Éclectisme égyptien

Peinture de 1835 de Maxime Vorobiov montrant le quai de Saint-Pétersbourg avec deux sphinx d'Amenhotep III ramenés d'Égypte en 1832.

L'éclectisme égyptien (ou style éclectique égyptien ou renouveau égyptien ou néo-égyptien) est un style architectural, apparaissant à l'origine comme une variation de l'éclectisme, et qui fait référence aux motifs et à l'imagerie de l'Égypte antique. Les éléments égyptiens utilisés sont, par exemple, la pyramide, l'obélisque, le sphinx, les hiéroglyphes ou encore, les colonnes[1]. Ce style offre des exemples concrets de l'image mouvante de l'Égypte dans l'imagination européenne, marquée par l'égyptomanie. Il est apparu en 1802 et a connu plusieurs périodes (ou vagues)[2]. Cependant, dès l'Antiquité, la culture égyptienne influença des constructions européennes. Le style est associé avec le culte de la mort dans l'Égypte antique. De plus, à la différence du renouveau grec, ses valeurs morales et politiques ne viennent pas des Lumières ou d'un lieu d'origine pouvant être perçu comme égalitaire telle la culture aristocratique littéraire ou la démocratie. C'est pour ces deux raisons que le goût pour l'éclectisme égyptien n'a jamais été très populaire[réf. nécessaire] ; néanmoins, il a laissé sa marque en Europe et en Amérique du Nord. On distingue plusieurs périodes de ce style.

Avant la première période

Dès le Ier siècle av. J.-C., le politicien romain Caïus Cestius (it) se fait inhumer dans la pyramide qui porte son nom, à Rome. A-t-elle été inspirée par les pyramides égyptiennes ? En tout cas, elle est construite à une époque où Rome a annexé l'Égypte. À l'époque augustéenne, l'adoption de la forme pyramidale est d'ailleurs populaire pour les monuments sépulcraux, dans le contexte des influences culturelles de ce pays[3]. Au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle, avec l'essor du néo-classicisme, les architectes mélangent parfois les styles grec ancien, romain et égyptien. Ils voulaient découvrir de nouvelles idées de formes et d'ornements, plutôt que d'être de simples copistes fidèles du passé[4].

Italie

France

Turquie

Irlande

Allemagne

Suède

Première période

Entre 1798 et 1801 se déroule l'expédition en Égypte de Napoléon Bonaparte. Elle est immortalisée dans la Description de l'Égypte par la Commission des sciences et des arts, publié en 1809 et illustrée par des gravures in-folio. En parallèle, les découvertes en Égypte réalisées par les chercheurs européens se multiplient. En 1822, Jean-François Champollion déchiffre les hiéroglyphes. Les savants et les artistes ramènent en Europe des artéfacts, des images et des informations sur la culture égyptienne. Tout cela favorise le renouveau égyptien en Europe, puis dans le reste du monde. Il se manifeste dans l'ameublement, les intérieurs et les cimetières de la clientèle aisée européenne et américaine. L'architecture apprécie les obélisques, les pyramides, les colonnes papyriformes, les chapiteaux lotiformes, les moulures torsadées, les murs à redents et les toits plats. Ce courant sera beaucoup exploité dans la construction d'instituts éducatifs et de mausolées, afin de symboliser à la fois les progrès de la science et la croyance en la vie après la mort propres à l'Égypte antique. Il est souvent associé au style néogrec (ou renouveau grec)[1],[2].

France

En plus des évènements cités plus hauts, d'autres marqueront cette vague en France. En 1802, Dominique Vivant Denon publie Voyage dans la Basse et la Haute-Égypte. En 1826, sous l'impulsion de Champollion, le Musée du Louvre se voit doté d’une division des monuments égyptiens[2],[8]. Le goût français pour l'Égypte s'est cantonné surtout au mobilier et à des objets décoratifs. On parle de style « retour d’Égypte ». Il est présent dans plusieurs édifices :

Allemagne

Suède

Royaume-Uni

À Londres, l'intérêt purement archéologique mêlé de ferveur impériale donna par exemple l'Egyptian Hall de Londres. Conçu sur les dessins de Peter Frederick Robinson (en) et terminé en 1812, il sera démoli en 1905. Citons aussi la galerie égyptienne conçue par Thomas Hope pour sa maison, expert en la matière, pour exposer ses antiquités égyptiennes, et, illustré de gravures venant de ses dessins méticuleux, dans ses meubles de maison (1807). Tous deux sont des bases du style Regency en ce qui concerne le mobilier britannique. Avec l'ouverture du cimetière de Highgate en 1839, avec ses avenues égyptiennes, le style égyptien rencontra une popularité particulièrement bien adaptée au contexte mortuaire, notamment avec le portail du cimetière.

Russie

Cette vague, d'abord associée aux découvertes de Champollion, a produit des monuments similaires :

Pays-Bas

Australie

Malte

États-Unis

La première vague de renouveau égyptien aux États-Unis était principalement architecturale, tandis que les objets décoratifs de cette période sont relativement rares[1]. Au XIXe siècle, des critiques européens affirmaient que les États-Unis étaient un pays sans histoire. Il s'agissait donc pour ses habitants de créer leur propre architecture, un patrimoine national hybride, en puisant dans des styles anciens. Le défi était donc d'utiliser les formes des civilisations passées pour construire une identité pour une nouvelle nation, tout en s'en distinguant. L'architecture égyptienne véhiculait spécifiquement la permanence, la grande richesse et le génie technologique, susceptibles de plaire à la jeune nation. Cependant, la mise en œuvre de telles innovations était difficile. Et comme l'a dit Clarence King, « tant qu'il n'y a pas de race américaine, il ne peut y avoir de style américain »[16]. La création du style américain a également été entravée par le fait que le mélange ethnique du peuple américain ne constituait pas une race. Au fil du temps, les obélisques, les sphinx et les tombes de style égyptien sont devenus si courants dans le paysage américain, pour devenir « typiquement américain »[17].

Afrique du Sud

Belgique

Hongrie

Égypte

Espagne

Roumanie

Italie

Deuxième période

Une seconde vague se développa aux États-Unis vers 1870, dans un pays apaisé après la guerre de Sécession. Les Américains ont vu l'achèvement du Washington Monument comme une réparation de la nation elle-même, fusionnant la commémoration égyptienne avec la reconstruction de l'Amérique[17]. Cette guerre civile passée, les Américains se sont intéressés à d'autres cultures ; ils se sont tournés notamment vers l'Égypte antique pour trouver l'inspiration. Des recherches archéologiques continues ont conduit à de nouvelles découvertes constantes d'antiquités en Égypte. Des évènements comme l'ouverture du canal de Suez en 1869 et les fouilles de Tell El-Amarna en 1887 ont maintenu l'intérêt pour l'Égypte dans la presse. Des réalisations artistiques telles que l'opéra Aida de Giuseppe Verdi (composé en 1871), captiva le public. Des publications académiques continues d'expéditions archéologiques fournissent des idées de motifs égyptiens à réutiliser. Les formes pyramidales sont alors très en vogue, surtout dans la construction de tels monuments et de tombeaux. Ces motifs étaient également utilisés dans différents arts décoratifs. À Brooklyn (New York), l'immigration apporta un mélange de diverses cultures. Ainsi, le parc du cimetière de Green-Wood offrit un environnement favorable à des styles comme le renouveau égyptien. On y trouve diverses constructions monumentales de style néo-égyptien, comme une certaine quantité d'obélisques, ainsi que des pyramides. Elles reflètent la variété des pensées des gens et la culture locale ainsi que l'acceptation du style exotique. En 1905, Louis Comfort Tiffany a construit sa maison Laurelton Hall (en), à Oyster Bay, New York. Une grande partie de la décoration était redevable aux mouvements orientalistes et néo-égyptiens. Les fleurs de lotus et les roseaux sont juxtaposés aux mosaïques géométriques dans les colonnes de la loggia de la maison. Elles témoignent de l'appropriation des formes égyptiennes par les mouvements décoratifs modernes. Cette adaptation plus lâche du vocabulaire de l'ancienne Égypte représente un goût pour l'éclectisme au tournant du siècle. Des monuments hétérogènes, tels que cette demeure, ont unifié le langage de plusieurs styles de renouveau en une seule forme artistique. Bien que les motifs ne suivent pas purement l'esthétique égyptienne, l'esthétique générale y fait écho[1]. Puis, le XXe siècle a vu la montée d'un nombre important d'obélisques commémoratifs. L'architecture d'inspiration égyptienne a été utilisée comme forme de commémoration dans les monuments commémoratifs de la Première et de la Seconde Guerre mondiale, le mouvement des droits civiques, puis, plus tard, les mémoriaux des attentats du 11 septembre 2001[17].

De cette période, seulement quelques bâtiments existent encore aujourd'hui. D'autres ont été détruit, mais certains de leurs éléments ont été préservés :

Troisième période

Les expéditions qui ont conduit à la découverte en 1922 du trésor du tombeau de Toutânkhamon par l'archéologue Howard Carter ont entraîné une troisième vague d'égyptomanie. Cet engouement des années 1920 pour l'Égypte est parfois considéré comme un avatar de l'Art déco. Ce regain d'intérêt pour les motifs égyptiens se retrouve aussi bien dans l'architecture que dans le design et l'ameublement. Aux États-Unis, cette vague entraîne la mode des Egyptian Theatre (en), théâtres dont l'esthétique emprunte à celle de l'ancienne Égypte.

États-Unis

  • Le Grauman's Egyptian Theatre à Los Angeles, aujourd'hui siège de la cinémathèque américaine (en), est un théâtre à l'architecture d'inspiration égyptienne construit à cette époque[Quoi ?]. Par pure coïncidence, ce théâtre « égyptien » fut dessiné, construit et ouvert en , deux semaines avant la découverte historique du tombeau en novembre 1922.

Roumanie

France

Australie

Royaume-Uni

Russie

Liban

Après la troisième période

La pyramide du Louvre à Paris (1989) et le musée égyptien de la Rose-Croix (en) à San José en Californie sont des exemples actuels d'une résurgence d'un style éclectique égyptien. En outre, le jardin de la Rose-Croix, toujours à San José, contient de nombreux exemples architecturaux du renouveau égyptien.

France

Italie

États-Unis

Belgique

Royaume-Uni

Égypte

Illustrations

Notes et références

  1. a b c et d (en) Sara Ickow, « Egyptian Revival », sur site du Metropolitan Museum of Art
  2. a b c et d Histoire de l'architecture, National Geographic Society (EAN 9782822900317)
  3. « Pyramid of Gaius Cestius », Rome Reborn - University of Virginia (consulté le ).
  4. Barry Bergdoll (en), European Architecture 1750-1890, Oxford University Press, (ISBN 978-0-19-284222-0)
  5. a b c d e f g h i j k l m n o p et q Jean-Marcel Humbert, Paris égyptien, Bruxelles, Archives d'architecture moderne,
  6. « Retour d’Égypte à Paris »
  7. « Pyramiden, sur svenskakyrkan.se »
  8. « Département des Antiquités égyptiennes : L'histoire des collections », sur louvre.fr
  9. Jean-Marcel Humbert souligne — Pourtant, aucun sphinx n'était du nombre, mais le fragment d'obélisque couvert de hiéroglyphes rappelle celui d'Albani joint un moment à la statue de Desaix place des victoires. —
  10. « La mosaïque du Grand Palais », sur grandpalais.fr,
  11. Annie, « Les mosaïques égyptisantes du Louxor », sur lesamisdulouxor.fr
  12. « HD photographs of L'Art Egyptien statue at the Grand Palais - Page 589 »
  13. Photos de l'allée de sphinx du Château du Verduron ici.
  14. « Thomas Hope & the Regency style », sur Victoria and Albert Museum
  15. Jean-Marcel Humbert et Clifford Price, Imhotep Today: Egyptianizing Architecture, UCL Press, , p. 167
  16. John Wilton-Ely, Oxford Art Online, Oxford University Press, (lire en ligne), « Egyptian Revival »
  17. a b c et d Joy M. Giguere, Characteristically American : memorial architecture, national identity, and the Egyptian revival, Knoxville: The University of Tennessee Press (ISBN 978-1-62190-077-1, OCLC 893336717, présentation en ligne, lire en ligne)
  18. Site de l'école de médecine de Virginie
  19. Ancienne prison de Dubuque
  20. « L’égyptomanie et l’égyptologie en Belgique »
  21. a et b Arnaud Goumand, France cosmopolite & extraordinaire, Belles balades éditions (EAN 9782846404464), « Retour d'Égypte »
  22. « Le plus beau village : Spechbach, la chapelle néo-égyptienne », francebleu.fr,‎ (lire en ligne)
  23. « Les médaillons de l'UFR Biomédicale à Paris 06 (75) »
  24. « Décor de Daniel Solnon »
  25. « Enfants du Monde de Rachid Khimoune », GEO,‎ 07/15/2011 (lire en ligne)
  26. Philippe Landru, « JACOBS Edgar P. (Edgard Pierre Jacobs : 1904-1987), Cimetière de Lasnes - Belgique. »
  27. « Oblisco Capitale Tower »