Salò ou les 120 Journées de Sodome (Salò o le centoventi giornate di Sodoma) est un film italien réalisé par Pier Paolo Pasolini en 1975. Prévu comme le premier épisode de sa Trilogie de la mort, il s'agit du dernier film du cinéaste, assassiné moins de deux mois avant sa sortie en salle à Rome. Il n'a d'ailleurs pas eu le temps d'en finir le montage, d'où une dernière partie écourtée[1] (à la suite d'une disparition ou d'un vol de bobines).
L'action commence à Salò, ville près du lac de Garde où, en , les nazis installèrent Benito Mussolini, qu'ils venaient de libérer. Quatre notables riches et d'âge mûr, fascistes et libertins, y rédigent leur projet macabre. Elle se poursuit par la capture de 9 jeunes garçons et 9 jeunes filles dans la campagne et quelques villages alentour.
Les quatre notables, le Duc, l’Évêque, le Juge et le Président, entourés de divers servants armés et de quatre prostituées, ainsi que de leurs femmes respectives (chacun ayant épousé la fille d'un autre au début du film), s'isolent dans un palais des environs de Marzabotto, dans la république de Salò.
Divisé en quatre sections, comme dans l'œuvre du marquis de Sade, qui prennent le nom de cercles infernaux, comme dans l'œuvre de Dante Alighieri, le film met en scène les adolescents (garçons et filles) choisis par ces notables devant endurer cent vingt jours de manipulation, maltraitance, torture, domination sexuelle et mentale.
Antinferno (le « Vestibule de l'enfer ») : dans cette première partie du film, le réalisateur plante le décor ; il s'agit du moment où les notables choisissent leurs victimes et les emmènent dans le palais où se dérouleront les cent vingt jours de détention. Les règles sont simples : désormais les adolescents choisis n'ont plus de vie, ils ne sont ici que pour le plaisir des notables et ne doivent n'espérer rien d'aimable ou de compatissant de leur part. Tout adolescent ne respectant pas les règles se verra sévèrement réprimandé.
Girone delle manie (le « Cercle des passions »). Deuxième partie du film où ont lieu diverses scènes de viol et de domination sexuelle sur les adolescents.
Girone della merda (le « Cercle de la merde »). Troisième partie du film prenant un tout autre tournant. En effet, les matières fécales sont désormais l'objet d'attirance et de désir. Les victimes doivent notamment s'asseoir dans un baquet d'excréments, manger ceux du Duc ou encore des plats fécaux au cours d'un grand banquet aménagé pour l'occasion.
Girone del sangue (le « Cercle du sang »). Dernière partie du film. Les quatre notables découvrent que certaines de leurs victimes agissent secrètement et détournent les règles. Tout au long du film, les notables ont rédigé le nom de ceux qui désobéissaient. L'heure est venue d'appliquer leur châtiment. Des adolescents rebelles sont tués par balle, et d'autres sont violemment torturés à la vue de tous. Cette partie du film est l'occasion de diverses tortures et mutilations (langue coupée, yeux énucléés, scalpations, marquages au fer et au briquet de tétons et de sexes…).
L'ensemble du film est crûment montré dans une mise en scène qui reprend le cérémonial sadien.
Fiche technique
Titre français : Salò ou les cent-vingt journées de Sodome
Titre original : Salò o le centoventi giornate di Sodoma
L'actrice incarnant la première victime parmi les neuf filles (qui implore madame Castelli de l'aider à s'échapper au début du film, qui tente de se défenestrer durant le premier récit de madame Vaccari et qui finit égorgée dans l'autel religieux) n'est pas créditée au générique ; son prénom n'est pas mentionné au cours du film.
Musiques
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Aucun crédit ne figure au générique.
Les actrices françaises Hélène Surgère et Sonia Saviange ont été choisies par Pier Paolo Pasolini parce qu'il les avait remarquées dans le film Femmes femmes (1974) de Paul Vecchiali : ces deux actrices reprennent (toujours en français) le sketch « Femmes femmes » dans Salò ou les 120 journées de Sodome, sketch qu’elles interprétaient déjà dans le film homonyme. Hormis ce sketch, le rôle de Sonia Saviange est muet.
La version originale parlant italien et sous-titrée en français (VOSTF) est la seule qui soit sortie sur grand écran en France. Conformément aux habitudes de production italiennes[9], certains rôles sont doublés dans cette version originale parlant italien. Une version « officielle » parlant français et due à Jean-Claude Biette a été éditée par la suite en DVD. Biette a précisé dans le générique de cette version « officielle » :
« Je me souviens du moment où j’ai terminé le sous-titrage de Salò, Pasolini est passé au studio d’enregistrement dans le 13e, on lui avait préparé des essais de voix pour tous les rôles. […] C’était pour lui un film français, à cause de Sade, mais aussi des citations de Proust, Klossowski, Sollers, Blanchot. […] Il tenait à ce que la version originale soit la version française. »
Dans la quatrième partie, on entend à la radio une œuvre d’Ezra Pound (1885-1972), poète américain qui trahit son pays au profit de Mussolini.
C'est le film le plus sombre et le plus désespéré de Pasolini. Il est minutieusement construit comme une descente progressive à travers différents cercles de la perversité, à l'image de l'œuvre de Sade. Selon Jean-Luc Douin, dans Le Monde, après avoir réalisé une série de films exaltant la sexualité dans l’allégresse (Trilogie de la vie), Pasolini considère la libération sexuelle comme une tromperie[10]. Il s’élève contre la société de consommation et le capitalisme, qui asservissent la sexualité, qui devrait être libératrice, et expose les vies privées[10]. Il dénonce dans son film, une nouvelle fois, les horreurs de la société bourgeoise : la sexualité, auparavant vue comme une grâce pour l’humanité, devient une marchandise à consommer, sans égard pour la dignité humaine[10]. Les dernières scènes, particulièrement difficiles à soutenir, sont vues à travers des jumelles, afin d’installer une distance[10].
Accueil
Le film fait scandale lors de sa sortie. Il est interdit ou censuré dans de nombreux pays pendant plusieurs années, y compris en Italie. En , sa projection est interdite à Zurich, en Suisse, à la suite de plaintes (la polémique éclate après que le journal gratuit 20 Minuten a stigmatisé la programmation de Salò dans une église de Zurich dans le cadre d'une rétrospective consacrée au cinéaste italien ; le film devait être projeté dans le temple protestant en raison des travaux de rénovation du cinéma Xenix). Finalement, quelques jours plus tard, la censure est levée sous la pression des défenseurs de la liberté d'expression[11].
Aujourd'hui encore, près de 50 ans après sa sortie, le film est considéré comme l'un des plus scandaleux et violents jamais réalisés. La sévérité de ses images et le réalisme cru avec lequel elles sont montrées contribuent au mythe du film et beaucoup le considèrent comme un véritable classique du cinéma mondial.
À la télévision
Toujours interdit de diffusion à la télévision publique française, hormis une diffusion sur FR3 à la fin des années 1970[12], Salò fait l'objet d'un véritable culte ; il a longtemps[Quand ?] été projeté dans une salle « Art et Essai » du Quartier latin de Paris.
Réservé à un public averti, il a toutefois été diffusé en France sur CinéCinéma Classic à l'occasion d’une intégrale Pasolini fin 2008[13] et sur Paris Première.
Par des cinéastes
Encore aujourd’hui, des réalisateurs comme Gaspar Noé[14] et Claire Denis[15] avouent, dans un supplément du DVD paru en 2009, leur malaise au visionnage du film[10].
Il est resté un sommet pour de nombreux cinéastes, dont R.W. Fassbinder, qui, pourtant, avait vu la projection en France[16] de son film Maman Küsters s'en va au ciel perturbée le lors du festival de Paris, la foule envahissant la salle de cinéma avant l'heure pour être sûre d'avoir une place pour Salò, le film suivant.
Michael Haneke le considère comme l'un de ses films préférés même si, selon ses dires, il n'a jamais pu le revisionner[17].
Au cours de la sélection finale des jeunes ayant enfreint le règlement, plusieurs d'entre eux ne l'ayant pas enfreint se retrouvent malgré tout « punis » en raison de leurs fautes. Cela peut très facilement s'expliquer par la réduction de la version officielle du film à 111 minutes, contre une version originale de 145 minutes. Parmi les seuls jeunes punis pour avoir enfreint le règlement on relèvera seulement :
Claudio pour avoir refusé de faire une fellation à Monseigneur.
Lamberto pour avoir refusé de manger à quatre pattes comme un chien dans une gamelle remplie de charcuterie.
Renata pour avoir imploré Dieu, lorsqu'Efisio et les collaborateurs la déshabillent à la demande du Duc.
Doris pour avoir déféqué, durant le Cercle de la merde, dans un pot de chambre et non dans le baquet préparé à l'occasion.
Carlo pour la même raison que Doris.
Antiniska et Eva pour s'être enlacées de manière suggestive durant le dernier mariage, au début du Cercle de sang (il s’avérera par la suite qu'elles sont lesbiennes).
Graziella pour avoir conservé et caché une photo de son petit ami sous son oreiller (elle sera néanmoins épargnée par la suite, visiblement pour avoir dénoncé la relation entre Eva et Antiniska).
Il n'est ainsi jamais révélé, au cours du film, les fautes qui ont amené les filles des dignitaires (Tatiana, Suzy, Giulana et Liana) et les autres jeunes (Fatma, Giulana, Benedetta, Sergio, Tonino et Franco) à être punis. Cependant, l'acteur Franco Merli avait révélé dans une interview[18] avoir été puni pour avoir probablement tenu des propos blasphématoires à l'encontre du règlement rédigé par les seigneurs dans une scène, coupée lors du montage, qui se serait déroulée dans le dortoir des garçons. Par ailleurs, le personnage de Benedetta (dont la mort n'est même pas montrée) disparaît dans de nombreuses scènes du film, à savoir le mariage de Sergio et Renata, la scène des chiens, le dernier mariage, ainsi qu'au cours de la scène des sélections, mais elle réapparaît pourtant ligotée avec les autres condamnés dans les toilettes pendant le récit de Mme Castelli.
Autre mystère, le personnage d'Eva disparaît définitivement du film après que les dignitaires ont exécuté Ezio et la servante noire, dont l'amour interdit a été dénoncé par Eva. Présente dans l'appartement de la domestique quand ils sont tués, elle ne réapparaît alors plus dans aucune scène y compris lors de la sélection, laissant planer le doute sur son sort. Des photos de tournage réalisées par Deborah Imogen Beer et Gideon Bachmann révèlent qu'Eva est en fait abattue par les quatre dignitaires en tentant de s'enfuir, après l'exécution d'Ezio et de la servante noire, mais que la scène ne sera pas retenue au montage final par décision des producteurs de l'époque. Plus récemment, le vidéaste Tristan Bayou-Carjuzaa a opéré un travail de reconstitution du montage intégral du film à partir de ces photos et des images d'archives encore disponibles.
À l'occasion du tournage du film biographique sur le cinéaste (Pasolini, sorti en 2014), le réalisateur américain Abel Ferrara annonce qu'il avait l'intention d'ajouter des séquences inédites du film Salò, issues des bandes volées durant le tournage et fraîchement retrouvées à l'époque[19].
Notes et références
↑Source : SensCritique. Voir, plus particulièrement, les commentaires qui font suite à la critique.
↑Par exemple, dans le film La Nuit américaine (film français réalisé par François Truffaut, sorti en 1973), un réalisateur français est aux prises avec une actrice italienne incapable ou peu s’en faut de dire le moindre texte.
Frank Vande Veire, Prenez et mangez, ceci est votre corps : « Salò ou les 120 jours de Sodome » de Pier Paolo Pasolini, Bruxelles, éd. La Lettre volée, 2007, 160 p. (ISBN978-2-87317-321-0) ; traduit du néerlandais par Daniel Cunin La traduction de ces textes initialement parus dans la revue De Witte Raaf se base sur le livre Neem en eet, dit is je lichaan. Fascinatie en intimidatie in de hedendaagse cultuur (Amsterdam, 2005).
Peter Kuon, « La provocation du corps dans l'œuvre cinématographique de Pier Paolo Pasolini », dans Peter Kuon, Béatrice Laville, Élisabeth Magne et Susanne Winter (dir.), Polémiquer, scandaliser, provoquer, Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, coll. « Eidôlon » (no 128), , 272 p. (ISBN979-10-91052-29-0, DOI10.4000/books.pub.45695), p. 119-131.
Benjamin Berget, Pasolini. Mort pour Salò, vol. 1, 2020, 426 p., édition indépendante (ISBN979-8681051251)
Julie Paquette, « Pasolini avec Sade : la question de l'anarchisme au pouvoir », dans Armelle St-Martin (dir.), Sade dans tous ses états : deux cents ans de controverses, Mont-Saint-Aignan, Presses universitaires de Rouen et du Havre, , 266 p. (ISBN979-10-240-0841-7), p. 213-230.