PsychohistoireLa psychohistoire est l'étude des motivations psychologiques des événements historiques[1]. Elle essaie de combiner les concepts de la psychothérapie avec la méthode scientifique des sciences sociales pour comprendre l'origine émotionnelle des comportements sociaux et politiques des groupes et des nations, passés et présents. Son sujet d'étude principal est l'enfance et la famille (en particulier la maltraitance des enfants), et l'étude psychologique de l'anthropologie et l'ethnologie. DescriptionDe nombreux concepts de la psychohistoire proviennent de domaines qui semblent ignorés par les historiens conventionnels en tant qu'éléments fondateurs de l'histoire humaine (en particulier : les effets de l'accouchement, les méthodes d'éducation des enfants, et la maltraitance)[2]. Les impacts de l'inceste, l'infanticide et du sacrifice d'enfants sur l'Histoire sont examinés. La psychohistoire soutient que des sociétés humaines peuvent passer de pratiques infanticides à des pratiques non-infanticides, et a inventé le terme « mode d'éducation infanticide précoce » (« early infanticidal childrearing » en anglais) pour décrire la maltraitance et la négligence observées par de nombreux anthropologues. Lloyd deMause a proposé un système de modes psychogènes (voir plus bas) qui décrit l'éventail de styles d'éducation des enfants par les parents qu'il a observé à travers l'Histoire et dans les différentes cultures.[réf. nécessaire] De nombreux anthropologues affirment que « le phénomène de la culture est indépendant des lois de la biologie et de la psychologie »[3]. Et Émile Durkheim, dont les contributions ont été fondamentales dans la formation de la sociologie et de l'anthropologie, posa le principe suivant : "La cause déterminante d'un fait social devrait être cherchée parmi les faits sociaux qui l'ont précédé, et non parmi les états de conscience individuels"[4]. Les psychohistoriens, de leur côté, suggèrent que des comportements sociaux tels que le crime et la guerre pourraient être un rejouement autodestructeur de maltraitances et de négligences infantiles; que des régressions inconscientes à des peurs primordiales et des modes d'éducation destructeurs pourraient dominer les comportements individuels et sociaux[5],[6]. La psychohistoire se fonde en grande part sur la biographie historique. Des exemples notables de biographies psychologiques sont celle de Lewis Namier, qui écrivit sur la Chambre des communes du Royaume-Uni, et Fawn Brodie, au sujet de Thomas Jefferson. Domaines d'études psychohistoriquesIl y a 3 domaines d'études psychohistoriques interconnectés[7].
Émergence comme disciplineWilhelm Reich a combiné ses théories psychanalytiques et politiques dans son livre La Psychologie de masse du fascisme en 1933. Le psychologue et philosophe Erich Fromm a écrit sur le sujet de la motivation psychologique derrière l'idéologie politique, en commençant par La Peur de la liberté en 1941. Son premier usage académique est apparu dans le livre d'Erik Erikson Young Man Luther (1958), où l'auteur appelait à la création d'une discipline de "psycho-histoire" pour examiner l'impact du caractère humain sur l'Histoire. Lloyd deMause a développé une approche formelle de la psychohistoire à partir de 1974. Indépendance en tant que disciplineDeMause et d'autres ont soutenu que la psychohistoire est un domaine particulier de l'étude universitaire avec ses propres méthodes, objectifs et théories, qui le mettent à part de l'analyse historique conventionnelle et de l'anthropologie. Certains historiens, experts des sciences sociales et anthropologues ont, cependant, prétendu que leurs disciplines décrivent déjà les motivations psychologiques et que la psychohistoire n'est donc pas un sujet à part. D'autres ont rejeté les théories et objectifs de deMause, argumentant que la préférence de la psychohistoire pour la spéculation sur les motivations psychologiques des gens dans l'histoire en fait un champ d'étude indiscipliné. Les psychohistoriens maintiennent que la différence porte sur ce sur quoi l'accent est mis : dans l'étude conventionnelle, les récits et les descriptions sont centraux, tandis que les motivations psychologiques sont à peine effleurées[8]. Pour deMause, la maltraitance des enfants est au premier plan. Les psychohistoriens accusent la plupart des anthropologues et ethnologues de présenter sous un jour positif l'inceste, l'infanticide, le cannibalisme et le sacrifice des enfants[9]. Ils maintiennent que les critères qui définissent la maltraitance des enfants sont des critères objectifs, et que certaines pratiques que les anthropologues excusent (comme les sacrifices rituels) peuvent engendrer la psychose, la dissociation et la pensée magique : particulièrement chez les enfants survivants dont le frère ou la sœur a été sacrifié par leurs parents. Dans une interview de 1994 de deMause dans The New Yorker, l'interviewer a écrit : « Pour donner du crédit à la psychohistoire, il faut adhérer à des assomptions assez surprenantes [...], comme, par exemple, que les techniques d'éducation d'une nation affectent sa politique extérieure. »[10]. Les psychohistoriens considèrent aussi que le relativisme culturel est contraire à la lettre et à l'esprit des droits humains[11]. Modes psychogènesLes psychohistoriens ont beaucoup écrit sur les changements dans la psyché humaine au cours de l'histoire ; des changements qui selon eux sont produits par les parents, et spécialement la capacité croissante des mères à éprouver de l'empathie pour leurs enfants. Un concept-clé de la pensée de deMause est le concept de psychoclasse, qui émerge d'un style particulier de traitement des enfants et de maltraitance par les parents, à une période particulière du développement d'une société. Le conflit entre les anciennes et les nouvelles psychoclasses est aussi souligné dans les réflexions des psychohistoriens. Ceci se reflète, par exemple, dans le conflit entre les électeurs du Parti démocrate (États-Unis) et ceux du Parti républicain (États-Unis) dans les États-Unis contemporains[12],[13]. Un autre concept-clé de la psychohistoire est celui de fantaisie de groupe, que deMause considère comme une force médiatrice entre les expériences communes à l'enfance dans une psychoclasse (et les conflits psychiques qui en émergent), et le comportement de cette psychoclasse en politique, religion et d'autres aspects de la vie sociale[14]. En psychohistoire, un mode psychogène est un type de mentalité (ou psychoclasse) qui résulte de, et est associé à, un style particulier de traitement des enfants. Les principaux modes psychogènes décrits par deMause sont[15],[16] :
Les psychohistoriens maintiennent que les six modes de maltraitance éducative (à l'exclusion du "mode soutenant") sont reliés à des troubles psychiatriques allant des psychoses aux névroses. Le graphe ci-dessous montre les dates auxquelles ces modes sont censés avoir évolué dans les nations les plus avancées, sur la base des comptes-rendus tirés de documents historiques. Une version en noir et blanc de ce graphe apparaît dans Foundations of Psychohistory[16]. La chronologie ne s'applique pas aux sociétés de chasseurs-cueilleurs. Elle ne s'applique pas non plus aux mondes Grec et Romain, où il y avait une grande variation dans les styles d'éducation des enfants. Il est à noter que l'apparition du mode d'éducation Ambivalent a précédé le début de la Renaissance (milieu du XIVe siècle) de seulement une ou deux générations, et que l'apparition du mode Socialisant coïncide avec le Siècle des Lumières, qui a commencé vers la fin du XVIIIe siècle. Des comptes-rendus d'avortement sélectif (et parfois d'abandon des bébés filles)[17], spécialement en Chine, Corée, Taïwan, Singapour, Malaisie, Inde, Pakistan, Nouvelle-Guinée, et bien d'autres pays en voie de développement en Asie et Afrique du Nord[18], expliquent pourquoi des millions de femmes sont "manquantes" en Asie[19]. Du point de vue psychohistorique, ceci démontre que les premières formes d'éducation des enfants coexistent avec des modes plus tardifs, même dans les pays les plus avancés. Cependant, le graphe ne devrait pas être vu comme une représentation fidèle de la prévalence relative de chaque mode au jour présent, puisqu'il n'est pas basé sur des études formelles à large échelle. D'après la théorie de la psychohistoire, chacune des six psychoclasses coexiste dans le monde moderne de nos jours, et, quels que soient les changements dans l'environnement, c'est seulement quand des changements adviennent dans l'enfance que les sociétés commencent à progresser. L'axe Y du graphe ci-dessus sert d'indicateur du nouveau mode et pas de mesure de la taille du mode. Une psychoclasse pour l'ère postmoderneD'après la théorie psychogène, depuis l'Homme de Neanderthal, la plupart des tribus et des familles pratiquaient l'infanticide, la mutilation des enfants, l'inceste et la punition corporelle de leurs enfants tout au long de la Préhistoire et de l'Histoire. Présentement, le mode socialisant occidental est considéré bien moins traumatisant, bien que ce mode ne soit pas encore tout à fait exempt de maltraitance. Dans le paragraphe d'ouverture de son essai fondateur « The Evolution of Childhood » (premier article dans The History of Childhood), DeMause affirme :
Malgré tout, il y a une tendance à l'optimisme dans le domaine. DeMause pense que, dans un monde de parents « soutenants », toute violence disparaîtra également, en même temps que la pensée magique, les maladies mentales, les guerres et les autres horreurs qui opposent l'Homme à l'Homme. Cependant, certains ont critiqué cette affirmation comme étant elle-même une forme de pensée magique[20]. CritiquesIl n'y a aucun département dédié à la « psychohistoire » dans les études supérieures, bien que certains département d'Histoire en ont donné des cours. La psychohistoire reste un champ d'étude controversé, et deMause et d'autres psychohistoriens font face à la critique dans la communauté académique[21],[22],[23],[24],[25]. Les formulations de deMause ont été critiquées comme étant insuffisamment soutenues par des recherches crédibles[26]. La psychohistoire utilise un vaste éventail de méthodes, et il est difficile de déterminer ce qui est approprié dans chaque circonstance. La discipline a l'avantage d'être capable de traiter des motivations dans l'Histoire et est utile pour développer des récits, mais est forcée de psychanalyser ses sujets après-coup, ce qui n'avait pas été pris en compte quand la théorie avait été développée et étendue.[citation nécessaire] La psychohistoire récente a aussi été critiquée pour être trop liée à deMause, dont les théories ne sont pas représentatives de l'ensemble du domaine[27]. Le livre de 1974 The History of Childhood, dans lequel deMause a inclus des essais de neuf historiens professionnels, propose un aperçu du traitement des enfants au cours de l'Histoire[28]. Bien que les critiques épargnent généralement ces neuf historiens, ils considèrent deMause comme un partisan convaincu de la vision « légende noire » de l'Histoire de l'enfance (c'est-à-dire que l'histoire de l'enfance est avant tout une histoire de progrès, où les enfants sont bien moins maltraités que par le passé)[29]. De même, on a reproché à son travail d'être une histoire de la maltraitance des enfants, pas de l'enfance[30]. The History of Childhood, écrit par dix savants (dont deMause), est souvent comparé à The Making of the Modern Family par Edward Shorter et The Family, Sex and Marriage in England 1500-1800 par Lawrence Stone, à cause de leur tendance à s'accorder sur une perspective macabre de l'histoire de l'enfance. Mais les travaux de deMause ont en particulier attiré l'hostilité de l'historien Hugh Cunningham[31]. Thomas Kohut est allé encore plus loin :
DeMause et les psychohistoriens répondent que leurs détracteurs sont, pour une grande part, non motivés par les faits, mais plutôt par la propension inconsciente à attaquer ceux qui remettent en cause l'idée d'« éducation bonne » même dans les tribus ou cultures les plus primitives[9]. OrganisationsAux États-UnisLe principal centre d'étude psychohistorique est l'Institute for Psychohistory, fondé par Lloyd deMause, qui a 19 branches partout dans le monde et a pendant plus de 30 ans publié le Journal of Psychohistory. L'International Psychohistorical Association fondée par Lloyd deMause en 1977 est l'organisation professionnelle dans le domaine de la psychohistoire. Elle publie Psychohistory News et a une bibliothèque de prêt par courrier d'ouvrages psychohistoriques. Elle accueille une convention annuelle. Des cours de psychohistoire ont été donnés dans trois universités au niveau de premier cycle universitaire. Les universités suivantes ont publié les détails des cours : Boston University, City University of New York et Wesleyan University[33],[34],[35]. The Psychohistory Forum, qui publie le journal trimestriel Clio’s Psyche, a été fondé en 1983 par l'historien et psychanalyste Paul H. Elovitz. Cette organisation d'académiciens, de thérapeutes et de profanes tient régulièrement des réunions savantes à New York et à des conventions internationales. Elle soutient également un groupe de discussion en ligne[36]. En EuropeIl existe aussi une Société française de psychohistoire (SFPh) dont le siège est à Avignon. Sa présidente Brigitte Demeure la présente en ces termes dans l'espace européen: « Depuis plusieurs années, une coopération fructueuse s'est instaurée entre la société française de psychohistoire et la société allemande »[37]. En Europe, précise-t-elle, la psychohistoire « se réfère plus largement à la psychanalyse »[38]. Psychohistoriens notables
Voir aussiNotes et références
Bibliographie
Liens externes
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