Valerius fit preuve de ses mérites de poète par sa participation à un important recueil, le Zeeusche Nachtegael (Le Rossignol de Zélande), publié en 1623, en collaboration avec d'autres.
Cependant, son œuvre principale est la collection de chansons de gueux avec airs notés dans son Nederlandtsche gedenck-clanck (Hymne commémoratif des Pays-Bas) traitant de la guerre de Quatre-Vingts Ans. Cette guerre ayant duré de 1568 à 1648, Valerius en donne l'état des choses jusqu'à peu avant sa mort, car le recueil fut publié à Haarlem un an plus tard, en 1626, par les bons soins de son fils François. Imprégné de la moralecalviniste et d'une croyance chiliastique, l'ouvrage devait devenir un pamphlet militant anticatholique et anti-espagnol par excellence. Le livre raconte l'histoire de l'insurrection, hormis par quelques chansons de gueux adaptées, essentiellement complétée par des chansons dont il écrivait lui-même les paroles. Les chansons, toutes sur des airs préexistants mais adaptés et pourvus d'une tablature de luth et de cistre par Valerius lui-même, connurent un succès limité, mais tombèrent ensuite dans l'oubli. Elles gagnèrent en popularité à partir de la fin du XIXe siècle comme chansons patriotiques. La chanson la plus connue du recueil est le Wilhelmus, une chanson de gueux plus ancienne, dont l'origine remonte jusqu'au début de la révolte. La chanson de gueux devint l'hymne national des Pays-Bas ainsi que le plus ancien chant officiel et officieux d'un État représenté au sein des Nations unies. En outre, les chansons Merck toch hoe sterck (Voyez combien il œuvre avec puissance) et Waer dat men sich al keerd of wend (Où que l'on aille) sont encore bien connues aujourd'hui. Valerius cherchait ses mélodies dans le répertoire populaire de chansons néerlandaises à la mode et de chansons et de danses d'origines anglaise, française, italienne, allemande et même espagnole[2].
Popularité du Gedenck-clanck aux Pays-Bas
Redécouverte du Gedenck-clanck
Déjà peu après sa publication posthume, le Gedenck-clanck de Valerius tomba dans l'oubli jusqu'à ce que le réveil nationaliste du XIXe siècle l'en retire. La signification historique d'un Valerius ne résulte ni de ses qualités poétiques, désormais considérées comme artificielles, ni du caractère original d'une œuvre censée dériver d'un canon stylistique, mais du fait que son recueil est le miroir de son époque et des coutumes et des mœurs de son temps. Le recueil est imprégné d'un sentiment identitaire patriotique néerlandais, qui lui confère le statut de symbole privilégié dans des temps troublés, comme sous l'occupation allemande des Pays-Bas, ce qui lui valut de se faire adopter par la résistance.
Le Gedenck-Clanck et le Liedboek voor de Kerken
En dehors de chansons profanes, Valerius écrivait plusieurs hymneschrétiens, toujours chantés dans certaines Églises des Pays-Bas. Dans le Recueil de psaumes et cantiques à l'usage des Églises (Liedboek voor de Kerken), ce sont :
no 276 : Als Godes Zoon, de heerser over al (Comme le Fils de Dieu, le Tout-Puissant), sur l'air d’Engels Farewel, ou Farewell, dear love (Adieu, mon amour) du luthiste Robert Jones ;
no 320 : Zingt een nieuw lied voor God de Here (Entonnons un chant nouveau au Seigneur Dieu), sur l'air de Com nu met sang van soete tonen (Entonnez maintenant un chant aux doux accents) ;
no 412 : O Heer, die daar des hemels tente spreidt (Ô Seigneur, qui étend la tente céleste), sur l'air d'une gaillarde, la Gaillarde Suit Margriet * ;
no 413 : De Heer in zijnen troon, zeer schoon (Le Seigneur sur son beau trône), sur l'air d'une courante « française », Fransche Courante ij * :
no 414 : Wilt heden nu treden voor God, den Here (Veuillez maintenant paraître devant Dieu, le Seigneur), sur l'air de Hey wilder dan wild (Plus farouche que farouche) * :
no 415 : Komt nu met zang van zoete tonen (Entonnez maintenant un chant aux doux accents), sur l'air d'un branle, le Bransle Guinée * ;
no 416 : Gelukkig is het land (Heureux est le pays), sur l'air de l’Engelsche min (Amour anglais) * ;
no 417 : Hoe groot, o Heer, en hoe vervaarlijk (Si grand, ô Seigneur ! et si effroyable), sur l'air de Sal ick noch langher met heete tranen, &c. Volte (c'est-à-dire la chanson sur l'air de la volteDevrais-je encore en larmes brûlantes) * ;
no 418 : Here, kere van ons af (Seigneur, détourne de nous), sur l'air de Now o now I needs must part (Maintenant, ô maintenant ! il me faut partir), de John Dowland *[3].
Les hymnes marqués d'un astérisque (*) sont écrits par Valerius lui-même.
Popularité du Gedenck-clanck à l'étranger
Le succès en Allemagne
Sous l'Empire allemand
La popularité du recueil de Valerius en Allemagne mérite que l'on s'y attarde. Wilt heden nu treden voor God, den Here (Veuillez maintenant paraître devant Dieu, le Seigneur) avait du succès, surtout grâce à l'engagement personnel de l'empereurGuillaume II, dans la traduction allemande de Josef Weyl (1821-1895) et l'arrangement du compositeurviennois Eduard Kremser (1838-1914) comme Wir treten zum Beten vor Gott, den Gerechten (Nous avançons en implorant la bénédiction de Dieu). Cette dernière chanson (devenue, dans l'adaptation anglaise, We Gather Together) ou l’Altniederländisches Dankgebet (Vieille Prière d'action de grâces des Pays-Bas) devinrent de puissants symboles de l'alliance entre le trône et l'autel dans l'expérience civile religieuse allemande (la « Thron–und–Altar–Zivilreligion », la religion civile de l'Empire jusqu'en 1918). La chanson fut insérée dans le répertoire du Großer Zapfenstreich, le grand tattooallemand, et était souvent jouée à l'occasion de manifestations à caractère exceptionnel[4].
« Danach Niederländisches Dankgebet, gesungen vom Wiener Männergesangsverein. Die Nation singt mit. Bei der dritten Strophe läuten alle Glocken der Kirchen im Reichsgebiet[5]. »
Depuis sa redécouverte au XIXe siècle, Wilt heden nu treden trouva rapidement des adeptes en Angleterre et aux États-Unis. We Gather Together (Nous nous réunissons), la traduction de Theodore Baker (1894), devint incontournable dans le répertoire de chansons du jour de Thanksgiving[7]. En 1902, Julia Bulkley Cady Cory en fit une nouvelle traduction : We Praise Thee, O God, our Redeemer (Nous te louons, ô Dieu, notre Rédempteur)[8].
Si, en raison de la récupération par le national-socialisme, la chanson est aujourd'hui devenue suspecte en Allemagne et y est à peine connue en dehors de son usage traditionnel dans l'armée lors des vœux (tout comme dans le passé), on peut tout de même encore l'écouter de nos jours aux États-Unis dans de nombreuses harmonisations, entre autres le 4 juillet, à l'occasion du jour de Thanksgiving, dans l'interprétation des Boston Pops.
↑Ulrich J. Klaus, Deutsche Tonfilme: Jahrgang 1944, Berlin, Klaus-Archiv, 2006 (Deutsche Tonfilme: Filmlexikon der abendfüllenden deutschen und deutschsprachigen Tonfilme nach ihren deutschen Uraufführungen; 13), p. 178.