Usine d'agglomérationUne usine d'agglomération est une installation sidérurgique servant à fritter le minerai de fer pour le rendre apte à l'utilisation dans le haut fourneau. Le minerai de fer est tout d'abord mélangé avec de la castine et un combustible solide bon marché (houille, rebuts de coke). L'opération d'agglomération proprement dite consiste à brûler le combustible pour atteindre la température de frittage du minerai. Le produit obtenu, appelé « aggloméré », a une composition chimique, une porosité et une tenue mécanique compatibles avec le fonctionnement du haut fourneau. Pour le haut fourneau, l'usine d'agglomération a donc un rôle semblable vis-à-vis du minerai de fer, à celui de la cokerie vis-à-vis du charbon[note 1]. L'agglomération permet également de recycler de nombreux résidus ferreux mais, paradoxalement, il s'agit souvent de l'installation émettant le plus de rejets atmosphériques d'un complexe sidérurgique. On trouve aussi des installations d'agglomération de minerais non ferreux, dédiées aux minerais de zinc[2], de plomb[3], de cuivre[4]… Si elles sont de taille bien plus modeste que celles de la sidérurgie, leur fonctionnement et leur intérêt sont identiques. HistoriqueDans la plupart des pays, comme la Russie, la France et l'Allemagne, les gisements de minerai de fer se présentent sous une forme poussiéreuse ou sableuse. Sous cette forme, le minerai ne peut pas être chargé dans le haut fourneau car il serait alors, soit emporté par le vent qui y est insufflé, soit fritté en une couche imperméable. L’intérêt de la calcination des minerais avait été compris dès la mise au point des premiers bas fourneaux, et plusieurs procédés sont alors développés. La méthode primitive, consistant à pratiquer un grillage[note 2] en meule, est abandonnée vers la fin du XIXe siècle à cause de sa trop grande dépense en combustible[L 1],[5]. Les fours à réverbère, et surtout les fours à cuve, les remplacent alors. Ces derniers ont un bon rendement, à la fois grâce au confinement de la réaction et grâce au fonctionnement à contre-courant (les matières solides descendent et les gaz montent)[L 2]. Ces fours à griller le minerai étaient alors des cuves inspirées des hauts fourneaux et des fours à chaux et étaient des outils peu productifs[4],[L 3]. Le procédé Greenawald, qui en automatise le principe[6], connait vers 1910 un certain développement en permettant la production de 300 000 tonnes annuelles[7]. Au début du XXe siècle apparaissent des procédés continus, comme le procédé Smidth utilisant un four en forme de tambour tournant dont la longueur approchait 100 m[SF 2]. Ces procédés disparaissent avec la mise au point d'un procédé continu de calcination sur grille par Arthur Smith Dwight (1864 - 1946)[8] et Richard Lewis Lloyd, qui travaillent ensemble dans la mine de cuivre de Cananea, au nord du Mexique. Leur première machine est commence ses essais en 1906 sur des minerais de cuivre et de plomb[4]. Ceux-ci déposent alors conjointement une série de brevets, dont celui du concerne plus particulièrement :
— A. S. Dwight & R. L. Lloyd, brevet du 3 juin 1907 Les deux inventeurs fondent en 1907 la Dwight and Lloyd Metallurgical Company. Ils construisent de nombreuses machines et vendent des licences dans le monde entier, dont notamment au constructeur d'usines allemand Lurgi (de). La première machine d'agglomération utilisant le procédé Dwight-Lloyd (de) et dédiée au minerai de fer est construite en 1910 aux États-Unis[4]. En Allemagne, l'Association de Bochum (de) l'adopte dès 1917, alors que la première chaîne d'agglomération française, à Fontoy, est datée de 1952[SF 3],[note 4]. L'agglomération du minerai met une trentaine d'années pour se généraliser dans la sidérurgie. Alors qu'avant la Seconde Guerre mondiale, elle ne servait essentiellement qu’à reconditionner les fines de minerai, elle s'est généralisée après 1945 au traitement des minerais crus. Actuellement son rôle est essentiel car elle permet de mélanger plusieurs minerais entre eux, et surtout d'y incorporer des déchets minéraux plus ou moins riches en fer. Ce rôle de recyclage améliore la rentabilité et limite les déchets des complexes sidérurgiques, qui génèrent de nombreux résidus riches en fer (laitiers, boues, poussières, etc.)[4]. À partir de 1965, en Europe, les minerais locaux sont progressivement abandonnés au profit des minerais riches importés. Les complexes sidérurgiques en bord de mer se développent et utilisent des minerais en provenance de 6 à 10 origines. Les minerais importés ont une structure chimique hétérogène et il est nécessaire de les homogénéiser, de façon à alimenter le haut fourneau avec une charge à peu près constante dans le temps. Les parcs d'homogénéisation qui sont apparus en Allemagne, se généralisent en Europe et au Japon, et plus tardivement, vers 1975, aux États-Unis. Cette homogénéisation chimique précède l'homogénéisation physique réalisée par le procédé d'agglomération lui-même[11]. ProcédéOpérations préliminaires à l'agglomérationLes minerais sont amenés depuis leur zone de stockage et distribués par un stacker, une énorme sauterelle qui va constituer un long tas d'homogénéisation, en forme de prisme. En faisant des va-et-vient le long du tas, le stacker répartit les minerais en couches qui s'empilent sur chaque côté du tas[11]. Ensuite, une excavatrice à godets (ou reclaimer), gros engin doté d'une roue-pelle capable d'excaver environ 1 200 t/h, reprend le minerai constituant le tas d'homogénéisation. Le minerai est repris en taillant verticalement dans le tas[11],[note 5]. L'engin de reprise peut adopter différentes configuration : la roue-pelle peut être au bout d'un bras (comme dans une excavatrice à godets de mine), sur une structure en portique enjambant le tas,… On peut aussi utiliser des reclaimers doté de chaînes à godets.
Le minerai homogénéisé est alors mélangé avec des fondants comme l'olivine[note 6] et la castine, ainsi qu'un combustible solide, généralement de la houille. Ces composants sont alors soigneusement mélangés, généralement dans des tambours de mélange, puis agrégés en petites boulettes, généralement à l'aide d'un tambour de nodulation. Toutes ces manutentions représentent un aspect essentiel de l'intégration de l'usine dans un complexe sidérurgique : « une installation de préparation de la charge (criblage, concassage) exige beaucoup de place et des manutentions importantes. Sur un espace nouveau, l’installation peut être rationnellement conçue et les manutentions réduites. Par contre, les usines existantes n’ont pas été prévues pour ce type d’extension et, par conséquent, il faut installer les agglomérations soit à assez grande distance des hauts fourneaux, soit dans des espaces restreints et peu adéquats. » Dans les années 1950, cette contrainte a souvent alimenté les arguments en faveur de la construction de complexes sidérurgiques neufs contre la modernisation des sites existants[12]. À ce stade, l'agglomération en boulettes de quelques millimètres de diamètre est très distincte du frittage qui est réalisé ultérieurement sur la chaîne d'agglomération : la cohésion est essentiellement réalisée grâce à de l'eau et de la chaux dosées dans le mélange. AgglomérationLe minerai est déposé sur la chaîne en deux couches superposées. L'épaisseur de la couche inférieure, qui protège les grilles et sert de filtre, varie entre 30 et 75 mm. Cette couche est généralement constituée de minerai déjà aggloméré : une granulométrie comprise entre 12 et 20 mm est généralement choisie. La couche supérieure consiste en un mélange homogène, essentiellement constitué de minerai, de combustible et de castine, dont l'épaisseur varie entre 350 et 660 mm. L'homogénéité chimique et la granulométrie de ce mélange sont garanties par les tambours d’homogénéisation et de nodulation. Cette préparation passe alors sous la hotte d’allumage, consistant en une rangée d'une quinzaine de brûleurs qui mettent le feu au combustible présent dans la couche supérieure. Fréquemment, une deuxième rangée de brûleurs permet de maîtriser l’homogénéité et l'évolution de la température. Le front de combustion se propage alors vers le bas, attisé par l'aspiration d'air qui se fait de haut vers le bas : le procédé est donc similaire à la combustion du tabac dans une pipe. La puissance d'aspiration est donc, tout comme la surface de la chaîne, un élément essentiel définissant la capacité de production de l'installation. Les fumées aspirées sous la partie active de la chaîne, très chargées en poussière de minerai, sont dépoussiérées. Le recyclage des poussières collectées dans toute l'installation est essentiel, car il peut concerner jusqu'à 60 % du produit déposé sur la chaîne. La température visée au moment de la combustion doit permettre le frittage du minerai. Dans le cas de l'agglomération du minerai de fer, on vise généralement une température comprise entre 1 150 et 1 250 °C dans la zone de combustion, et entre 900 et 1 000 °C dans la zone brûlée pour éviter un refroidissement trop brutal de la couche agglomérée. Arrivée à l'extrémité de la chaîne, la couche agglomérée se brise en tombant. Un broyeur brise les blocs en petits morceaux, puis le produit est refroidi à l'air, sur un refroidisseur généralement circulaire. Les morceaux d'aggloméré sont alors criblés : les morceaux inférieurs à 5 mm retournent dans le processus d'agglomération (ces « fines de retour » représentent, en moyenne, un quart de la production de la chaîne[13]), les morceaux plus gros, entre 5 et 12 mm, voire parfois 20 mm, sont envoyés au haut fourneau.
Stratégies actuellesIntérêts du procédéAmélioration des caractéristiques physiquesLe coke, combustible essentiel des hauts fourneaux, étant coûteux, la calcination des minerais est effectuée dans une installation dédiée consommant un combustible meilleur marché comme de la poussière de coke ou du charbon[note 7]. La calcination permet, entre autres, le séchage, la décarbonatation de la gangue calcaire des minerais, le grillage des sulfures éventuellement présents (pyrite), et la déshydratation des argiles ou du gypse[10],[SF 5].
Cette opération permet d'augmenter la teneur en fer dans le matériau aggloméré. Quant au coke économisé au haut fourneau, il est, à volume de four donné, avantageusement remplacé par du minerai, ce qui dope la productivité du four. Le frittage du minerai rehausse sa température de ramollissement. La charge reste donc plus longtemps granulaire avant de fondre, ce qui améliore la perméabilité du haut fourneau. Il devient alors possible de construire des hauts fourneaux de grande taille, plus adaptés aux contraintes économiques de la sidérurgie[10]. Amélioration des caractéristiques chimiquesLe procédé d'agglomération est un moyen de maîtrise de la composition du laitier de haut fourneau. En effet, l'utilisation d'un minerai donnant un laitier infusible aboutirait à un engorgement rapide du haut fourneau. L'ajout de castine permet aussi d'obtenir un laitier basique qui favorise la désulfuration de la fonte. Historiquement, l'agglomération était un procédé permettant de reconditionner les particules fines de minerai qui auraient colmatés les hauts fourneaux si elles avaient été chargées telles quelles. La capacité du procédé à éliminer les éléments indésirables comme le soufre a été identifiée très tôt : le procédé d'agglomération sur chaîne élimine 80 à 95 % du soufre présent dans le minerai et ses additifs[4]. C'est également un moyen de se débarrasser du zinc élément « empoisonnant » les hauts fourneaux, car sa température de vaporisation, de 907 °C, correspond à celle d'un grillage bien mené[L 4],[note 8]. Il est aussi possible de brûler des éléments combustibles mélangés aux minerais, ainsi que d'augmenter le degré d'oxydation du fer (par transformation de la magnétite en hématite). En effet, bien que cette opération paraisse a priori contraire à ce qu'on cherche à faire dans un haut fourneau, il est préférable de réaliser la chauffe et la réduction du minerai dans des étapes distinctes[15]. RecyclageLe combustible de la chaîne d'agglomération est du poussier de coke. Celui-ci est en effet inutilisable au haut fourneau où il serait soufflé instantanément par le vent. En 1961, on estime le gain complet (productivité au haut fourneau et gain combustible) lié à l'agglomération de minerai de fer à 100 FF par tonne de fonte[12]. Enfin, en étant une usine de conditionnement de minerais, l'usine d'agglomération permet donc de mélanger des minerais très différents, et d'y intégrer des sous-produits de la fabrication de l'acier riches en oxydes de fer, comme les poussières et les boues issues du dépoussiérage des gaz de haut fourneau ou de convertisseur, les boues de haut fourneau et d'aciérie, les laitiers, les battitures et la calamine récupérées au laminage. Évolutions en coursEn 2020, on dénombre 150 usines d'agglomération dans le monde[16]. Installation dédiée au recyclage, l'usine d'agglomération est, paradoxalement, une installation polluante qui rejette une grande quantité de poussières (50 % des poussières émises par un complexe sidérurgique intégré) contenant des dioxines. Les fumées aspirées sous la chaîne sont soigneusement dépoussiérées et les poussières recyclées dans le procédé. Mais l'efficacité des filtres électrostatiques utilisés dépend beaucoup des conditions du procédé, en particulier de la température des fumées. Avec la mise au point de filtres à manches de grande taille, les normes de rejets évoluent. Il est en effet possible de descendre sous les 1–15 mg/Nm3 dans le cas du filtre à manches, alors qu'on n'atteint que 20–40 mg/Nm3 dans le cas d'un électrofiltre conçu et exploité de manière à atteindre ces valeurs. Quant aux émissions de SO2 ou de NOx, elles peuvent être limitées par l'addition de réactifs dans la charge agglomérée ou dans les fumées[17]. Malgré ces émissions, la pollution émise par les usines d'gglomération reste plus tolérable que celle issue d'autres industries. Par exemple, les deux cheminées de l'usine d'agglomération de Duisbourg-Schwelgern (de), ou celle de Katowice (en), qui atteignent de 250 m, constituent un record alors que de telles hauteurs sont bien plus courantes dans les centrales thermiques ou les fonderies de cuivre. Dans tous les cas, l'augmentation de capacité des filtres reste la solution privilégiée[18].
Notes et référencesNotes
Références
Bibliographie
Voir aussiArticles connexesLiens externes |