'ouvrage de François II Chéreau (1717-1755), fils de François Chéreau: Nouveau Recueil des troupes légères de France levées depuis la présente guerre, avec la date de leur création, le nombre dont chaque corps est composé, leur uniforme et leurs armes. Dessiné d'après nature sous la direction des officiers. Présenté à monseigneur le Dauphin par son très-humble et très-obéissant serviteur F. Chéreau (Paris, 1747)[note 10].
Uniforme du fusilier
L'uniforme est un habit en drap bleu de Roy, bordé de mouton blanc, parements noirs, boutons de cuivre jaune, collet et veste garance, culotte en drap bleu, guêtres de toile grise, bonnet rouge bordé de bleu, plaque de cuivre sur le devant, plumet blanc, et cocarde bleue et rouge[3],[9].
Sous l'Ancien Régime, à la fin du règne de Louis XIV, les régiments d'infanterie étaient dotés de trois drapeaux : le drapeau blanc royal - marquant symboliquement le fait que depuis ce souverain, le Roi était colonel-général de l'infanterie, le « drapeau colonel(le) » ou « drapeau de la compagnie colonelle » - agrémenté des armoiries et de la devise du colonel-propriétaire - et le drapeau d'ordonnance[11]. Les arquebusiers de Grassin auraient apparemment été les seules troupes légères à être ainsi dotées de couleurs comme un « régiment réglé » ( troupes régulières )[réf. nécessaire].
Troupes montées
D'après un article des « Carnets de la Sabretache » (n° 1 de 1893, page 43)[note 12], les guidons de cavalerie des Arquebusiers de Grassin sont à avers rouge portant le chiffre du roi, couronné, et à revers vert portant en son centre un soleil. Le corps possédait trois de ces guidons[note 13].
Campagnes des arquebusiers de Grassin
Enfin, outre le service qui est propre aux troupes legeres, il se présente mille autres occasions où le général peut s’en servir. M. le Maréchal de Saxe, par exemple, ayant été informé à la bataille de Fontenoy, qu’il paroissoit une tête d’ennemis sur la chaussée de Tournay à Leuse, y jetta, ainsi que dans le bois de Bary, tout le régiment de Grassin, qui couvrit non-seulement toute cette partie ; mais encore qui fut aux mains avec l’ennemi pendant l’action. A la bataille de Rocou, les régimens de Grassin et de la Morliere, formerent la pointe de l’attaque du village d’Hans du côté de Liége, et y entrerent les premiers. Ils étoient en même position à la droite de l’armée, sous les ordres de Mr le Comte d’Estrées, à la bataille de Lauffeld, où ils furent renversés et terrassés par la cavalerie angloise
Thomas-Auguste Le Roy de Grandmaison, La petite guerre ou traité du service des troupes en campagne, 1756[12].
Les arquebusiers de Grassin vont s'illustrer durant toute la guerre de Succession d'Autriche : ils participent activement aux grandes batailles rangées comme Fontenoy ou Raucoux et se distingueront aussi lors des sièges comme à Huy (). Ils opèreront souvent de concert avec une autre unité de troupes légères, les fusiliers de La Morlière.
Lors de cette bataille, les « Grassins »[note 14] sont postés dans le bois du Barry, sur l'aile droite des colonnes anglo-hanovriennes. Ils vont interdire à ceux-ci d'utiliser ce couvert pour menacer la ligne française. En revanche, les cavaliers, trop peu nombreux, ne furent que peu utiles. C'est pour cette raison que les effectifs du régiment seront augmentés après la campagne[13].
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Cette bataille illustre parfaitement l'utilisation des « Grassins », telle que prévue par le maréchal de Saxe. Ils sont d'abord utilisés comme éclaireurs pour l'avant-garde de du Chayla[14]. Ils vont se retrancher dans la « cense de Massenem », dont les alliés n'arriveront pas à les déloger[15],[16][source insuffisante]. Ils se retrouveront dépassés par l'armée ennemie[15].
En fin de journée, ils tomberont sur les arrières de l'armée alliée, occupée à des duels de mousquèterie avec la ligne française[17]. Ils pillent les bagages et menacent la ligne de retraite, décidant de la retraite de l'armée alliée.
Dans cette bataille, les « Grassins », associés aux fusiliers de La Morlière, sont à l'aile droite, rattachés aux troupes du comte d'Estrées. Par leur action en tirailleurs sur le flanc gauche de la ligne adverse, normalement couverte par des ravins et des chemins creux, et qu'ils débordent, ils favorisent la prise du village d'Ans, contribuant au retrait de l'aile gauche puis du gros de l'armée ennemie. Dans ces combats, les « Grassins » s'opposent à des troupes légères, pandours et croates.
En fin de journée, les « Grassins », avec les troupes légères, s'en prennent à l'artillerie hollandaise qui se retire. Ils s'emparent de vingt-deux pièces et « de plus de soixante chariots d'artillerie avec les attelages ». Ils sont aussi chargés d'attaquer et chercher à détruire des ponts sur la Meuse par lesquels l'armée ennemie est en train d'effectuer sa retraite.
↑Le terme d'« arquebusier » n'est pas à prendre au pied de la lettre et n'a rien à voir avec l'armement de ces soldats. Ce terme, à l'époque, renvoie à la notion de troupes légères, c'est-à-dire de troupes qui n'ont pas leur place dans la ligne de bataille, mais qui rendent des services d'éclaireurs et servent à « battre l'estrade ». Il y a d'autres unités légères affublées de ce même nom d'arquebusiers, comme les « Arquebusiers du Roussillon », levés en 1734[4].
↑Ces aptitudes physiques seront celles exigées plus tard des unités de chasseurs
↑Voir les citations de Thomas Auguste Le Roy de Grandmaison.
↑Pour sa part, le général Susane, dans son Histoire de l'Infanterie française, tome V, article 1439, donne Verdun comme lieu de création.
↑Un lieutenant réformé est un officier surnuméraire, généralement issu d'une compagnie dissoute mais conservé sous les armes pour pallier une vacance.
↑Ce terme désigne, à l'époque, des « bas-officiers », ceux que l'on désignerait de nos jours comme « sous-officiers ».
↑Il y a donc discordance entre ce que prévoit l'ordonnance pour les grenadiers, deux compagnies de cinquante hommes et le nombre prévu par compagnie d'arquebusiers existante. Les sources consultées ne fournissent pas d'explications.
↑La compagnie colonelle, ou, substantivement, la colonelle, est la première compagnie d’un régiment d’infanterie, qui était commandée par le major. Elles sont propriétés des deux officiers correspondants. Au cas particulier, le colonel et le lieutenant-colonel sont chacun propriétaire d'une compagnie à pied et d'une compagnie à cheval.
↑Voir également: Liliane et Fred Funcken, L'Uniforme et les Armes des soldats de la guerre en dentelle, Tome 2, figurines 9 de la planche « France, troupes légères » p.39 et Charles Pierre Victor Pajol : Les guerres sous Louis XV, Tome 7, p.234.
↑La schabraque – ou chabraque – est une pièce de drap ou de peau de mouton destinée à recouvrir la selle et la charge, quand elles sont sur le dos du cheval.
↑Formule abrégée que l'on rencontre fréquemment dans les textes de l'époque - voir notamment la correspondance de Claude Henry Feydeau de Marville déjà citée.
↑S. Picaut-Monnerat, La petite guerre au XVIIIe, p. 30.
↑ abcdefg et hV. Belhomme, Histoire de l'Infanterie française, tome 3, page 148.
↑Général baron Bardin, Dictionnaire de l'Armée de terre ou Recherches historiques sur l'Art et les Usages militaires des Anciens et des Modernes, Paris, 1842, Corréard, tome 2, article « Arquebusier », page 339.
↑Liliane & Fred Funcken : L'Uniforme et les Armes des soldats de la guerre en dentelle (XVIIIe siècle), Tome 2 p. 40 in Bibliographie.
↑Henry Pichat, "La campagne du maréchal de saxe dans les Flandres, de Fontenoy (mai 1745) à la prise de Bruxelles (février 1746) : suivie d'une correspondance inédite de Maurice de Saxe pendant cette campagne", 1909, Paris, R. Chapelot, page 70. Ouvrage accessible sur Gallica[3].
: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
Albert Depréaux, Les affiches de recrutement du XVIIe siècle à nos jours, J. Leroy et Cie, Paris, 1911 pp. 48-49Lien Gallica
Sandrine Picaud-Monnerat : La petite guerre au XVIIIe siècle, Paris, 2010, Économica, 685 pages, (ISBN978-271785829-7).
Victor Belhomme, Histoire de l'Infanterie en France, 1895, Paris et Limoges, Henri Charles-Lavauzelle, tome III, 528 pages.
Michel Pétard : L'Homme de 1748, les arquebusiers de Grassin in revue Uniformes, n° 91, , page 24.
Liliane & Fred Funcken : L'Uniforme et les Armes des soldats de la guerre en dentelle (XVIIIe siècle), Casterman 1975 pour le Tome 1 (ISBN2203143150) et 1976 pour le Tome 2 (ISBN2203143169).