Punition du goudron et des plumesLa punition du goudron et des plumes est une torture, qui remonte au moins à l'époque des Croisades. Héritage d'une justice féodale, officielle ou non, d'abord appliquée en Europe et au sein de ses colonies, puis au début des temps modernes aux États-Unis, notamment au Far West (« tarring and feathering »), elle fut exécutée en général par une foule vengeresse, comme le lynchage. DescriptionLe goudron (de pin) et les plumes issues des élevages de gallinacés se trouvaient alors en abondance. Lors d'une scène typique d'utilisation du goudron et des plumes, le sujet de la vindicte populaire était dévêtu jusqu'à la taille. Du goudron était alors soit versé, soit appliqué au pinceau sur la personne tandis qu'on l'immobilisait. Ensuite, soit l'on jetait des plumes sur la victime, soit on la roulait dans une pile de plumes de façon que ces dernières adhèrent au goudron collant. Il n'était pas rare d'exhiber la victime au cours d'une parade dans la ville. Les plumes collaient au goudron pendant plusieurs jours, rendant évidente et durable l'infamie de la personne. Le but de ce supplice était à la fois la blessure physique et morale, humiliant le supplicié suffisamment pour lui faire quitter la ville et le dissuader d'y causer des troubles. Cette pratique ne constitua jamais une punition officielle aux États-Unis, mais plutôt une forme d'auto-justice. Il y eut en outre des cas d'usage du goudron et des plumes en Irlande du Nord, au cours du conflit nord-irlandais. En ces derniers cas, le personnel médical put s'occuper rapidement et efficacement des victimes. Variantes passées et contemporainesCe supplice connut en outre quelques variantes au cours de l'Histoire :
Conséquences physiques possiblesUn certain mythe a été entretenu selon lequel le goudron chaud provoque de graves brûlures, parfois mortelles, partant du principe que le « goudron » désigne l'asphalte, utilisé sur les routes, généralement stocké à l'état liquide à environ 150 °C. Mais au dix-huitième siècle, on entend par « goudron » le goudron de pin, utilisé à plusieurs fins dans la construction et le calfatage des navires. Le goudron de pin n’a pas besoin d’être très chaud pour être collant (voir aussi l'incident du goudron de pin). Les chantiers navals chauffaient ce goudron pour qu'il s'écoule plus facilement, mais le goudron de pin commence à fondre à environ 60 °C. C’est bien au-dessus de la température idéale de l’eau d'un bain, mais bien en deçà de la température de l’asphalte chaud. Le goudron de pin a pu toutefois être assez chaud pour blesser quelqu'un. Le juge loyaliste Peter Oliver se plaignit de cette manière, lorsqu'une foule attaqua le Dr Abner Beebe, du Connecticut : « on lui a versé du goudron chaud qui lui a terni la peau ». Les émeutiers ont probablement appliqué le goudron avec un balai ou un pinceau, ce qui a dû abaisser sa température; il était parfois même badigeonné par-dessus les vêtements[2]. Les goudrons et les plumes causaient sans aucun doute de la douleur et beaucoup d’inconfort et de désagrément[2] ; les éventuelles blessures physiques causées par ce châtiment variaient selon la température et la qualité du goudron utilisé – des brûlures au premier degré sont occasionnées après un très bref contact avec un matériau chauffé à environ 70 °C ou après trente secondes pour un matériau atteignant les 55 °C – mais le châtiment devait avant tout être source d'embarras pour la victime, et appliqué en public, il devait être humiliant. Il n'y a toutefois pas d'exemples de personnes de l'Amérique révolutionnaire en train de mourir de la punition du goudron et des plumes[2]. La chimie s'est désintéressée du goudron de pin avec la disparition de son principal débouché, la marine en bois. Il n'avait pas la nocivité du goudron de houille, cancérigène avéré: le goudron de pin a fait par ailleurs partie des pharmacopées anciennes, à usage interne comme à usage externe ; aujourd'hui encore il est l'ingrédient de certains shampooings[3]. HistoireLa plus vieille mention de cette punition se trouve dans les ordres que Richard Ier d'Angleterre fit passer à son armée en partance pour la Terre sainte en 1191. Elle était destinée aux voleurs et aux traîtres, à qui l'on rasait la tête avant de la badigeonner de goudron et d'y déposer des plumes. Le condamné était ensuite abandonné à son sort[4]. Un usage plus tardif de cette punition est mentionné dans Notes and Queries série 4, vol. V, qui cite un certain James Howell, écrivant de Madrid en 1623. Il décrit comment l'évêque d'Halberstadt fit tuer des volailles et disposer leurs plumes dans une grande salle. Il fit ensuite déshabiller les moines et nonnes, les fit couvrir d'huile et de goudron et rouler dans les plumes[5]. En 1696, un huissier de justice londonien qui tentait de poursuivre un débiteur réfugié dans le quartier dénommé Liberties of the Savoy — l'un des quartiers où la loi londonienne ordinaire ne s'appliquait pas — fut passé au goudron et aux plumes avant d'être emmené dans une brouette jusqu'au Strand, où il fut attaché à l'arbre de mai qui était érigé là où se trouve l'actuelle Somerset House. Le second incident de cette nature à avoir eu lieu en Amérique fut rapporté en 1766. Un certain capitaine William Smith fut couvert de goudron et de plumes avant d'être jeté dans le port de Norfolk, en Virginie. Il fut secouru par un navire juste avant que ses forces ne l'abandonnent. Il survécut et fit le récit suivant : « ils couvrirent mon corps et mon visage de goudron puis me jetèrent des plumes dessus ». Comme la plupart des victimes de ce châtiment au cours de la décennie suivante, Smith était suspecté de renseigner des contrebandiers cherchant à éviter le service des douanes britanniques. La punition fut employée à Salem, Massachusetts, en 1767, quand des foules en colère se vengèrent sur de petits employés de ce même service des douanes. En , une foule à Boston s'attaqua de la même façon à un marin des douanes, et d'autres incidents eurent lieu en 1774, avec pour point culminant le passage au goudron et aux plumes du loyaliste John Malcolm qui attira particulièrement l'attention du public. Ces actes associèrent la punition du goudron et des plumes à la frange Patriote lors de la Guerre d'indépendance des États-Unis. En , un régiment britannique infligea le même châtiment à un homme du Massachusetts suspecté de vouloir acheter leurs mousquets. Il n'y a pas de source écrite attestant que quiconque soit décédé des suites de cette punition à cette époque. Dans les années 1920, des opposants au syndicat Industrial Workers of the World capturèrent l'un des chefs de file du mouvement dans le port de San Pedro, à Los Angeles, Californie. Ils le passèrent au goudron et aux plumes avant de l'abandonner en un lieu isolé. Au cours du XXe siècle, de nombreux Afro-Américains subirent ce traitement en guise de punition et de harcèlement. À la suite de la libération de la France à l'issue de la Seconde Guerre mondiale, il y eut des rumeurs concernant l'utilisation de cette punition sur de supposés collaborateurs des Allemands. La plupart des victimes supposées seraient des femmes ayant entretenu des relations intimes avec des soldats allemands. Une technique similaire fut employée par l'Armée républicaine irlandaise au cours des premières années du conflit en Irlande du Nord. La plupart des victimes étant là encore des femmes suspectées d'avoir eu des relations sexuelles avec des policiers ou des soldats britanniques[6]. Le , un inconnu fut passé au goudron et aux plumes dans le sud de Belfast par l'Ulster Defence Association. Il était suspecté de se livrer au trafic de drogue[7]. Goudron et plumes dans la culture populaire
Usage métaphorique dans la sphère anglo-saxonneL'image du hors-la-loi soumis au supplice du goudron et des plumes est restée si vivace dans les pays de culture anglo-saxonne que l'expression y désigne métaphoriquement une humiliation publique, de nombreuses années après que la pratique elle-même a disparu. (to be) tarred and feathered (lit. « être passé au goudron et aux plumes ») signifie ainsi soulever l'indignation ou provoquer la vindicte publique. Dans le même ordre d'idées, (to be) tarred with the same brush (lit. « être goudronné avec le même pinceau ») signifie être associé dans l'esprit d'autrui à une personne souffrant d'une image négative. Notes et références
AnnexesBibliographie
Liens externes
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