Aniaba (également écrit Anabia ou Anniaba) est un prince d'Assinie (sud de l'actuelle Côte-d'Ivoire), du peuple ehotilé, qui fut envoyé en France en , à l'époque de l'arrivée des Français sur cette côte ouest-africaine[1]. Converti au catholicisme, avec Louis XIV comme parrain, il passe une dizaine d'années à Paris, Versailles, et guerroie en Picardie au sein d'un régiment de cavalerie. De retour en Afrique sur ordre de la Compagnie de Guinée, il échoue à gagner le trône de son royaume.
Après des ouvrages africains lui étant dédiés dans les années 70, et de simples mentions dans des ouvrages européens depuis, le roman Prince Ebène de Frédéric Couderc est le premier livre moderne en Europe qui se focalise en détail sur son parcours depuis le premier roman consacré à sa personne sur le vieux continent datant de 1740.
Sur les conseils d'un certain Hyon, marchand de perles de la rue du Petit-Lion, il entre dans la cathédrale Notre-Dame de Paris et est saisi d'une grande émotion religieuse[9] qui attira alors l'intérêt de la Cour auprès de laquelle, probablement encouragé par son entourage, il se représente comme héritier présomptif de la couronne d'Assinie - ce qui correspondait à certains objectifs stratégiques de la France qui imaginait l'Assinie comme regorgeant d'or[10],[11].
Présenté à Jacques-Bénigne Bossuet, il lui fit valoir être d'une famille chrétienne d'Ispahan, fuyant une irruption, ce qui lui valut le sobriquet de chevalier tartare.[12] Il fut par la suite, le , baptisé par Bossuet dans l'église des Missions Étrangères[13], parrainé par Louis XIV dont il reçoit le prénom (prénom complet Louis-Jean)[14], il profite des meilleurs précepteurs, devient officier d'un régiment de cavalerie avec une rente annuelle de douze mille livres, « le premier officier noir de l'armée française »[15].
Un ordre religieux, l'Ordre de l'Étoile-Notre-Dame, est même créé en 1701 à son intention pour protéger ses terres et sa mission en son retour qu'il confie à la Sainte Vierge[16]. À cette occasion, il fait don à Notre-Dame de Paris d'un tableau exécuté par le peintre du roi, Augustin-Oudart Justinat, où il est représenté en présence du roi de France et de Bossuet, et remet au peintre un diplôme qui sera recueilli par le baron de Joursanvault[17]. Le tableau disparut par la suite[18].
Retour en Afrique
À la mort du roi Zéna, la Cour résolut de renvoyer Aniaba prendre possession de ses États, aidée par la Compagnie de Guinée qui espérait en tirer bénéfice[19]. Accompagné de missionnaires et de marchands de la Compagnie, il partit le pour arriver le [20]. À leur arrivée, ils furent reçus par le nouveau roi Akasini, et Aniaba ne bénéficia d'aucune marque de respect. Après explications, les marchands purent toutefois obtenir du roi son accord à la construction d'une forteresse, le fort Saint-Louis, et permission au père dominicain Godefroy Loyer, préfet apostolique, d'évangéliser. Il en tira une relation de voyage publiée en 1714[21].
Plusieurs sources expliquent de façon différente qu'il n'ait eu absolument aucun pouvoir une fois revenu chez lui :
La version officielle était qu'il était héritier mâle d'un pouvoir dont la transmission était matrilinéaire, ce qui est le cas à Krindjabo, centre du Royaume du Sanwi[22]. Il ne pouvait donc en aucun cas hériter d'un quelconque pouvoir.
Particulièrement doué, il aurait été toutefois d'un statut social très inférieur, peut-être un esclave, poussé à se présenter en France sous le meilleur jour, afin de pousser la France à investir cette partie de l'Afrique. À l'appui de cette hypothèse, le Hollandais Willem (Guillaume) Bosman, dans son Voyage en Guinée de 1705[23] avance qu'il n'aurait jamais été que l'esclave d'un Kabaschir (Chef de canton, sur la Côte des Esclaves[24]), et aurait été reconnu à son retour à Assinie, perdant alors tout prestige.
Une possibilité intermédiaire suggère que, bien qu'apparenté à la famille royale, il était trop éloigné du trône pour avoir le moindre droit à régner[25].
Par la suite, une grande incertitude plane sur son sort :
N'ayant donc aucun droit à la succession, il aurait malgré tout été adopté par les nouveaux souverains Essouma de son village[26], mais sans aucun pouvoir[27].
D'après l'article, Histoire de la Côte d'Ivoire, après être revenu à l'animisme et avoir penché en faveur des Hollandais et des Anglais[28], il serait devenu en 1704, se faisant appeler Hannibal, conseiller du roi de Quita (actuel Togo), ou bien Keta, au Ghana[29].
La possibilité la plus documentée est qu'il serait revenu en France, à Libourne, en 1703[30].
Pour finir, dès 1740, son histoire romancée a été contée dans un ouvrage anonyme, Histoire de Louis Anniaba : Roi d'Essenie en Afrique sur la Côte de Guinée[31], faisant de lui le premier héros noir d'un roman français[32].
Dans la culture populaire
Outre ce premier récit romancé d'un auteur anonyme publié en 1740, mentionné ci-avant, Aniaba et sa vie ont inspiré de nombreux auteurs, dramaturges, historiens et scénaristes modernes produisant les représentations suivantes:
Livres
Le livre Aniaba, un Assinien à la cour de Louis XIV, publié en 1975 par la professeure d'Histoire, femme de lettres et femme politique ivoirienne Henriette Diabaté (co-auteur: Gilles Lambert) est l'un des premiers ouvrages francophones modernes à mettre en lumière ce personnage unique dans l'Histoire[33].
La courte pièce de théâtre Le Prince d'Assinie, drame historique en 3 actes, du dramaturge ivoirien Anoma Kanié, paru en 1977, est inspiré de sa vie[34].
Le tome 10 Adélaïde et le Prince noir de la série de romans historiques pour enfants (9 - 13 ans) Les Colombes du Roi-Soleil écrite par la romancière française Anne-Marie Desplat-Duc et paru en 2011, met en scene une romance entre Aniaba à 17 ans et une jeune noble normande, Adélaïde de Pélissier, la "colombe" du tome, pensionnaire de Saint-Cyr[38],[39].
Un chapitre du livre Les Enfants de l'Histoire - 16 destins exceptionnels, de l'Antiquité à nos jours, co-écrit par Céline Bathias-Rascalou et Dimitri Casali, publié en 2019, est consacré à Aniaba[40],[41].
Un livre de Serge Bilé, Prince Aniaba, le mousquetaire ivoirien de Notre-Dame de Paris, est également sorti en mars 2023[42].
Cinéma
Le personnage du mousquetaire noir Hannibal, lointainement inspiré par Aniaba (qui a vécu près de 60 ans après l'époque de l'action) est joué par l'acteur Ralph Amoussou dans le film Les Trois Mousquetaires : Milady (2023)[43].
Télévision
Le Prince d'Assinie, Anniaba, joué par l'acteur britannique Marcus Griffiths, est introduit dans l'épisode 3 de la première saison de la série franco-canadienne Versailles (2015).
Disney+ diffusera prochainement la série Black Musketeer, un spin-off du diptyque Les Trois Mousquetaires, librement adapté de Prince ébène[44].
↑Claude-Hélène Perrot, Les Éotilé de Côte d'Ivoire aux XVIIIe et XIXe siècles : pouvoir lignager et religion, Paris, Publications de la Sorbonne, coll. « Hommes et société », , 256 p. (ISBN978-2-85944-598-0, lire en ligne), p. 36
↑Archives Départementales de Charente-Maritime, Un commerce pour les gens ordinaires ? La Rochelle et la traite négrière au XVIIIe siècle, 80 p., p. 10
↑Un ivoirien d'Assinie à la cour de Louis XIV " Ce qu'il y vit le pénétra si fort que, sur-le-champ, il alla trouver le sieur Hyon, qui le présenta au roi, à qui il raconta les motifs de son voyage,… " Le récit du père Labat diverge : Aniaba n'est pas un prince. "Aniaba a été conduit par le capitaine Compère, dans le dessein d'en faire son valet ; il lui fut enlevé par des gens qui avaient intérêt à le faire passer pour prince et qui le firent passer pour tel à Paris et à la cour.
↑Histoire de Bossuet, Volume 2 Cardinal Louis-François de Bausset, 1824 : Ce fut vers 1692, que cet étranger se présenta chez Bossuet, sous les auspices d'un missionnaire ou bénédictin anglais… Il racontoit que la crainte d'une irruption avoit engagé sa famille à l'éloigner de son pays, sous la conduite d'un gouverneur, qui embrassa le christianisme à Ispahan…il parloit des pierreries avec lesquelles sa mère l'avoit fait sortir de son pays, et on en avoit vu quelque reste. Il soupiroit profondément comme un homme qui déplorait, sans dire un mot, l'état d'où il étoit déchu.
↑Catalogue analytique des archives de Monsieur le baron de Joursanvault, 1838Louis Aniaba, par la grâce de Dieu, roi d'Eissinies, à la Côte d'Or, ... institue, sous la protection de la très sainte Vierge, un ordre de chevalerie sous le nom de l'Ordre de l'Étoile de Notre-Dame, et voulant laisser en France, après son départ, des monumens de sa dévotion et reconnaître les services qui lui ont été rendus par Oudar-Augustin Justina, auteur du grand tableau qu'il a donné à l'église Notre-Dame de Paris, où il est représenté à genoux devant la sainte Vierge et son enfant Jésus qui lui remet le collier de son dit ordre, en présence du roi de France, son bienfaiteur et parrain, et de M. l'évêque de Meaux, il institue ledit Justina, chevalier de son ordre (Paris, 12 février 1701)
↑L'histoire du prince AniabaMais, hélas! La Compagnie de Guinée se désintéressa bientôt de cette lointaine installation; les deux dominicains s'éloignèrent de ces parages dès le mois de mars 1703, avec le chagrin d'avoir vu Aniaba retourner à ses fétiches; n'osait-il pas, même, dire au Père Loyer qu'il estimait plus les trompettes de chez lui que les hautbois du Roi à Versailles? De Notre-Dame le tableau disparut; la conversion du royaume d'Assinie était ajournée.
↑Aboisso, Us et coutumesIl est choisi dans la famille royale suivant les règles du système matrilinéaire Akan.
↑A new and accurate description of the coast of Guinea, divided into the Gold, the Slave and the Ivory Coasts, Willem Bosman, 1705 Some Years past the French were accustomed to seize all the Negroes that came on board them, and sell them into the West-Indies for Slaves ; amongst which happened to be the beforesaid Lewis Hannibal, Christened by the French ; but finding him endowed with a more sprightly Genius than his Country-Men, instead of selling, they brought him to the French Court, where this Impostor pretended to be Son and Heir apparent to the King of Assinee, by which means he so insinuated himself into the good Opinion of the Court, that the King made him several very rich Presents, and sent him back to his own Country in the manner above related ; but upon his Arrival upon the Coast, he was discovered to be only the Slave of a Caboceer of Assinee.
↑[Dictionnaire des ordres religieux, ou Histoire des ordres monastiques, religieux et militaires et congrégations séculaires de l'un et de l'autre sexe, Abbé Migne, 1847] J'ai appris d'un Français qui est un de ceux qui restèrent en otage parmi ces peuples, que cet Aniaba n'était point prince ni de la famille royale; que sa mère avait seulement épousé en secondes noces un parent du roi.
↑Aniaba, un Assinien à la Cour du roi soleilC’est ainsi que notre héros, fils de la princesse déchue Ba, héritier présomptif du trône d’Assinie se trouva privé de ses droits légitimes... Adopté par le roi et son épouse, l’enfant fut en effet aussitôt associé à la famille régnante. Ses droits à la succession perdus, il devint néanmoins un fils Essouma, un Aniaba, puisque tel était le vrai nom des nouveaux souverains.
↑Assinie À son retour, trois mois plus tard, le fort Louis est construit à Assinie et Aniaba est relégué au fond du village
↑Histoire Générale des Voyages, John Green (Géographe),Antoine-François Prévost (dit Prévost d'Exiles),Alexandre Deleyre,... 1747 On le soupçonnoit même d'entretenir des intelligences secrètes avec les Hollandois, & de soutenir leurs intérêts à sa Cour. Comme cette conduite ne pouvoit venir que d'une ingratitude monstrueuse, le Chevalier Damon qui etoit chargé de lui faire quelques présens lorsqu'il seroit monté sur le trône, aima mieux les distribuer au Roi Akasini, au Capitaine Yamoké son frère, & au Capitaine Emon son neveu, qui marquoient plus d'attachement pour les François que cet apostat.... Le Mercure de l'Europe de l'année 1701, imprimé à Paris, représente cet imposteur, sous le nom de Louis Annibal ...
↑Prince noir et Roi-Soleil Il disparaît d'Assinie et mourra peu après, âgé de 28 ans, à Keta (Ghana), où il était devenu conseiller d'un chef local
↑Œuvres complètes de Bossuet, évêque de Meaux, Volume 1, Jacques Bénigne Bossuet Mais lorsqu'on fut informé que le jeune Aniaba était né sur la Côte-d'Or, en Afrique, Louis XIV, qui désirait y former un établissement, le fit embarquer au mois d'avril 1701, sur un bâtiment commandé par le chevalier D'Amon, qui aborda sur la Côte-d'Or, au royaume d'Issim, le 25 mai 1701 ; il y débarqua le jeune Aniaba. Il paraît que ce jeune homme s'y conduisit fort mal sous tous les rapports, et qu'il renonça même à la religion chrétienne. Le capitaine Damon l'abandonna, eu 1704, à sa mauvaise destinée; apparemment Aniaba s'ennuya de son sort, et regretta l'existence qu'il avait en France, puisque la lettre de Bossuet nous apprend qu'il était revenu à Libourne en 1703.
↑Henriette Diabaté et Gilles Lambert, Aniaba, Un Assinien à la cour de Louis XIV, ABC - Nouvelles Éditions Africaines (NEA) - Éditions Clé - Paris - Dakar - Yaoundé, , 92 p. (ISBN9782858090082)
↑Anoma Kanié, Le Prince d'Assinie, drame historique en 3 actes, Centre d'édition et de diffusion africaines - CEDA, , 83 p. (ISBN2-86394-083-X, EAN9782863940839)
↑Anne-Marie Desplat-Duc, Les Colombes du Roi-Soleil- Tome 10 - Adélaïde et le Prince noir, Flammarion Jeunesse, , 420 p. (ISBN9782081243330, EAN9782081243330)
↑Céline Bathias-Rascalou et Dimitri Casali, Les Enfants de l'Histoire - 16 destins exceptionnels, de l'Antiquité à nos jours, Paris, First, , 299 p. (ISBN2412045380, lire en ligne), Il confie le néophyte au plus grand prédicateur de France, à la gloire incontestée: Bossuet, évêque de Meaux. Le 1er août 1691, le roi Louis XIV lui accordant l'insigne d'honneur d'être son parrain - privilège ordinairement réservé aux princes du sang ! -, on lui donne sur les fonts baptismaux les prénoms de Louis-Jean. L'acte de baptême d'Aniaba dit d'ailleurs: « Par permission expresse de monseigneur l'archevêque, a été baptisé, en la chapelle du séminaire des missions étrangères, Louis-Jean Aniaba, âgé d'environ 20 ans, fils du roy d'Issigny [Assinie], en Guinée, en Afrique au nom et par ordre du roy.»