Écorché

Écorché par Henry Gray.

Un écorché est une illustration anatomique ou une sculpture représentant le corps d'un être vivant, ou une partie, dépouillé de sa peau et des tissus graisseux, pour en faire apparaître les parties internes.

L'anatomie artistique s'intéresse principalement à la morphologie des muscles, des veines et des articulations[1]. L'anatomie médicale propose aussi des vues des organes du torse et de l'abdomen.

Léonard de Vinci a dessiné les premiers écorchés connus, d'après ce qu'il observait sur des cadavres disséqués.

L'enseignement médical et celui des beaux-arts appellent les représentations anatomiques myologiques « écorché », signifiant « dont on a retiré la peau », depuis le XVIIe siècle au moins[2]. Outre ceux destinés aux médecins et aux plasticiens, les ouvrages d'anatomie destinés aux danseurs[3] ou aux culturistes[4] sont illustrés d'écorchés.

Les écorchés de la Renaissance

Après les investigations anatomiques de Léonard de Vinci, au tournant du XVIe siècle, qu'il ne publie pas et qui restent donc longtemps inédites, l'anatomie humaine prend son essor au milieu du siècle, avec le traité d'André Vésale, De humani corporis fabrica libri septem (La Structure Du Corps Humain)[5]. Il fait appel, pour les planches de son anatomie descriptive fondée sur la dissection de cadavres, au graveur Jan van Calcar, qui représente les corps dans les attitudes de la statuaire classique. Ce texte et ses images seront souvent paraphrasés jusqu'au XVIIIe siècle[6].

L'écorché de Michel-Ange

Pratiquant lui-même la dissection et l'étude des corps[7], Michel-Ange réalise de nombreux dessins anatomiques. Malgré l'absence de source, on lui attribue un écorché sculpté dans une pose maniériste. Largement reproduit en plâtre au XIXe siècle, cette statuette très répandue dans les ateliers d'artistes deviendra un exercice d'étude classique, pratiqué par de nombreux peintres dont Van Gogh et Cézanne.

L'anatomie des Lumières

Jacques Gautier d'Agoty - les muscles du dos - 1746.

Les études médicales

Les planches anatomiques publiées au XVIIIe siècle sont le fruit de la collaboration entre un médecin et un artiste, par exemple l'anatomiste Joseph-Guichard Du Verney et le graveur Jacques Gautier d'Agoty, pour illustrer des livres et traités médicaux et présenter les parties du corps telles que la médecine les décrit alors.

Les écorchés de Houdon

Inspiré par les figures de l'anatomie et en particulier les planches anatomiques de l'Encyclopédie, publiées entre 1751 et 1772 par Diderot [8] qui sont tout autant présentation du savoir des peintres et sculpteurs par la qualité des gravures que le savoir des médecins de l'époque, le sculpteur Houdon réalise en 1767, la sculpture de l'Écorché au bras tendu qui est « un chef-d'œuvre en tant que démonstration de virtuosité anatomique[9] » au croisement de l'art et de la science. Cette sculpture, en sa version réduite, devient une figure classique de l'apprentissage de l'anatomie dans les ateliers de dessin, de peinture et de sculpture, malgré la critique d'Ingres[10]. Selon Quatremer de Quincy, l'écorché est devenu, « dans les écoles, l'exemplaire normal de l'anatomie musculaire humaine[11] ». « Le mérite de Houdon est d'avoir réalisé, en vue des sculpteurs à venir, un ouvrage tout à fait pédagogique, ce qui avait été essayé avant lui, mais non vraiment réalisé », écrivent Émile Delerot et Arsène Legrelle[12]. « C'est la grammaire de la sculpture[13] » écrit Arsène Houssaye. Il inspire également les méthodes d'anatomie artistique comme celles de Burne Hogarth ou de Will Eisner au XXe siècle[réf. souhaitée]. Il est même numérisé aujourd'hui en modélisation 3D.

Les études pour artistes

Écorché, étude de l'épaule, reposant sur une table vers 1805, par Charles Landseer.

Pour les artistes, l'écorché dans le cadre de l'anatomie artistique s'impose comme un exercice académique au XIXe siècle, pratiqué dans les écoles des Beaux-Arts, généralement sous la direction de médecins (ce qui n'est plus le cas aujourd'hui[14]), en complément de la pratique du dessin d'après le modèle vivant. L'utilisation de l'anatomie et de la connaissance des écorchés peut se lire dans les études d'hommes pour le tableau Le Radeau de La Méduse par Géricault. L'étude des écorchés se fait soit à travers les planches anatomiques ou les sculptures comme on peut le voir avec les études de Michel Chapus[15], de David [16] ou les différents dessins d'Odilon Redon [17] d'après l'écorché de Houdon, bras tendu ou en version bras replié, l'Écorché combattant d'Eugène Caudron[18], ou même à partir de sculptures antiques comme le Gladiateur Borghèse, ou le Doryphore[19].

L'anatomie médicale mise en scène

La conservation des corps étant impossible au XVIIIe siècle, on les moulait en cire pour leur intérêt scientifique, tout en les mettant en scène dans un but artistique et rhétorique[20]. Les médecins sont alors aidés par des sculpteurs comme Clemente Susini. Les musées des écoles de médecine comme celui de Bologne, au musée du Palazzo Poggi présentent des corps soit embaumés, soit moulés en cire d'abeille.

Au XVIIIe siècle l'anatomiste Honoré Fragonard réalise des écorchés mis en scène[21], qu'on peut voir au Musée Fragonard de l'École vétérinaire de Maisons-Alfort. L'anatomiste est considéré aussi bien comme un artiste par la qualité de la mise en scène théâtrale[22] dont témoignent ses : Trio de fœtus dansant la gigue et Cavalier de l'Apocalypse, que scientifique par leur réalisation[23].

Pour pallier les inconvénients d'une conservation difficile, le docteur Louis Auzoux réalise à partir de 1880 des écorchés en papier mâché à but pédagogique, des « modèles anatomiques ».

À la fin du XXe siècle, un artiste-anatomiste allemand le Dr von Hagens présente des expositions intitulées Bodies: The Exhibition, ou Our Body, ou Real Body de corps conservés par une technique de plastination et mis en scène. Dans plusieurs pays ces expositions créent le scandale ; elles accueillent en Europe près de 26 millions de spectateurs[23]. Elles sont interdites en France[24].

L'anatomie motif contemporain

Les plasticiens contemporains utilisent les représentations anatomiques, figures de l'exercice classique de l'apprentissage des artistes, comme sujet ou comme motif - souvent d'après des gravures anciennes Ainsi à la fin du XXe siècle et au XXIe siècle, les artistes anglais Francis Bacon, puis Damien Hirst ont recours au dessin anatomique, à l'exposition de corps d'animaux découpés où s'exprime leur fascination pour l'anatomie et le corps.

Notes et références

  1. Jules Adeline, Lexique des termes d'art, nouvelle, (1re éd. 1884) (lire en ligne), p. 166 « écorché ».
  2. Attesté dans Bernard Dupuy Du Grez, Traité sur la peinture pour en apprendre la téorie et se perfectionner dans la pratique, Toulouse, (lire en ligne), p. 171.
  3. Calais-Germain 1991.
  4. Evans 2007
  5. Jacques Guillerme, « Anatomie artistique : Léonard de Vinci, Vésale, l'écorché », sur Encyclopædia Universalis.
  6. Comme dans Roger de Piles, Abrégé d’anatomie accommodé aux arts de peinture et de sculpture, Paris, (lire en ligne).
  7. F-J Béer, Michel-Ange et la médecine de son temps, (lire en ligne).
  8. Pour l'attitude de Diderot qui pratiquait la dissection anatomique et sa relation à Houdon, on se rapportera à l'article de Morwena Joly,, « L’obsession du « dessous » : Diderot et l’image anatomique », Recherches sur Diderot et sur l'Encyclopédie, no 43,‎ (lire en ligne, consulté le ) dans lequel on peut lire l'extrait de la lettre de Diderot à Catherine II de Russie : « Il vous manque une pièce essentielle pour l’instruction de la jeunesse : c’est un grand écorché. Le plus célèbre est celui de Houdon. On pourrait en envoyer un plâtre à Votre Majesté Impériale ou faire ce que j’avais conseillé à M. Demidoff qui voulait offrir à Votre Majesté Impériale quelque chose qui fût digne d’elle : le faire fondre en bronze ».
  9. « Jean-Antoine Houdon », sur universalis.fr (consulté le ).
  10. selon Charles Blanc, Grammaire des arts du dessin : architecture, sculpture, peinture, jardins : gravure... eau-forte... camaïeu... lithographie..., Paris, Renouard, , 3e éd. (1re éd. 1867) (lire en ligne), p. 393.
  11. Antoine Chrysostome Quatremère de Quincy, Recueil de notices historiques lues Dans les séances publiques de L'Académie royale des beaux-arts à l'Institut, vol. 1, Paris, Adrien Le Clere, , 429 p. (lire en ligne), p. 393-394
  12. Émile Delerot et Arsène Legrelle, Notice sur J.-A. Houdon, de l'Institut (1741-1828), Versailles, (lire en ligne), p. 26-27.
  13. Arsène Houssaye, La Révolution, Dentu, Paris, 1876 p. 152.
  14. L'actuel professeur d'anatomie et de morphologie de l'école des Beaux arts est Philippe Comar, plasticien et scénographe à voir sir https://www.beauxartsparis.fr/fr/formation/professeurs/141-philippe-comar
  15. « Ecorché », notice no 912.1.11 ; FF 11, sur la plateforme ouverte du patrimoine, base Joconde, ministère français de la Culture à voir sur : http://www.culture.gouv.fr/Wave/image/joconde/0696/m037901_0003774_p.jpg
  16. « Étude d'écorché à mi-corps », notice no RF 4506,71, sur la plateforme ouverte du patrimoine, base Joconde, ministère français de la Culture à voir sur : http://www.culture.gouv.fr/Wave/image/joconde/0299/m503501_d0017110-000_p.jpg
  17. « Écorché debout, buste écorché, et jambe », notice no RF 40941, recto, sur la plateforme ouverte du patrimoine, base Joconde, ministère français de la Culture à voir sur http://www.culture.gouv.fr/Wave/image/joconde/0283/m503501_d0043867-000_p.jpg
  18. Chez le mouleur Lorenzi, à voir sur http://www.lorenzi.fr/statues/Ecorche-Par-Caudron-89.html
  19. « Deux études d'une statue d'écorché », notice no RF 23044, 5, sur la plateforme ouverte du patrimoine, base Joconde, ministère français de la Culture à voir sur http://www.culture.gouv.fr/Wave/image/joconde/0211/m503501_d0134355-000_p.jpg
  20. Monika von Düring, Marta Poggesi, Encyclopaedia Anatomica, Collection complète des cires anatomiques, Taschen, 576p, 2003
  21. Alcide Railliet et Léon Moulé, Histoire de l'École d'Alfort, Paris, Asselin et Houzeau, (lire en ligne).
  22. Roberta Panzanelli, Ephemeral Bodies: Wax Sculpture and the Human Figure, Getty Research Institut, Los Angeles, California, 2008, p. 48
  23. a et b Simone Gilgenkrantz, Les céroplasticiennes du XVIIIe siècle, Entre écorchés et plastinés, The 18th century between Écorchés and plastinated bodies, two female waxwork modelists: Anna Morandi and Marie-Marguerite Bihéron Medine Sciences, Volume 28, Number 5, mai 2012, Paris p. 31 - 533 à lire sur : https://doi.org/10.1051/medsci/2012285019
  24. "EXPOSITION "OUR BODY"- L'exhibition de cadavres illégale en France" in Le point 2010

Voir aussi

Bibliographie

  • Blandine Calais-Germain, Anatomie pour le mouvement, vol. 1, Paris, (1re éd. 1984)
  • Philippe Comar, Figure du Corps : Une leçon d'anatomie à l'école des Beaux-Arts, Paris, Beaux-arts de Paris, .
  • (en) Regis Olry, « Wax, Wooden, Ivory, Cardboard, Bronze, Fabric, Plaster, Rubber and Plastic Anatomical Models: Praiseworthy Precursors of Plastinated Specimens », The Journal of plastination, vol. 15, no 1,‎ , p. 30-35 (ISSN 2311-777X, lire en ligne, consulté le ).

Articles connexes

Sur les autres projets Wikimedia :

Liens externes

  • Ressource relative aux beaux-artsVoir et modifier les données sur Wikidata :
  • Notice dans un dictionnaire ou une encyclopédie généralisteVoir et modifier les données sur Wikidata :