En mathématiques, la suite de Farey d'ordre est la suite finie formée par les fractions irréductibles de dénominateur inférieur ou égal à comprises entre 0 et 1, rangées dans l'ordre croissant. Certains auteurs ne restreignent pas les suites de Farey à l'intervalle de 0 à 1[1].
Chaque suite de Farey commence par la valeur 0, décrite par la fraction et se termine par la valeur 1, décrite par la fraction (bien que certains auteurs omettent ces termes). Une suite de Farey est quelquefois appelée série de Farey, ce qui n'est pas véritablement correct, les termes n'étant pas additionnés.
Exemples
Les suites de Farey d'ordre 1 à 8 sont (les termes nouveaux étant colorés en vert):
Histoire
L'histoire des 'séries de Farey' est très curieuse — Hardy & Wright (1979) Chapitre III, page 268
... une fois encore, l'homme dont le nom fut donné à la relation mathématique n'était pas celui qui l'a découverte. — Beiler (1964) Chapitre XVI
Les suites de Farey portent le nom du géologuebritannique Sir John Farey. Dans une lettre concernant ces suites publiée dans le Philosophical Magazine en 1816, Farey conjecture que chaque terme dans une telle suite est le médian de ses voisins — néanmoins, à ce que l'on connaît, il n'a pas prouvé cette propriété. La lettre de Farey a été lue par Cauchy, qui donna la preuve dans ses Exercices de mathématique, et attribua ce résultat à Farey. En fait, un autre mathématicien, Charles Haros(en), avait publié des résultats similaires en 1802 mais il n'était pas aussi connu que Farey ou Cauchy. Ainsi, c'est un accident historique qui relie le nom de Farey à ces suites [2].
Propriétés
Nombre de termes d'une suite de Farey
La suite de Farey d'ordre contient tous les éléments des suites de Farey d'ordre inférieur. En particulier, contient tous les éléments de la suite ainsi qu'une fraction supplémentaire pour chaque entier inférieur à et premier avec Par exemple, la suite est composée des éléments de la suite auxquels il faut ajouter les fractions et Le terme médian d'une suite de Farey est toujours lorsque
Le nombre de termes de (noté ) est donc égal à celui de augmenté du nombre de nombres inférieurs à et premiers avec lui ; en utilisant l'indicatrice d'Euler ceci s'écrit :
En utilisant le fait que le nombre de termes de peut donc s'exprimer en fonction de de la façon suivante :
Le comportement asymptotique de est donné par l'équivalence :
Les voisins dans une suite de Farey
Deux fractions consécutives dans une suite de Farey sont dites voisines ou consécutives à l'ordre Par exemple les fractions et sont voisines aux ordres 5, 6 et 7.
La notion de voisinage est relative à la suite considérée: deux fractions voisines à l'ordre peuvent ne plus l'être à l'ordre pour un plus grand. Par exemple et ne sont plus voisines dans puisque est venue s'intercaler entre les deux.
Mathématiquement, deux fractions irréductibles et sont voisines à l'ordre si et s'il n'y a aucune autre fraction dans qui soit comprise entre et c'est-à-dire si pour toute fraction telle que on a
La propriété fondamentale des suites de Farey est une caractérisation très simple de la relation de voisinage :
Deux fractions irréductibles et sont consécutives à l'ordre si et seulement si la relation est vérifiée.
En divisant les deux membres par on voit que la relation peut également s'écrire :
La quantité est parfois appelée produit en croix ou déterminant des deux fractions ; elle dépend de la représentation choisie des deux fractions, aussi il faut bien supposer dans la propriété ci-dessus que les deux fractions sont en forme irréductibles (ce qui est implicite dans la définition de consécutives). Par exemple si on considère les fractions et qui sont voisines dans , leur produit en croix est qui est bien égal à Mais si on considère une représentation non irréductible des deux mêmes fractions, par exemple et alors leur produit en croix est
Attention également à la condition sur l'ordre de la suite de Farey considérée : le fait que la relation est vérifiée n'implique pas que les deux fractions sont voisines dans toutes les suites de Farey ; en fait on va voir qu'elles sont voisines jusqu'à l'ordre mais plus à partir de . Ainsi et sont voisines aux ordres et mais plus à l'ordre
La seconde propriété fondamentale des suites de Farey est que l'on peut facilement déterminer la première fraction à venir s'intercaler entre deux voisines:
Si et sont consécutives dans la suite d'ordre et si est la fraction médiane:
alors les fractions et sont consécutives dans la suite d'ordre
Par exemple si on reprend les deux fractions et voisines dans on a vu que la première fraction à s'intercaler est qui est bien la médiane.
L'emploi du terme médiane s'explique géométriquement : on se place dans le plan euclidien, on nomme l'origine du repère ; à la fraction on associe le point de coordonnées ; ainsi est la pente de la droite du plan issue de et passant par Si est le point de coordonnées associé à la fraction alors le milieu de et a pour coordonnées et ; on voit que la fraction médiane est alors la pente de la médiane issue de du triangle
La propriété se démontre en utilisant la caractérisation des fractions voisines vue précédemment; de plus sous les hypothèses ci-dessus, notamment que et sont irréductibles, la fraction médiane est automatiquement irréductible également.
La médiane est parfois également appelée somme du cancre ce qui est trompeur car, comme le produit en croix, elle dépend des représentations des fractions. Si on reprend l'exemple du produit en croix on a: et . Dans ce cas, on voit que les médianes de et , d'une part, et de et d'autre part (égales respectivement à et ), ne sont pas égales. Comme pour le produit en croix on se restreindra à ne calculer les médianes que lorsque les fractions sont en forme irréductible de façon à lever toute ambiguïté.
La propriété admet une réciproque : si et sont consécutives dans une suite d'ordre , alors est la médiane de et ; il se peut toutefois, lorsque et ne sont pas voisines, que cette fraction médiane ne soit pas irréductible. Par exemple si on considère les trois fractions et qui sont consécutives dans la suite la fraction médiane de et est qui n'est pas irréductible mais redonne après simplification. De fait et ne sont voisines dans aucune suite.
Il existe également une caractérisation du voisinage en termes de fraction continue : si admet le développement en fraction continue :
alors ses deux voisines dans la suite d'ordre ont pour développement en fraction continue :
Ainsi a pour développement en fraction continue et ses voisines dans sont qui admet le développement et qui se développe en
La propriété de la médiane est à la base de la construction de l'arbre de Stern-Brocot, une structure énumérant les fractions irréductibles obtenue en itérant l'opération de médiane à partir de 0 (= ) et l'infini (= )
Il existe une relation intéressante entre les suites de Farey et les cercles de Ford.
Pour toute fraction (réduite) il existe un cercle de Ford qui est le cercle de rayon et de centre Les cercles de Ford correspondant à deux fractions distinctes sont soit disjoints soit tangents - deux cercles de Ford ne peuvent pas être sécants. Si alors les cercles de Ford qui sont tangents à sont précisément les cercles de Ford associés aux fractions qui sont voisines de dans une suite de Farey.
Les suites de Farey sont utilisées dans deux formulations équivalentes de l'hypothèse de Riemann. Supposons que les termes de soient Définissons en d'autres termes est la différence entre le k-ième terme de la n-ième suite de Farey, et le k-ième élément d'un ensemble de même nombre de points, distribués également sur l'intervalle unité. Jérôme Franel[3] a démontré que l'assertion :
est équivalente à l'hypothèse de Riemann, puis Landau[4] a remarqué, à la suite de l'article de Franel, que l'assertion :
De manière surprenante, un algorithme simple existe pour engendrer les termes dans l'ordre croissant ou décroissant :
100 'Code UBASIC pour engendrer une Suite de Farey d'ordre N dans l'ordre traditionnel
110 N=7:NumTerms=1
120 A=0:B=1:C=1:D=N
140 print A;B
150 while (C<N)
160 NumTerms=NumTerms+1
170 K=int((N+B)/D)
180 E=K*C-A:F=K*D-B
190 A=C:B=D:C=E:D=F:print A;B
200 wend
210 print NumTerms
220 end
Cet algorithme se déduit du fait que, si et sont deux termes successifs dans une suite de Farey alors les successeurs de sont tous de la forme Pour trouver le successeur à l'ordre il faut trouver le plus grand tel que et celui-ci est fourni par la partie entière du quotient de par
Pour engendrer la suite dans l'ordre décroissant :
120 A=1:B=1:C=N-1:D=N
150 while (A>0)
Des recherches en force brute pour les solutions d'équations diophantiennes rationnelles peuvent souvent prendre l'avantage sur les suites de Farey (pour chercher seulement celles en formes réduites) ; la ligne 120 peut aussi être modifiée pour inclure deux termes adjacents quelconques afin d'engendrer seulement les termes plus grands (ou plus petits) qu'un terme donné.
En Python 3 :
#!/usr/bin/env python3# -*- coding: utf-8 -*-"""Created on Mon Jan 23 16:34:16 2023@author: Dominique"""fromfractionsimportFractionn=int(input('Dénominateur maximum : '))numterm=1a,b,c,d=0,1,1,nresu=str(a)+'/'+str(b)print(resu,end=', ')whilec<n:numterm+=1k=int((n+b)/d)e=k*c-af=k*d-ba,b,c,d=c,d,e,fresu=str(a)+'/'+str(b)ifa==1andb==1:print(resu,end='')continueprint(Fraction(resu),end=(', '))
Notes et références
↑Ivan Niven and Herbert S. Zuckerman, An Introduction to the theory of numbers, third edition, John Wiley and Sons 1972. Definition 6.1. "The sequence of all reduced fractions with denominators not exceeding n, listed in order of their size, is called the Farey sequence of order n." Les auteurs ajoutent: "This definition of the Farey sequences seems to be the most convenient. However, some authors prefer to restrict the fractions to the interval from 0 to 1."
↑Daniel Barthes, « Suites de Farey et cercles de Ford », Hors Série Bibliothèque Tangente, no 33, , p. 122-123
↑"Les suites de Farey et le théorème des nombres premiers", Gött. Nachr. 1924, 198-201
↑"Bemerkungen zu der vorstehenden Abhandlung von Herrn Franel", Gött. Nachr. 1924, 202-206
Actes de l'Académie royale des sciences, belles-lettres et arts de Bordeaux (Valat, rapporteur), « Rapport sur un mémoire d'analyse de M. Stouvenel (sur la théorie de Farey et Cauchy) », C. Lawalle (Bordeaux), , p. 639 (lire en ligne)
(en) Albert Beiler, Recreations in the Theory of Numbers, 2e éd., 1964, Dover (ISBN0486210960)
Robert Ferréol, « Addition des cancres, suites de Brocot et friandises associées », Quadrature, no 36, avril mai juin 1999, p. 13 - 24 (lire en ligne)