PitchipoïPitchi poï, en yiddish פיטשי פוי, est un idiomatisme de la langue des Ashkénazes qui désigne une campagne perdue. Il est employé depuis le début de la Shoah pour nommer les camps d'extermination nazis. C'est en ce sens que l'expression, écrite en un seul mot, est depuis entrée dans le lexique des langues véhiculaires. Un lieu sans nom
Pitchi poï signifie en yiddish littéralement trou perdu, c'est-à-dire un tout petit hameau de rien du tout, seulement quelques maisons, un shtetl si pauvre qu'il n'y a pas de rabbin de la moindre renommée, qu'aucune marieuse ne voudrait s'y rendre. L'expression pourrait se traduire par « le pays de nulle part ». C'est l'équivalent du diable Vauvert. פיטשי [pit͡ʃi] désigne le coup ou la trace du coup, laissée par un marteau par exemple, un trou donc. Le mot est une substantivation du phononyme allemand pitsch !. פוי, [poi] ou [foi], est une interjection qui signifie pouah !, pfui ! en allemand. Leizer Ran[2], archiviste au YIVO, expose que le mot a été popularisé par une comptine qui a été écrite, ou transmise, par Moishe Broderzon (en) et qui était chantée dans les jardins d'enfants du Yiddishland avant ou pendant la Première Guerre mondiale. La chansonnette, In a stetelè Pitiè Poï[3], a été recueillie dans l'immédiat après guerre par Ruth Rubin auprès d'un immigrant de Varsovie installé dans le Bronx[4]. Pitchipoï y est le signifiant d'un lieu insignifiant, l'allégorie d'un village imaginaire mais un village de misère. Un lieu innommableLa métonymie est employée durant la Seconde Guerre mondiale, non sans un certain humour noir, par des Juifs de France et d'ailleurs[6] pour désigner la destination inconnue, mystérieuse et redoutable des convois de déportés, là-bas, quelque part, très loin « vers l'est ». Ce néologisme se retrouve dans la bouche des enfants qui ont été internés, selon les accords Oberg-Bousquet, dans le camp de Drancy à la suite des arrestations inaugurées par la rafle du Vel d'Hiv, celles qui, sans plus masquer le plan génocidaire, n'épargnent plus ni les enfants, ni les femmes, ni les vieillards. L'un de ces enfants, détenu à l'âge de six ans dans la cité de la Muette durant les dernières semaines de 1942, témoigne.
— Jean-Claude Moscovici, Voyage à Pitchipoï.[7] Le chef de la Gestapo Heinrich Himmler a en effet délibérément organisé les arrestations de façon que les familles soient tenues dans l'incertitude. L'effet recherché, et obtenu, est, en même temps que de d'occulter ce qui pourrait provoquer une résistance, de terroriser, de créer une situation d'ignorance, et donc d'impuissance, face à un danger. Pitchipoï devient alors la réponse ironique à l'« anus mundi »[8], parodie sinistre de l'Agnus Dei et moment final de l'Anno Mundi théorisés par les nazis, le nom du « trou du cul du monde » où devraient finir ceux que leur entreprise de déshumanisation vise à réduire à l'état de déchet.
— Henri Raczymow, Un cri sans voix[9]. AnnexesBibliographie
Sources
Voir aussi
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