Relativité d'échelle

La théorie de la relativité d'échelle, développée par le physicien français Laurent Nottale, est une tentative qui vise à concevoir une théorie géométrique de l'espace-temps valable à toutes les échelles, compatible avec le principe de relativité. Pour cela, l'hypothèse classique de la différentiabilité de l'espace-temps est supprimée : l'espace-temps serait non-différentiable à certaines échelles (relativement plus petites), et différentiables à d'autres (celles de la physique classique). L'espace-temps posséderait ainsi un caractère fractal[1] de dépendance d'échelle qui doit transparaître dans la définition des systèmes de coordonnées, et des équations de la physique. Le résultat des mesures d'un phénomène physique serait alors dépendant du choix de référentiel en termes de position, d'orientation, de mouvement et d'échelle (ce qui produit une variation des résultats de la mesure selon la résolution des instruments utilisées).

Au XXIe siècle, elle reste peu connue et sujette à d'importantes contestations.

Une généralisation de la relativité « générale »

L'idée moderne de la relativité remonte à Galilée, avec son exposé sur les systèmes du monde, où il décrit le mouvement « qui est comme rien », c'est-à-dire que le mouvement en tant que tel n'existe pas pour celui qui partage le même référentiel. La généralisation proposée par la relativité d'échelle est particulièrement naturelle lorsque l'on s'attache à décrire l'évolution de l'idée de relativité en fonction des propriétés du concept le plus fondamental de la physique : l'espace-temps.

Une vision de l'espace-temps

Dans la relativité « galiléenne », l'espace-temps est

  1. continu,
  2. « lisse » (c'est-à-dire différentiable, et même infiniment différentiable),
  3. et « droit » (c'est-à-dire euclidien, les droites parallèles ne se rejoignent jamais).

Ces 3 points sont des axiomes fondamentaux sur la structure de l'espace-temps.

Il est possible de voir le travail d'Einstein comme la tentative de se soustraire de l'hypothèse de l'espace-temps euclidien « droit » (point 3 ci-dessus) ; les raisons qui l'ont amené là sont diverses, mais peuvent néanmoins se ramener à ça. Dans la relativité générale, l'espace-temps n'est pas supposé euclidien partout, il est parfois courbe. En d'autres termes, l'espace-temps euclidien est un cas particulier (conforme à notre expérience ordinaire, certes, mais un cas particulier quand même) d'un espace plus général qui, lui, est courbe (et plus précisément riemannien). Et c'est précisément le but de la physique fondamentale que d'essayer de s'affranchir des conditions particulières pour atteindre les lois de la nature les plus générales.

Nottale propose lui de supprimer l'axiome que l'espace est « lisse » pour le rendre fractal et donc non-différentiable (point 2 ci-dessus). En fait, Nottale n'est pas le premier à supposer les coordonnées d'espace-temps comme non différentiables: il suffit d'interpréter les équations dans le cadre des distributions[pas clair].

Dans l'équation d'Einstein (regroupant 16 équations différentielles du deuxième ordre couplées), on trouve des dérivées secondes. En formulation forte, les coordonnées d'espace-temps sont donc implicitement considérées comme deux fois différentiables.

Toute l'originalité de la relativité d'échelle résiderait précisément ici : elle consiste à supprimer encore une hypothèse sur l'espace-temps, celle de la différentiabilité. L'espace-temps resterait continu, mais il ne serait plus seulement courbe, mais aussi non différentiable, autrement dit fractal (conséquence du théorème de Lebesgue). C'est la caractéristique majeure de cette théorie face aux autres théories du tout : elle fait l'hypothèse de supprimer cet axiome, et ce sur l'objet le plus fondamental de la physique : l'espace-temps.

La relativité d'échelle est supposée englober donc par définition la relativité générale, puisqu'elle est supposée en être une généralisation. Ainsi, l'espace-temps courbe (riemannien) deviendrait lui aussi un cas particulier d'un espace-temps encore plus général. Pour aller plus loin, il serait possible d'imaginer un espace-temps discontinu (point 1 ci-dessus), mais il semble que ce ne soit pas (ou pas encore ?) utile pour comprendre les problèmes physiques auxquels nous sommes confrontés.

Justification conceptuelle

Un problème théorique que la relativité restreinte d'Einstein essayait de résoudre était l'apparition d'une constante, , dans les équations de Maxwell décrivant la propagation des ondes électromagnétiques, dont la lumière. Le problème posé par cette constante ayant la dimension d'une vitesse est qu'elle semblait indépendante de la vitesse de l'observateur, et par conséquent n'obéissait pas à la loi additive de composition des vitesses .

De la même façon, l'équation de Schrödinger fait apparaître une constante à partir de laquelle on peut dériver une distance fondamentale, la longueur de Planck , qui apparaît indépendante de la résolution à laquelle on l'observe, contrairement aux autres quantités assimilables à des longueurs.

Tout comme l'existence d'une vitesse absolue requiert l'écriture d'une loi de composition de vitesses qui laisse cette vitesse invariante (la Transformation de Lorentz), l'existence d'une longueur apparemment absolue suggère qu'il est nécessaire d'écrire les changements d'échelle d'une façon qui préserve cette longueur. La relativité d'échelle est principalement l'étude des conséquences d'une telle transformation.

Calculs fondamentaux : exposé simplifié

En relativité générale, la composition des vitesses ne se réduit pas à une simple addition. Par exemple, vue d'une gare, la vitesse d'une balle dans un train n'est pas la somme de la vitesse du train et de la vitesse de la balle vue du train. Le calcul correct fait intervenir une composition des vitesses un peu plus compliquée mais calculable par la transformation de Lorentz, qui introduit une vitesse limite (celle de la lumière), pour laquelle v « + » c = c.

Avec la relativité d'échelle, la même chose se produit avec la composition des niveaux de « zoom », qui ne se réduit pas à une simple addition (en échelle logarithmique). Autrement dit : si on passe d'une mesure d'un objet en centimètres à une mesure en millimètres par une multiplication par 10 (1 ordre de grandeur), et de la même mesure en millimètres à une mesure en micromètres par une multiplication par 1000 (3 ordres de grandeur), on ne passe pas de la mesure en centimètres à celle en micromètres par une multiplication par 10x1000 = 10 000 (1+3 = 4 ordres de grandeur). En supposant que la transformation de Lorentz se généralise à la composition des échelles, Nottale a annoncé que cela impliquerait naturellement des tailles limites.

  • une limite inférieure dans l'espace (on ne pourrait plus parler d’infiniment petit), qu'on peut identifier à la longueur de Planck
  • une limite supérieure dans l'espace (on ne pourrait plus évoquer non plus d’infiniment grand), L, qui est la taille de l'Univers.
  • une limite inférieure dans le temps, le mur de Planck.

Dans cette théorie, toutes ces limites sont aussi solides que le "mur de la vitesse de la lumière", vouloir parler d'un objet "au-delà" n'a pas plus de sens que parler d'un objet « plus rapide que c ». Notamment, regarder plus "tôt" dans le temps que le mur de Planck n'a pas non plus la moindre signification : le « Big Bang » est inaccessible.

Il est bien sûr possible de tenter un "zoom" supplémentaire, mais cela conduit à voir exactement la même chose (exactement comme se mettre dans un train encore plus rapide ne change pas la vitesse de la lumière observée).

"Assez loin" des échelles limites, on resterait dans le domaine « non-relativiste d'échelle », où les lois classiques de composition des échelles s'appliquent : si un objet en mm est 10 fois plus gros que le même en cm, et si l'objet est 100 fois plus gros en cm qu'en mètres, alors il est, à une approximation impossible à prendre en défaut, 1000 fois plus gros en mm qu'en mètres. Selon le cas, c'est la mécanique quantique ou la relativité générale qui s'applique. Par contre, ces deux théories doivent devenir de plus en plus fausses au fur et à mesure qu'on se rapproche des échelles limites, les écarts prévisibles sont calculables, et c'est un point qui permettra de valider (ou au contraire infirmer) la théorie de la relativité d'échelle.

Conséquences

  • L'espace aurait une nature fractale, (d’après Laurent Nottale, de dimension deux vers les petites échelles, ce qui lui fera par boutade considérer le monde physique comme similaire à un gros économiseur d'écran). Concrètement, cela signifie qu'un objet mesuré en millimètre est un peu différent du même objet mesuré en mètres (mais cf. infra).
  • La relativité d'échelle explique la quantification et l'apparition de structures à différentes échelles (en dépit de la continuité de l'espace-temps), et ce, sans supposer une fluctuation initiale ou une "force" spécifique. On retrouve cela en astronomie (astéroïdes, planètes et soleils ; systèmes solaires ; galaxies ; amas ; super-amas) et en physique des particules.
  • La relativité d'échelle explique la conservation de la charge électrique comme liée à la symétrie d'échelle, et quantifiée en raison de l'existence de l'échelle limite de Planck.

En effet, une des conséquences les plus étonnantes de cette théorie est qu’il existe des trajectoires qui varient indéfiniment suivant les changements d’échelles (il n’existe donc aucune échelle où ces trajectoires peuvent se ramener à une droite, comme c’est le cas en physique classique, autrement dit ces trajectoires sont des fractales). Ce résultat a deux conséquences importantes :

  • Les mouvements apparemment aléatoires des particules de la physique quantique ne seraient en réalité que des mouvements suivant de telles trajectoires fractales (d’où une possible unification de la physique quantique et de la relativité). Ce qui expliquerait aussi pourquoi le fait d’observer ces particules influe sur leur comportement, puisqu'une observation suppose forcément une échelle d’observation.
  • Vu que le concept de dérivées mathématiques s’appuie justement sur le fait qu’une portion infiniment petite de courbe peut être assimilée à un segment de droite, l’existence de trajectoires fractales remet en cause l'application de ce concept à la physique réelle. Ainsi, aux échelles quantiques, les trajectoires des particules ne seraient pas différentiables, ce qui explique l’impossibilité de leur associer une vitesse au sens classique.

La mécanique quantique

Le plus remarquable, c'est que l'application des lois de la relativité d'échelle implique la quantification.

La mécanique quantique n'est ainsi pas abolie, elle apparaît comme un simple cas particulier.

Cas des hautes énergies

Cependant, la relativité d'échelle implique que la mécanique quantique "standard" devient fausse aux très hautes énergies (supérieure à 100 GeV), car elle ne prend pas en compte les effets relativistes d'échelles qui deviennent sensibles à ce niveau. En fait, la relativité d'échelle dans sa forme actuelle ne tient pas compte des modifications à faire dans le cas des hautes énergies. Par exemple, elle établit une correspondance entre les lois de Newton et l'équation de Schrödinger, mais en ce qui concerne les équations macroscopiques de la relativité restreinte et les équations de la mécanique quantique tenant compte des effets relativistes, Laurent Nottale y travaille encore.

À ce titre, on peut contester l'expression "généraliser la relativité générale" puisque la théorie n'est même pas encore accordée avec la relativité restreinte !

Autres branches de la science : une "mécanique quantique généralisée"

Laurent Nottale prétend appliquer le principe général de la relativité d'échelle à n'importe quel objet de science. Par exemple, il suggère une application à la biologie : aux grandes échelles de temps, un système chaotique finit par se comporter comme un système quantique, ce qui implique :

  • une hiérarchie d'organisation (dans l'espace des échelles) ; on observe ainsi des individus et des espèces, alors même que le répertoire génétique apparait (presque) continu ;
  • une structure fractale des arbres évolutifs (quantification dans le temps) ;
  • des implications en morphogenèse et auto-organisation (dans l'espace et le temps).

Cette application inattendue a plutôt tendance à discréditer la thèse de Laurent Nottale. En effet, les lois mathématiques qu'il prétend trouver dans l'évolution de l'homme sont contestées par les paléontologues, qui pensent tout simplement que l'équipe de Nottale n'a choisi que les événements confirmant sa thèse et pire, considèrent qu'il s'agit d'un truquage en faveur de l'actuelle offensive néo-créationniste[réf. souhaitée].

Nottale a par ailleurs proposé d'appliquer la relativité d'échelle à l'astrophysique[2]. Il propose en particulier d'employer une "équation de Schrödinger généralisée" pour expliquer les positions des planètes. Contrairement à la loi de Titius-Bode, la loi qu'il obtient attribue plusieurs positions à la ceinture d'astéroïdes (Nottale assurant que les positions représentent bien la répartition massique). Autre caractéristique intéressante, sa loi prévoit l'existence possible de vulcanoïdes à 0,05 UA ou 0,18 UA du Soleil, quoique la distance la plus faible est peu probable aux yeux de Nottale (peu de chances pour un objet d'exister si près du Soleil). Son collègue G. Schumacher a donc participé aux recherches de vulcanoïdes, en vain. Mais comme le fait remarquer Nottale, puisque Einstein a parfaitement expliqué l'orbite de Mercure et que la relativité d'échelle reprend la relativité générale, l'objet doit nécessairement être 1000 fois moins massif que la Terre, donc peu aisé à détecter. On peut aussi noter que Nottale avait exagéré en qualifiant un objet si léger de planète (cela semblait un peu osé à l'époque, il est certain que la nouvelle définition ne donne aucune chance à un objet si léger d'obtenir ce titre).

Depuis ces travaux, la découverte de nombreuses exoplanètes semble, selon Nottale, confirmer cet aspect de la théorie[3] ; cependant, ces résultats n'ont pas encore été validés par la communauté des astrophysiciens. Plus gravement, depuis ces publications, les paramètres orbitaux de plusieurs milliers d’exoplanètes ont été déterminés et semblent réfuter les prévisions quantitatives de Nottale.

Il a été noté que les considérations fractales de la relativité d'échelle de Nottale donnent lieu à des représentations de la physique qui sont en accord avec celles de la théorie de Broglie-Bohm et son potentiel quantique[4].

Articles connexes

Références

  1. « 50 ans après Einstein un savant élucide les mystères de l'univers », Sciences et vie, no 936,‎ , p. 51.
  2. L. Nottale, G. Schumacher & J. Gay, 1997, Astron. Astrophys. 322, 1018: "Scale relativity and quantization of the Solar System".
  3. Communication de Laurent Nottale en 2009
  4. Robert Caroll: Fluctuations, gravity and the quantum potential, arXiv.org, arXiv:gr-qc/0501045v1, 13 janvier 2005, p. 45

Liens externes