Son arrestation et sa détention en pour des allégations de trouble à l'ordre public ont déclenché de vives réactions concernant l'usage excessif de la force par les forces de l'ordre sur les ressortissants issus des minorités ethniques en Chine.
Pour la tibétologue Françoise Robin, les seuls films vus dans son enfance étaient des films de propagande nord-coréens ou albanais[5]. « Il y avait des projections de temps en temps à Dzona », son village natal, déclare Pema Tseden. Il adorait cela. Il a vu, par exemple, Les Temps modernes de Chaplin[14].
Il a été instituteur dans une école primaire[16], et traducteur tibétain-chinois. À partir de 1991, il a publié des articles sur la littérature et l’art tibétain dans diverses revues.
Arrestation, détention et hospitalisation (2016)
Le [17], Pema Tseden est arrêté à l'aéroport de Xining (Qinghai)[18],[19] en raison « d'un incident mineur avec la police locale sur une affaire de bagages »[20]. Deux jours après son arrestation, il est hospitalisé le [21], souffrant de nombreuses blessures aux mains et aux poignets, hypertension, douleurs dans la poitrine et au cœur, ainsi qu'une insensibilité dans plusieurs doigts[22].
Le , la guilde des réalisateurs de cinéma de Chine publie une lettre ouverte exprimant son inquiétude au sujet de l'arrestation de Pema et la dégradation de son état de santé durant sa détention[23]. La guilde appelle les autorités à dévoiler les détails de son arrestation et à déterminer si le recours à la force durant son arrestation n'a pas été excessif[23].
La nouvelle de l'arrestation de Pema Tseden a été l'objet d'un large écho sur les réseaux sociaux chinois[24],[25], dans les médias internationaux[26],[19],[27],[28],[29], parmi les groupements de défenses des droits humains et la communauté tibétaine en exil[30],[31],[32],[33],[34],[35], ainsi que dans les milieux académiques, artistiques et cinématographiques[24],[36],[37],[38].
Des médias chinois et des milieux proches des exilés tibétains affirment que Pema Tseden a été soumis durant sa détention à la méthode d'interrogation de la chaise du Tigre[39],[40],[41], un dispositif de torture[42]. Son arrestation arbitraire et l'usage excessif de la force seraient symptomatiques de l'oppression et la discrimination quotidienne subie par les Tibétains sous le joug chinois[32],[33]. Sa détention a mis en lumière le profilage ethnique et les difficultés énormes auxquelles font face les Tibétains et autres minorités ethniques lors de l'exercice de leur liberté de mouvement et de voyager[30].
Hao Jian, professeur à l'Université de cinéma de Pékin[43], et qui décrit Pema Tseden comme une personnalité très courtoise n'élevant jamais la voix[44], pense également que la réaction excessive de la police est due au fait que Pema Tseden est Tibétain[34],[28]. Pour le commentateur politique hongkongais Johnny Lau Yui-siu, la renommée internationale de Tseden, à l'instar de celle de Liu Xiaobo et Ai Weiwei, pourrait avoir contribué à ses problèmes, car plus vous êtes connu internationalement, plus vous êtes une menace pour la Chine[38].
Dans la soirée du , les autorités publient un rapport de police[45] confirmant l'arrestation de Pema Tseden le , son hospitalisation le et sa condamnation à 5 jours de détention pour trouble à l'ordre public[45],[21],[46]. Selon le Bureau de le la sécurité publique, il existerait des preuves démontrant qu'il s'est comporté de manière illégale en retournant dans la zone de collecte des bagages après s'être rendu compte qu'il avait oublié un sac, qu'il s'est querellé avec les employés en service et qu'il a ignoré toutes les injonctions et tentatives d'explications faites par les services de sécurité et la police appelée en renfort, les obligeant à faire usage de la force[45],[21]. La version des autorités est contradictoire avec un rapport publié plus tôt dans la journée, selon lequel Pema Tseden ne se serait pas départi de son calme et qu'il se serait heurté au mutisme des policiers dépêchés sur place pour procéder à son arrestation[47],[48].
Des proches de Pema Tseden ont demandé aux autorités de publier les vidéos de surveillance de l'incident[49]. Encore hospitalisé le , Pema Tseden demande aux autorités d'enquêter pour éclaircir l'incident relatif à son arrestation et son traitement[50].
Carrière littéraire
Un recueil de nouvelles intitulé Neige a été publié en aux éditions Philippe Picquier, traduit par Françoise Robin et Brigitte Duzan (ISBN978-2-8097-0392-4). L'ouvrage comprend : Tharlo, Le Neuvième Homme, Les Dents d'Urgyän, Huit moutons, Hommes et chiens, Neige, L'Interview d'Akhu Thöpa. Une autre de ses nouvelles, intitulée Le Médecin et traduite par Françoise Robin, a été publiée en aux éditions Jentayu[51] (ISBN979-10-96165-19-3).
Décidé à se reconvertir dans la cinématographie, Pema Tseden obtient, en 2003, une bourse d'une ONG, la Trace Foundation, pour entrer à l’Université de cinéma de Pékin[1] et y suivre un programme de doctorat d’un an en réalisation cinématographique et littérature. À la fin de l’année, il bénéficie d'une bourse supplémentaire pour tourner son film de fin d’études, un court métrage de 22 minutes qu'il intitule « Grassland » (rTswa thang). Sorti en 2004, le film se voit couronné par de nombreux prix, tant en Chine qu’à l’étranger. C'est le début de sa carrière de réalisateur[15].
Son premier long métrage, du genre dramatique, The Silent Holy Stones (Le Silence des pierres sacrées) (Lhing vjags kyi ma ni rdo vbum), est tourné en 2005, dans l'Amdo, dans la langue locale, avec des acteurs non professionnels. Il obtient quatre prix, dont le Coq d'or[15].
Son long métrage The Search (Sur la route ou À la recherche de Drimé Kunden), produit grâce au cinéaste chinois Tian Zhuangzhuang[54], est présenté en première mondiale au 62eFestival international du film de Locarno en Suisse[55]. Ce film est né de l’envie qu’avait Pema Tseden de développer sa réflexion sur les difficultés rencontrées par la culture tibétaine traditionnelle dans sa confrontation avec la modernité[56].
Pour Pema Tseden, si Le Silence des pierres sacrées est perçu par les Tibétains comme un portrait fidèle du Tibet, ces derniers, n'ayant aucune culture du cinéma, trouvent que c'est sans intérêt[14].
En 2016, il est producteur exécutif du film The Summer is Gone réalisé par Zhang Dalei[59].
Il reçoit en 2016 le Cyclo d'or et le prix INALCO du Festival international des cinémas d'Asie de Vesoul pour son film Tharlo[60]. Pema Tseden indique : « Tharlo est le reflet de l’actuelle génération de Tibétains. Cette histoire montre à quel point ils sont confus et désorientés. Le film a été tourné en noir et blanc comme si la rugosité des images traduisait la situation et l’ambiance de ce vaste territoire du Tibet et l’état d’esprit de Tharlo »[61]. En 2019, il reçoit pour la deuxième fois le Cyclo d’or pour son film Jinpa[62].
Il « fait aujourd’hui figure », d'après la chercheuse indépendante et traductrice Brigitte Duzan, « de premier réalisateur tibétain en Chine et précurseur de ce qui pourrait être un futur cinéma tibétain »[15]. Le magazine canadien de cinéma Cinémascope le fait figurer, en 2012, parmi les 50 meilleurs réalisateurs de moins de 50 ans[5].
Mort
Début mai 2023, Pema Tseden et son équipe sont allés travailler dans le comté de Langkazi au Tibet. Le 7 mai, plusieurs membres de l'équipe ont souffert du mal des montagnes et ont dû se rendre dans un hôpital voisin pour inhaler de l'oxygène. Pema Tseden s'est également senti mal. À 3 heures du matin le lendemain, l'état de Pema Tseden s'est aggravé et il a été envoyé à l'hôpital local, puis transféré à l'hôpital de Lhassa à 7 heures du matin, mais tous les efforts de sauvetage ont échoué et il est décédé à l'âge de 53 ans[63],[64],[65].
Prises de position
Pema Tseden est d’avis que le Tibet a toujours été mythifié et idolâtré par les gens qui ne sont pas originaires du Tibet, et que ceux-ci, étant obnubilés par le passé, ne comprennent pas le nouveau Tibet[66].
Il déclare également que la culture du Tibet est en train de disparaître sous les coups de boutoir de la modernisation[67]. S'il ne pense pas que le cinéma puisse sauver une culture, il croit toutefois qu'il peut contribuer à sa mémoire[14].
Selon le réalisateur tibétain en exil Tenzing Sonam, Pema Tseden, pour pouvoir travailler, doit trouver un équilibre entre un gouvernement autoritaire et ses positions personnelles tout comme son modèle, Abbas Kiarostami, un cinéaste iranien[72],[52].
Pour Martine Bulard du Monde diplomatique, Pema Tseden, en guise de résistance, a choisi de faire connaître « l’identité tibétaine, loin des oripeaux folkloriques dont les dirigeants chinois autant que les Occidentaux l’ont affublée »[73].
Jean-Michel Frodon, critique à Slate.fr, écrit que Jinpa, un conte tibétain "associe selon une formule aussi mystérieuse qu'efficace un humour pince-sans-rire à un sens de l'épopée, il retrouve le souffle du western et la tension du thriller en accompagnant la trajectoire de ce Jinpa aux deux visages"[74]. Le même critique écrit à propos deBalloonque "L'humour, la tendresse, la cruauté et la beauté se sont penchées comme autant de fées puissantes mais ambiguës sur ce récit aussi tonique que complexe."[75]
François Forestier, critique de cinéma pour L’Obs, qualifie Pema Tseden (« ancien instituteur torturé par les policiers chinois ») de « cinéaste des road-movies » et indique que son film Jinpa, un conte tibétain« est beau à regarder, mais il exprime, en filigrane, la possibilité du karma et d’une réalité poétique qui nous échappe »[76].
↑(en) Shelley Kraicer, Pema Tseden, sur le site Cinemascope : « Known also as Wanma Caidan, Pema Tseden was born in 1969 [...] And he is the first director of Chinese nationality to do this. »
↑ abc et dBrigitte Duzan, Pema Tseden : naissance d’un cinéma tibétain ?, site Chinese Movies, 7 octobre 2011 : « Pema Tseden a d’abord signé ses films Wanma Caidan (chinois : 万玛才旦), transcription phonétique de son nom en chinois. Le changement de nom n’a rien d’anecdotique, c’est une affirmation identitaire. »
↑Tom Phillips, Tibetan director 'injured in Chinese police custody', the guardian, 29 juin 2016 : « Coco, the Tibetan film-maker’s producer, who is also known as Sonam, told the Guardian that the director had been detained following an altercation with airport security officers. / Police subsequently asked the director to sign a confession admitting he had “disturbed the social order”. When he refused, a police officer told him “disobedient” people like him would be detained. / Coco said he visited the director two days after at a detention centre in Xining and saw “many injuries to his wrist and hand” caused by handcuffs. Tseden complained of high blood pressure, pains in his chest and heart, and losing feeling in several fingers, the producer claimed. »
↑(en) Old Dog, Brooklyn Film Festival : « He is a member of the Chinese Film Directors' Association, Chinese Filmmakers' Association and Chinese Film Literature Association ».
↑(en) Film Series: Soul-Searching in Tibet, Asia Society and Museum, 10 et 15 avril 2010 : « with production support from renowned Chinese 5th Generation filmmaker Tian Zhuangzhuang. »
↑ Charlotte Garson, « Sur la route, découverte » (version du sur Internet Archive), Cahiers du cinéma, no 647, p. 58-59 : « L’inspiration principale de Sur la route m’est venue pendant le repérage du Silence des pierres sacrées (2005). J’étais impressionné par mon voyage préparatoire : j’ai pris alors conscience que la culture tibétaine traditionnelle rencontrait de nombreuses difficultés dans sa confrontation avec la modernité. Cette situation m’a fait réfléchir. J’avais envie de développer ma réflexion dans un film. »
↑(en) Louisa Lim, Director Seeks To Capture Life In Modern Tibet, NPR, 30 juin 2009 : « In his first interview with a Western media outlet, the 40-year-old filmmaker […] tells NPR that for too many years, Tibet has been depicted by outsiders who pander to their own imagination. "I think Tibet has always been mythologized and worshipped, and made more remote," he says. "People's psychological expectations and experiences of Tibet are stuck in the past. They don't understand the new Tibet." »
↑Louisa Lim, op. cit. : « Pema Tseden says that, on one level, the film reflects a search for Tibet's disappearing culture. "It's being buffeted by modernization." »
↑(en) « Tibetan filmmaker wins 'Best Feature' at Brooklyn Film Festival », Catholic Online, (lire en ligne)
↑Martine BulardLe Tibet sans manichéismeMonde diplomatique, mars 2013 : « En guise de résistance, le cinéaste et romancier Pema Tseden a choisi de faire connaître l’identité tibétaine, loin des oripeaux folkloriques dont les dirigeants chinois autant que les Occidentaux l’ont affublée. Maniant la plume avec autant de bonheur que la caméra (Old Dog, 2011), il livre sept nouvelles écrites entre 1994 et 2011, bijoux d’humour et de poésie (2), qui déconstruisent les dogmes chinois (formidable berger récitant d’une seule traite « Servir le peuple » de Mao Zedong devant des bureaucrates médusés), mais aussi les croyances tibétaines (irrésistibles découvertes autour de la réincarnation d’un ami d’enfance) ou les mythes occidentaux (ineffable bobo américain dans la steppe). Une culture tibétaine en pleine mutation. »
Tenzing Sonam, « Une tempête tranquille: Pema Tseden et l'émergence du cinéma tibétain », Monde chinois no 31, automne 2012, « Tibet : créer pour résister »