RequerimientoLe Requerimiento (« Injonction » ou « Sommation ») est un texte rédigé en 1513 par le juriste espagnol Juan Lopez de Palacios Rubios, à une époque où, après la conquête d'Hispaniola dans les années 1490, commence l'expansion espagnole dans les Caraïbes (Cuba en 1511) et sur le continent américain (Mexique en 1515). Le Requerimiento est censé être lu aux autochtones par les conquistadors espagnols lors du premier contact, afin d'obtenir leur soumission immédiate. Ce texte, qui se fonde sur le livre de la Genèse, affirme que le pape a autorité sur ces terres en tant que vicaire du Christ et qu'elles sont octroyées par Dieu au souverain du pays qui les a découvertes ; en conséquence, au cas où les autochtones refuseraient cette double autorité et, notamment de se convertir au christianisme, les chrétiens mèneraient contre eux une guerre juste. ContexteLe contexte du Requerimiento est le problème des relations entre chrétiens et non chrétiens, devenu aigu vers 1500 en Espagne, dans le cadre des grandes découvertes et de la fin de la Reconquista : 1) les grandes découvertes portugaises, initiées en 1415 par le prince Henri le Navigateur (exploration de la côte de l'Afrique, avec pour objectif à long terme une liaison maritime directe vers les Indes), mettent les Portugais en contact direct avec les Africains noirs à partir des années 1440 ; en 1452, le pape promulgue la bulle Dum Diversas, qui autorise leur réduction en esclavage par les Portugais (à qui le pape réserve le droit de naviguer au sud des îles Canaries), en principe à la suite d'une guerre. 2) la fin de la Reconquista, effective en janvier 1492 avec la prise de Grenade et la fin du royaume de Grenade, dernier bastion musulman en Espagne. Lors de l'annexion de ce royaume par la Castille, les musulmans (« Maures ») ont le choix entre partir en exil ou rester ; dans ce dernier cas, beaucoup de gens estiment qu'ils doivent se convertir au christianisme : les Rois catholiques Isabelle de Castille et Ferdinand d'Aragon imposent la conversion des musulmans par un édit du 14 février 1502 (les convertis, appelés « Morisques », seront tout de même expulsés au début du XVIIe siècle). 3) les grandes découvertes espagnoles, initiées par le voyage de Christophe Colomb de 1492 ; les Espagnols entrent alors au contact avec des peuples nouveaux, les « Indiens » (car on croit au départ avoir atteint les Indes), indigènes des îles Caraïbes. Quel doit être leur statut ? Pour Colomb, la réduction en esclavage est possible : revenant de son deuxième voyage en juin 1496, il ramène 500 captifs en Castille. La reine Isabelle s'oppose à ce qu'ils soient vendus comme esclaves ; ils seront libérés et rapatriés un peu plus tard. Mais le problème se pose sur place : les indigènes peuvent-ils être asservis ? doivent-ils être convertis de force ? Un certain nombre de religieux présents dans les îles, notamment le groupe des Dominicains qui y ont été envoyés[1], estiment que les indigènes ont des droits. Circonstances de la rédactionJuan Lopez en 1512En 1512, Juan Lopez de Palacios Rubios est un homme important dans le royaume de Castille : docteur en droit, il est professeur à l'université de Valladolid, mais aussi membre de plusieurs conseils royaux, notamment le Conseil de Castille à partir de 1504. Le sermon de Montesinos en défense des Indiens (1511)Le Requerimiento est une conséquence du sermon célèbre[2] prononcé à Hispaniola le 21 décembre 1511 par le dominicain Antonio de Montesinos, dénonçant devant les colons leur comportement envers les Indiens et leur enjoignant de les aimer comme Dieu aime tous les hommes. Ce sermon en défense des indigènes suscite une réaction immédiate du gouverneur Diego Colomb, fils de Christophe, qui le dénonce à Ferdinand d'Aragon, régent de Castille, en affirmant notamment que Montesinos a mis en cause l'autorité royale dans les Indes. Il envoie aussi un émissaire à Ferdinand, mais les dominicains d'Hispaniola, au nombre de quinze, envoient aussi l'un d'entre eux, Pedro de Cordoba, à la cour de Castille pour défendre Montesinos. Les lois de Burgos (1512)Ferdinand, qui est moins soucieux du sort des Indiens que ne l'était son épouse Isabelle (morte en 1504), réunit cependant une commission qui élabore les lois de Burgos (1512). L'année suivante, une nouvelle commission est réunie pour rédiger une « clarification des lois de Burgos » (1513). C'est dans ces circonstances que Juan Lopez élabore ensuite son Requerimiento. Analyse du texteLe texte affirme que les territoires américains sont d'ores et déjà sous la supervision du Pape, en ce que la Terre a été créée tout entière par Dieu, et que les autochtones, disposant d'une âme, sont déjà pleinement chrétiens. Le texte entend légitimer la conquête. Pour ce faire, il commence par exposer une chaîne qui part de la création du Monde par Dieu, passe par Saint-Pierre et les papes, pour aboutir aux Espagnols, auxquels le pape aurait fait don de l'Amérique[3]. Cela est une allusion au traité de Tordesillas en 1494, par lequel le pape Alexandre VI partage le Nouveau Monde entre l'Espagne et le Portugal. Les Indiens étant maintenant informés de la situation, ils sont sommés de se soumettre, sous peine d'être réduits en esclavage. SuitesIl est censé être lu aux indigènes lors d'une première rencontre, mais c'est souvent impossible dans le cas, courant, où il n'y a pas d'interprète. Le texte donne lieu à beaucoup de critiques, dès sa première tentative d'application en 1514 par Pedrarias Dávila à Panama. Dans la Suma de Geografía du bachelier Fernández de Enciso (1519), son contenu est remis en question. L'auteur rapporte dans une anecdote qu'après lui avoir lu le Requerimiento, un cacique du Cenú lui a répondu que le pape devait être fou et le roi d'Espagne ivre pour céder ce qui ne leur appartenait pas. PostéritéLe Requerimiento est vite connu des intellectuels de l'Europe entière. Bartolomé de las Casas (1484-1566) se montre particulièrement critique à l'égard du Requerimiento. Il écrit : « C'est se moquer de la vérité et de la justice, et c'est une grande insulte à notre foi chrétienne, à la piété et à la charité de Jésus-Christ, et cela n'a aucune valeur juridique »[4]. Montaigne (1533-1592) en parle dans ses Essais, en présentant la découverte de l'Amérique de façon positive dans un premier temps. Il écrit ainsi que « En costoyant la mer en quête de leurs mines, aucuns espagnols prirent terre en une contrée fertile et plaisante, fort habitée, et firent à ce peuple leur remontrance acoutumée : Qu'ils étaient gens paisibles, venans de lointains voyages, envoyez de la part du Roy de Castille, le plus grand prince de la terre habitable, auquel le Pape, représentant Dieu en terre, avait donné la principauté de toutes les Indes ; que, s'ils voulaient luy estre tributaires, ils seraient très bénignement traictez; leur demandait des vivres pour leur nourriture et de l'or pour les besoins de quelque medecine ; leur remontroient au demeurant la créance d'un seul Dieu et la vérité de notre religion, laquelle ils leur conseilloient d'accepter, y adjoutans quelques menaces »[5]. Il se montre ensuite plus critique, parlant de cités « rasées », de nations « exterminées »[6]. Texte du Requerimiento (traduction en français)« Au nom de Sa Majesté catholique et impériale, roi des Romains et empereur toujours auguste, au nom de Doña Juana, sa mère, rois d’Espagne etc., défenseur de l'Église, toujours vainqueur et toujours invincible, conquérant des peuples barbares, […] je vous fais savoir, le mieux qu’il m’est possible, que Dieu notre Seigneur, unique et éternel, a créé le ciel, la terre, un homme et une femme, desquels nous et vous ainsi que tous les hommes du monde, passés et présents, nous sommes descendants et de qui descendront tous ceux qui viendront après nous. Mais le grand nombre des descendants de ces premiers parents a été cause qu’il y a cinq mille ans et plus, depuis la création du monde, il a été nécessaire qu’une partie de ces hommes s’en allassent d’un côté, et une autre partie d’un autre côté, et qu’ils se divisassent dans un grand nombre de royaumes et de provinces, car ils ne pouvaient tous subsister dans une même contrée. Notes et références
Voir aussiBibliographie
Liens externes |