Affaire des HLM de Paris

L'enquête sur l'affaire des HLM de Paris (OPAC) a débuté en pour des faits de favoritisme s'étendant entre 1989 et 1995. Particulièrement complexe, l'instruction fut émaillée de multiples incidents (affaire Schuller-Maréchal, refus des policiers de perquisitionner chez Jean Tiberi, dénonciations d'un mystérieux corbeau…) et bifurcations (affaire des HLM des Hauts-de-Seine).

Dans son ordonnance de renvoi pour le procès de 49 prévenus qui s'est ouvert en janvier 2006, le juge d'instruction Armand Riberolles, successeur du juge Éric Halphen, écrit que « l'instruction n'est pas parvenue à établir formellement l'implication personnelle de responsables au sein de l'appareil politique du RPR », tout en relevant qu'« un grand nombre de témoignages, corroborés par divers éléments factuels, concourent à établir que Jean-Claude Méry avait reçu mission d'assurer le financement des activités politiques de ce parti en collectant des fonds, notamment auprès des entreprises fournisseurs de l'OPAC. » (cité par Le Monde du 25 janvier 2006). Parmi ces entreprises figurent Tecni, filiale de Vivendi-Générale des Eaux, la Cofreth, entreprise de chauffage, la SAR, entreprise de Travaux publics, la Somatem, entreprise d'ascenseurs, et d'autres.

Chronologie

1994

  • Janvier 1994 : le fisc découvre qu'une société d'assistance commerciale, la Seatib, adresse des factures ne correspondant à aucune prestation à une entreprise spécialisée dans le revêtement de façades, la SAR, dirigée par un ancien gardien de la paix, gaulliste de toujours et proche de Jacques Chirac, Francis Poullain[1],[2]. Le fisc apprend que la SAR règle d'autres factures fictives à deux chefs d'entreprise : Jean-Claude Méry, homme d'affaires réputé être l'un des financiers occultes du RPR, et Jacky Chaisaz, ingénieur, animateur d'une société spécialisée dans les travaux d'isolement[3].
  •  : une information judiciaire est ouverte et confiée au juge d'instruction Éric Halphen[8]. Selon Le Monde du , une « petite chemise rose » en provenance du ministère du Budget, alors dirigé par Nicolas Sarkozy, atterrit sur le bureau d'instruction du juge Éric Halphen. Elle attire l'attention de la justice sur de fausses facturations mêlant la société SAR, dirigée par Francis Poullain, à Jean-Claude Méry, membre du comité exécutif du RPR, qui exerçait une activité de consultant auprès des entreprises du bâtiment[9].
  •  : le juge Éric Halphen place sous mandat de dépôt Francis Poullain[10]. Le montant des fausses factures est estimée à 20 millions de francs[3].
  •  : un témoin « digne de foi » met le juge Éric Halphen sur la piste du financement illégal du RPR. Éric Halphen reçoit une personne désireuse de garder l'anonymat. Ses confidences, dûment enregistrées sur procès-verbal, vont donner à l'affaire une dimension politique[11].

« L'argent recueilli par Francis Poullain grâce aux fausses factures aurait bénéficié à plusieurs hommes politiques du RPR. Ces hommes politiques seraient : Charles Pasqua, Michel Giraud, Michel Roussin, Robert Pandraud, Patrick Balkany. En ce qui concerne Robert Pandraud, qui avait déjà rencontré à plusieurs reprises Francis Poullain, les fonds lui auraient été transmis par Rémy Halbwax, ancien policier révoqué. Pour ce qui est de Michel Giraud, celui-ci aurait employé plusieurs secrétaires dans un mouvement appelé Forum du citoyen. Ces secrétaires auraient parallèlement reçu des salaires de la part de la SAR, salaires ne correspondant à aucun travail effectif et reversés à Michel Giraud. Michel Roussin serait plus un intermédiaire qu'un bénéficiaire final de l'argent. Plusieurs hommes auraient, pour le compte de Francis Poullain, fait plusieurs aller et retour entre la France et l'Afrique pour transporter des fonds. Francis Poullain serait titulaire d'un compte en Suisse. »

Le juge, souhaitant en avoir le cœur net, prend une série d'initiatives. Le jour même de l'audition de ce témoin, il demande à la police judiciaire (PJ) de filer Francis Poullain. Le lendemain, il met sur écoutes parfaitement légales Rémy Halbwax[11].

  •  : le juge Éric Halphen interroge Francis Poullain sur ses liens avec Rémy Halbwax. Éric Halphen remonte également jusqu'à Jean-Claude Méry. À son domicile, il met la main, notamment, sur son agenda 1992. À deux reprises sont inscrites deux initiales, avec, en face, des sommes. RH : 190 500 ; MR : 260 000. RH, comme Rémy Halbwax ; MR, comme Michel Roussin[11].
  •  : mise en examen et incarcération de Jean-Claude Méry, membre du comité exécutif du RPR et responsable de bureaux d'études soupçonné d'avoir bénéficié de fausses factures et d'avoir permis à Francis Poullain d'obtenir des marchés auprès des HLM des Hauts-de-Seine et HLM de Paris[12]. Jean-Claude Méry est placé sous mandat de dépôt[3]. Selon Le Monde du , on lui reproche d'avoir perçu près de 40 millions de francs en trois ans, en échange d'informations livrées aux entreprises sur les marchés de l'OPAC[9].

1995

L'enquête entre alors dans une longue période d'incertitudes dont elle n'est jamais véritablement sortie, parasitée par les conséquences de l'affaire Schuller-Maréchal, à la fin de 1994, puis par les fausses pistes distillées par un ou plusieurs « corbeaux ». Une cinquantaine de chefs d'entreprise ont été mis en examen, ainsi que les principaux dirigeants de l'office public d'aménagement et de construction de Paris au début des années 1990, et jusqu'au maire RPR de la Ville de Paris, Jean Tiberi, le .

  •  : Éric Halphen reçoit à son cabinet un coup de fil anonyme[21]. Son correspondant lui indique qu'une transaction doit se dérouler à l'heure du déjeuner à l'hôtel Mercure de Nogent-sur-Marne : une femme doit remettre 50 000 francs à un homme aux cheveux bruns qui arrivera en 4 X 4. Les policiers foncent au Mercure à l'heure dite. Une femme, Françoise Montfort, présidente de la société AVS (Assainissement voirie service), s'apprête à remettre 46 000 francs dans une enveloppe à un homme d'affaires, Jean-Paul Schimpf, ex-gérant d'une filiale de la SCREG. Tous deux sont arrêtés immédiatement. Sur Jean-Paul Schimpf, les enquêteurs trouvent un contrat de prêt de 1 million de francs destiné à l'achat de l'appartement de la compagne de Didier Schuller[22]. Quant à Françoise Montfort, elle admet très vite avoir dû payer, pendant des années, une taxe de 3 à 5 % pour l'obtention de marchés publics à l'office HLM des Hauts-de-Seine. Elle n'est pas la seule : d'autres chefs d'entreprise semblent, eux aussi, avoir dû verser leur écot sous peine de ne pas empocher de contrats[23].
  •  : des perquisitions sont réalisées au siège du RPR[27].

1996

1999

2000

  •  : les révélations posthumes de Jean-Claude Méry (cassette Méry) sont publiées par le journal Le Monde. « C'est uniquement aux ordres de Jacques Chirac que nous travaillions », explique Jean-Claude Méry à propos du système de contributions occultes des entreprises sur les marchés publics de l'OPAC, en évoquant une scène dans laquelle il avait personnellement remis 5 millions de francs en cash à Michel Roussin, alors chef du cabinet de Jacques Chirac, Premier ministre, « en présence de M. Chirac »[33].

2001

  •  : le président Jacques Chirac est mis en cause par François Ciolina, qui le désigne comme l'inspirateur d'un système de fraude sur les marchés publics[35]. Il ne se rend pas chez le juge[36].

2002-2004

Entre 2002 et 2004, le successeur d'Éric Halphen, le juge d'instruction Armand Riberolles s'évertue à reprendre les actes annulés par la cour d'appel de Paris. Les multiples auditions conduites par Armand Riberolles portent essentiellement sur le rôle du promoteur Jean-Claude Méry, dont les révélations ont relancé l'enquête.

Le , le juge Armand Riberolles clôt ses investigations et l'instruction de l'affaire des HLM de Paris[39].

2005

Procès en première instance

  • Le procès de l'affaire des HLM de Paris se déroule dans l'indifférence du au [42],[26]: selon le Figaro du 5 juillet 2006, « le dossier n'a plus rien d'une affaire d'État. Avant l'ouverture des débats, quelques caméras cherchaient en vain des visages connus parmi les prévenus »[43].
  • Les hommes politiques clés de la capitale comme Jean Tiberi, Michel Roussin ou Jacques Chirac ont bénéficié de non-lieu, de vices de forme ou de protection statutaire. Selon le juge Armand Riberolles, « L'instruction n'est pas parvenue à établir formellement l'implication personnelle des responsables au sein de l'appareil politique du RPR. »[44].
  • En l'absence de tout responsable politique, c'est l'ancien directeur général de l'OPAC et élu corrézien, Georges Pérol, qui fait figure de clé de voûte de ce vaste système de versements de commissions par les entreprises et de détournement de procédures dans l'attribution de marchés publics. Contre lui, le parquet a requis quatre ans d'emprisonnement avec sursis, 50 000 euros d'amende et trois ans d'interdiction des droits civiques et civils[45].
  • Le , des peines de prison avec sursis et des amendes sont requises contre 41 des 49 prévenus du procès de l'OPAC, considérés comme les acteurs ou les complices d'un « système de fraude de grande envergure, parfaitement organisé » et destiné à « constituer des caisses noires », selon les mots de la vice-procureure, Chantal de Leiris. Évoquant dès le début de son réquisitoire, devant la 11e chambre du tribunal correctionnel de Paris, la question du financement politique, elle relève que « l'instruction n'a pas trouvé de réponse et s'est heurtée au silence et aux flux financiers des sociétés off-shore »[45].
  • Le , le dernier jour du procès des HLM de Paris est consacré aux plaidoiries. Pendant deux mois et demi de débats, une cinquantaine de chefs d'entreprise ont été entendus et ont reconnu avoir versé des fonds contre l'obtention de marchés des HLM de Paris. Aucun financement politique occulte n'a pu être mis en évidence. L'utilisation de sociétés-écrans basées dans des paradis fiscaux (voir société panaméenne et fiduciaire suisse) a empêché de retracer les flux financiers[46].

Condamnations

Trente-sept prévenus sur quarante-neuf, dont l'ancien directeur général de l'OPAC, Georges Pérol, sont condamnés à des peines de prison avec sursis et des amendes par le tribunal correctionnel de Paris[47].

  • Georges Pérol, directeur général de l'OPAC de 1982 à 1993, corrézien proche de Jacques Chirac, est condamné à deux ans de prison avec sursis et 20 000 euros d'amende[47].
  • Francis Poullain, entrepreneur proche du RPR, est condamné à 18 mois de prison avec sursis et 40 000 euros d'amende[47].
  • Jean Glock, directeur d'une entreprise de menuiserie, est condamné à payer 100 000 euros pour préjudice moral, solidairement avec les autres condamnés[48].
  • D'autres prévenus se voient infliger des peines allant de deux mois à deux ans avec sursis, assorties d'amendes allant de 3 000 à 60 000 euros[48].
  • 11 derniers accusés sont relaxés après une dispense de peine prononcée par le tribunal[48].

Procès en appel

Jean Glock est le seul des prévenus à avoir maintenu son appel[48]. La cour d'appel de Paris rend son arrêt le 24 [49].

Marchés truqués

Les ascenseurs des HLM de Paris

  • Le contrat de maintenance et de rénovation des 3 092 cabines d'ascenseurs des immeubles d'HLM parisiens est attribué en 1992. Le marché est important : 2,2 milliards de francs sur quinze ans, soit un budget annuel de 140 millions de francs.
  • L'enquête a montré que, pour cet appel d'offres, des commissions avaient été versées, via le règlement de factures d'« assistance commerciale » à l'une des sociétés de Jean-Claude Méry. Un dirigeant de la CG2A, lors de l'attribution du marché, a ainsi déclaré au juge avoir acquitté de semblables factures au mois de « parce que la commission d'appel d'offres se réunissait la semaine suivante ». Jean-Claude Méry, expliquait-il, lui avait mis « le couteau sous la gorge ». Le dirigeant de la Somatem, lui, avait confirmé, sur procès-verbal, que ce marché devait entraîner « le versement d'une commission d'entre 1 % et 5 % du montant du marché, dont le paiement devait s'effectuer à l'étranger ».
  • Questionné le , Jean-Claude Méry avait, pour sa part, reconnu avoir « demandé 1,5 % du marché, qui [lui] ont été versés en Suisse », mais il n'avait pas évoqué de destination politique.

François Ciolina

François Ciolina fut l'adjoint de Georges Pérol, à la tête de l'Office public d'aménagement et de construction de Paris. Le juge Armand Riberolles le questionne à plusieurs reprises[50].

Interrogé le sur d'éventuelles interventions politiques effectuées auprès du directeur général de l'office, Georges Pérol, François Ciolina déclare : « Qu'il s'agisse de Jean Tiberi, de Jacques Chirac ou de Michel Roussin, les choses se déroulaient de la même façon. Lorsque je me trouvais dans le bureau de Georges Pérol, à discuter de l'attribution d'un marché, il arrivait que-celui-ci- manifeste son intention de téléphoner à un de ceux que je viens de citer. Il me demandait de sortir. J'attendais dans son antichambre. Lorsqu'il m'appelait, il me disait quelle était l'entreprise qui était choisie. J'en déduis que les sujets de conversation étaient les choix de l'entreprise. »[50]

À plusieurs reprises, Georges Pérol conteste vivement les accusations portées par François Ciolina. Ce dernier se rétracte à l'audience[51]. La représentante du parquet requiert deux ans avec sursis, 25 000 euros d'amende et un an d'interdiction des droits civiques. Le tribunal correctionnel de Paris condamne finalement le 5 juillet 2006 l'ancien directeur général de l'OPAC à deux ans de prison avec sursis et 20 000 euros d'amende, et son ancien adjoint François Ciolina à six mois avec sursis[52].

Bibliographie

Références

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Liens externes