Street Scene (en anglais : « Scène de la rue ») est un opéra en deux actes écrit par Kurt Weill, sur des paroles de Langston Hughes basées sur la pièce de théâtre Street Scene d'Elmer Rice, laquelle reçut en 1929 le Prix Pulitzer dans la catégorie Théâtre. L'opéra fut écrit en 1946, et la première eut lieu cette année-là à Philadelphie ; Weill fit ensuite des révisions à l'œuvre, et la version définitive fut créée à Broadway en 1947.
Weill appela Street Scene un « opéra américain », et même un « opéra de Broadway », ayant voulu y faire une synthèse de l'opéra traditionnel européen et de la comédie musicale américaine. Après la création à Broadway en 1947, Weill reçut le premier Tony Award de la meilleure partition originale[1]. Street Scene n'a pourtant jamais été rejoué à Broadway, bien qu'il soit assez régulièrement produit ailleurs.
La partition contient des airs et des ensembles dont certains, comme l'air d'Anna Maurrant Somehow I Never Could Believe et celui de Frank Maurrant Let Things Be Like They Always Was, ont des liens et des références au style de Giacomo Puccini. Elle contient aussi des influences de jazz et de blues, dans I Got a Marble and a Star et Lonely House. Parmi les morceaux dont le style est plus proche de celui de la comédie musicale de Broadway, on peut citer Wrapped In a Ribbon and Tied In a Bow, Wouldn't You Like To Be On Broadway? et Moon-faced, Starry-eyed, une longue séquence de chants et de danses.
Contexte
À la fin des années 1920 et au début des années 1930, Weill avait déjà commencé à utiliser des éléments de jazz américain et de chansons populaires dans ses opéras. Après son départ d’Allemagne en 1933, il travailla à Paris, puis en Angleterre, puis à partir de 1935 à New York. Il étudia la musique populaire et la musique de scène américaine, afin d’adapter plus avant sa musique aux styles de la musique de films, de la radio et de Broadway. Il s’efforça de trouver une nouvelle façon de créer un opéra américain qui puisse être un succès tant artistique que commercial[2]. Weill écrivit :
« J’ai le sentiment que nous pouvons et allons développer une forme dramatique et musicale dans ce pays (l’Amérique), mais je ne pense pas qu’on pourra l’appeler « opéra », ni qu’elle sera issue de l’opéra, qui est devenu une chose séparée du théâtre commercial, dépendant pour sa survie d’autres moyens que les seules recettes. Elle se développera à partir du théâtre américain – du « théâtre de Broadway », si vous voulez – et continuera à en faire partie. Au-dessus de toute autre chose, je veux prendre part à ce développement »[3]
Weill cherchait à créer un théâtre musical « qui intégrerait le drame et la musique, la parole parlée, le chant et le mouvement. »[4] Il écrivit en outre :
« Cette forme de théâtre possède une attraction particulière pour le compositeur, car elle lui permet d’utiliser une grande variété de langages musicaux, d’écrire de la musique à la fois sérieuse et légère, « opératique » et populaire, riche d’émotions et sophistiquée, orchestrale et vocale. Chaque spectacle de ce genre doit créer son propre style, sa propre texture, sa propre relation entre les mots et la musique, car la musique devient une véritable partie intégrante du spectacle : elle participe à l’approfondissement des émotions et clarifie la structure. »[5]
Weill vit la pièce naturaliste de Rice en 1930 et voulut l’adapter. Il écrivit :
« C’est une histoire simple de la vie quotidienne dans une grande ville, une histoire d’amour et de passion, d’avidité et de mort. J’ai vu de grandes possibilités musicales dans sa structure théâtrale : la vie dans un immeuble, entre un soir et le lendemain après-midi. Trouver la poésie inhérente à ces gens et mélanger ma musique avec le dur réalisme de la pièce m’a semblé un grand défi. »[6]
En 1936, Weill rencontra Rice à New York et suggéra l’adaptation, mais Rice refusa. Après le succès des œuvres de Weill Knickerbocker Holiday en 1938, Lady in the Dark en 1940, et One Touch of Venus en 1943, et après la composition par Weill de musique de scène pour la pièce de Rice Two on an Island en 1939, Weill demanda à nouveau, et Rice acquiesça. Ensemble, ils choisirent le poète de la Renaissance de HarlemLangston Hughes pour, comme l’écrivit Weill, « élever le langage quotidien des gens en une poésie simple. »[7].
Afin de rendre la nouvelle œuvre plus réaliste, les collaborateurs utilisèrent des scènes de dialogue, parfois sous-tendus de musique. Pour créer une musique qui représente le mélange de personnages décrits dans la pièce de Rice, Weill se promena dans les faubourgs de New-York, regardant les enfants jouer et observant les habitants. Hughes emmena Weill dans des boîtes de nuit de Harlem pour écouter les langages les plus récents du jazz et du blues des noirs américains. Hughes écrivit : « Les chansons qui en résultèrent furent composées dans une langue des noirs américains, mais un Allemand, ou tout autre personne, pourrait les chanter sans que cela semble étrange ou déplacé. »[8] Weill et de nombreux critiques ont considéré que la partition était son chef-d’œuvre[2].
L'histoire se déroule devant un immeuble d'habitation de l'East Side de Manhattan, durant deux journées caniculaires de 1946. Elle se focalise autour de deux sujets : la relation entre Rose Maurrant et son voisin Sam Kaplan, et la relation extra-conjugale de Anna, la mère de Rose, relation qui est finalement découverte par Frank, l'irritable père de Rose. Le spectacle montre les relations, bavardages et chamailleries ordinaires des voisins, alors que les tensions grandissantes impliquant la famille Maurrant deviennent une tragédie de proportions épiques.
↑Cité dans Graziano, John. Musical Dialects in Down in the Valley, A New Orpheus: Essays on Kurt Weill, éd. Kim H. Kowalke, p. 299 (1986) New Haven: Yale University Press.