Pasqua Rosée

Pasqua Rosée
Panneau indiquant « Ici se tenait le premier café londonien à l'enseigne de la tête de Pasqua Rosée 1652 ».
Plaque fixée sur le Jamaica Wine House, qui se situe aujourd'hui à l'emplacement d'origine du café de Rosée dans le St Michael's Alley.
Biographie
Naissance
Décès
Date et lieu inconnusVoir et modifier les données sur Wikidata
Activités
Période d'activité

Pasqua Rosée (actif en 1651-1658) est un domestique du XVIIe siècle célèbre pour avoir ouvert le premier café de Londres, et peut-être même de toute la Grande-Bretagne.

Issu de la communauté grecque de la république de Raguse, Rosée vit à Smyrne en 1651, année où il entre au service du marchand anglais Daniel Edwards. Parmi ses attributions, il est chargé de préparer et servir le café à son maître. Il accompagne Edwards lorsque ce dernier rentre à Londres à la fin de l'année 1651.

À Londres, Edwards reçoit régulièrement des amis chez lui pour prendre le café, ce qui nuit à sa vie privée. Il décide alors d'ouvrir un café près du Royal Exchange et place Rosée à la tête de ce commerce. Néanmoins, comme le domestique ne bénéficie pas de la « liberté » de la Cité de Londres, il n'est pas autorisé à exercer une activité commerciale sur son territoire. Edwards demande alors à l'ancien apprenti de son beau-père, Christopher « Kitt » Bowman, de devenir l'associé de Rosée.

Rosée est mentionné pour la dernière fois dans les sources d'époque en 1658. Son café est tenu par Bowman avec sa femme jusqu'à sa mort, en 1662. Des légendes dépourvues de fondement affirment que Rosée aurait dû quitter l'Angleterre après avoir commis un délit et qu'il se serait exilé en Hollande ou en Allemagne pour y vendre du café.

Le nombre d'établissements qui vendent du café augmente rapidement après l'ouverture de celui de Rosée. En 1708, un demi-siècle plus tard, la capitale britannique en compte plusieurs centaines et on en trouve également dans plusieurs villes de province. Le café de Rosée est détruit lors du grand incendie de Londres, en 1666. À son emplacement se dresse un pub, le Jamaica Wine House, édifié dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Une plaque commémorative y est dévoilée en 1952.

Biographie

Origines et travail à Smyrne

Copie du prospectus original La Vertu du café.
The Vertue of the Coffee Drink, publié par Rosée en 1652.

Pasqua Rosée est probablement né au début du XVIIe siècle dans la communauté grecque de la république de Raguse, dans le sud de l'actuelle Croatie[1]. Il est diversement qualifié de Grec[2],[3], Arménien[4],[5], Turc[6] ou « d'origine grecque ou turque[7] ». On sait peu de choses sur son enfance, mais on pense qu'il parlait au moins trois langues : le grec, le turc et l'anglais[8].

En 1651, Rosée vit à Smyrne, dans l'Empire ottoman. Il entre cette année-là au service de Daniel Edwards, un marchand anglais de la Levant Company[1],[9]. La Levant Compagny est une compagnie à charte créée en 1592 dans le but de réglementer le commerce anglais avec l'Empire ottoman et le Levant. Sa charte confère un monopole à cinquante-trois marchands anglais nommés dans le texte[10]. Ces marchands préfèrent employer des serviteurs levantins, car ils coûtent moins cher que les Anglais et connaissent mieux les langues et coutumes locales[9]. Rosée apporte une aide précieuse à Edwards avec ses compétences linguistiques : l'historien Markman Ellis décrit son rôle comme celui de « commis comptable, traducteur et diplomate social qui utilise sa connaissance des coutumes turques pour faciliter les échanges commerciaux »[11]. De manière plus concrète, il sert aussi de valet et de cocher à Edwards, et c'est notamment lui qui lui sert le café[12].

Edwards quitte Smyrne avec Rosée à la fin de l'année 1651 pour rentrer en Angleterre[1], soit parce qu'il a contrecarré les activités d'un cadre royaliste de la Levant Company en 1647 et 1650, soit en raison d'une épidémie de peste qui atteint Smyrne en [13],[note 1]. Selon Markman Ellis, « Edwards ramène certaines caractéristiques des marchands levantins : le travail acharné, les opinions puritaines et le goût du café »[13]. L'un des amis d'Edwards rapporte qu'il en consomme « deux ou trois tasses à la fois, deux à trois fois par jour »[15]. Edwards reçoit fréquemment des amis chez lui pour prendre le café et discuter, à un rythme tel que sa vie de famille commence à en pâtir. C'est pour cette raison qu'il décide d'ouvrir un café en 1652. Comme les règles de la Levant Company ne lui permettent pas de le faire lui-même, il confie cette entreprise à Rosée[16],[note 2].

Le café

Carte montrant l'emplacement du café de Rosée, dans le centre financier de Londres.
Plan de Londres en 1748 montrant l'emplacement du café de Rosée, en rouge, dans St Michael's Alley.

Edwards et Rosée choisissent des locaux dans St Michael's Alley, une rue débouchant dans l'axe majeur de Cornhill, non loin du Royal Exchange, la bourse londonienne. Les ruelles et allées des environs, lieu de rencontre quotidien pour les spéculateurs, sont aussi fréquentées par des avocats, des taverniers et d'autres individus de toutes sortes. La première version de leur café est une cabane similaire à un étal de marché, juste à côté du cimetière de l'église Saint-Michel de Cornhill[17]. Elle est surmontée d'une enseigne qui représente soit sa tête[18], soit sa silhouette entière dans un habit levantin[19].

Pour promouvoir son entreprise, Rosée publie en 1652 un tract intitulé The Vertue of the Coffee Drink dans lequel il vante les mérites du café[1]. Il affirme que cette boisson peut prévenir ou guérir l'hydropisie, la goutte, le scorbut, la scrofule, les fausses couches, le spleen et l'hypocondrie, entre autres maux[20]. L'historien Aytoun Ellis estime qu'il s'agit de la première publicité connue pour le café[21]. Le lancement de ce nouveau produit sur le marché londonien bénéficie d'un contexte favorable : les puritains s'en prennent violemment au commerce du vin et de la bière, qu'ils associent aux activités immorales des royalistes. Les ventes de ces boissons s'en ressentent au cours des années 1651 et 1652. À l'inverse, le café, présenté comme une boisson saine et sans alcool, rencontre un franc succès : un contemporain estime que Rosée gagne entre 30 et 40 shillings par jour, soit entre 450 à 600 livres sterling par an[22].

Markman Ellis considère cette estimation « probablement exagérée », mais les affaires de Rosée sont suffisamment prospères pour susciter la jalousie des taverniers voisins. Ces derniers adressent une pétition au lord-maire de Londres au motif que Rosée n'a pas le droit de faire des affaires à Londres dans la mesure où il ne bénéficie pas de la liberté de la cité de Londres[23]. Pour y remédier, Edwards s'adresse à son beau-père, l'alderman Thomas Hodges, qui propose à l'un de ses anciens apprentis, Christopher Bowman (dit « Kitt »), un freeman de la Cité de Londres, de s'associer à Rosée, ce qui est fait en 1654[1],[24].

En 1656, Rosée et Bowman quittent leur cabane pour s'installer dans des locaux plus vastes (8,4 × 5,8 m), toujours sur St Michael's Alley, pour un loyer annuel de 4 livres sterling. Les lieux sont en mauvais état et nécessitent des réparations[1]. Les deux hommes travaillent en partenariat au moins jusqu'en 1658, date à laquelle ils figurent tous deux dans les comptes des marguilliers, mais Rosée ne semble plus prendre part à leur entreprise commune après cette date[25]. Ils finissent par gérer des établissements rivaux de part et d'autre de la rue[1]. Des vers de mirliton publiés sous le nom d'Adrianus del Tasso gardent la trace de cette rivalité entre l'enseigne à la tête de turc de Rosée et celle en forme de cafetière de Bowman[26] :

Pull courage, Pasqua, fear no Harms,
From the besieging Foe;
Make good your ground, stand to your Arms,
Hold out this summer, and then tho'
He'll storm, he'll not prevail—your Face
Shall give the Coffee Pot the chace.[27],[trad 1]

Rosée disparaît des documents d'époque après 1658[25]. En 1699, l'apothicaire John Houghton affirme que Rosée avait disparu de Londres « pour avoir commis quelque délit »[28], mais aucune trace d'un quelconque délit commis par Rosée ne subsiste[29]. D'autres sources prétendent qu'il a quitté l'Angleterre pour vendre du café en Allemagne, ou bien en Hollande en 1664, mais rien ne vient corroborer ces deux affirmations[29],[30].

Postérité

Un texte en anglais imprimé sur deux colonnes
A Broad-side against Coffee : un tract anonyme contre le café et Rosée en 1672.

Bowman gère son café jusqu'à sa mort de la tuberculose en 1662. Sa veuve dirige ensuite l'établissement au moins jusqu'en , date à laquelle son café est l'un des sept que compte le quartier de Cornhill[31]. Les bâtiments en bois de St Michael's Avenue sont détruits lors du grand incendie de Londres, en 1666, mais l'église en pierre subsiste[32],[33].

Le café de Rosée est le premier ouvert à Londres, mais il est loin d'être le dernier[34]. Un barbier de Covent Garden écrit en 1659 qu'on croirait pouvoir trouver du café à vendre « dans presque toutes les rues » de la ville[35]. En 1663, Londres compte 83 maisons de café dont la clientèle est en majeure partie liée au commerce avec le Levant ou avec la région de la Baltique[36]. Elles sont de plus en plus « étroitement associées à la culture politique tumultueuse du Commonwealth »[35]. Les premières années du développement des maisons de café sont marquées par l'opposition des taverniers, qui se plaignent au lord-maire de Londres du nombre d'individus impliqués dans ce commerce qui ne bénéficient pas de la liberté de la cité[37]. En , après la restauration Stuart, le roi Charles II publie une « proclamation pour la suppression des maisons de café » qui annule toutes les autorisations de vente de café, mais elle suscite des réactions si violentes qu'elle est rapidement retirée[34]. Malgré l'absence de statistiques précises, on estime qu'il existe entre 500 et 600 cafés à Londres et Westminster en 1708, avec également des établissements ouverts dans plusieurs villes de province[38]. Les London Directories en recensent 551 en 1739[34].

Les cafés occupent rapidement une place prépondérante dans les transactions boursières. En 1698, un négociant commence à publier les cours des actions au Jonathan's Coffee-House, puis au Garraway's Coffee House ; selon l'historienne Elizabeth Hennessy, cette publication est « l'une des premières preuves de l'existence d'un commerce organisé de titres négociables à Londres »[39]. Dans les années 1680, Edward Lloyd ouvre la Lloyd's Coffee House sur Tower Street et commence à publier des feuilles d'information sur les mouvements maritimes, ainsi qu'un journal, le Lloyd's News. Il loue également des tables aux individus qui assurent les navires et son café devient un lieu de choix pour faire des affaires entre négociants, marchands et armateurs ; c'est l'origine du marché maritime de Lloyd's of London[40],[41].

L'enseigne de Rosée est copiée et imitée par plusieurs autres cafés et tavernes à travers la Grande-Bretagne. Dans son étude de 1963 sur les cafés londoniens entre 1652 et 1900, l'historien Bryant Lillywhite identifie plus de cinquante établissements utilisant une tête de Turc comme enseigne, peut-être aussi en référence au sultan ottoman Soliman le Magnifique[42],[43]. Rosée laisse également sa trace dans la culture populaire : il inspire un personnage de Knavery in All Trades, une pièce de théâtre écrite par John Tatham en 1664, et il est la cible de la satire anonyme A Broad-Side Against Coffee[1]. L'emplacement de son café est occupé depuis le XIXe siècle par un pub, le Jamaica Wine House. Le lord-maire de Londres Leslie Boyce y dévoile une plaque commémorative en 1952 à l'occasion du tricentenaire de l'ouverture du café Rosée[44],[45].

Le premier café d'Angleterre ?

Markman Ellis note que plusieurs sources décrivent le café de Rosée comme le premier à Londres, mais le deuxième en Angleterre, après un établissement qui aurait existé auparavant à Oxford, mais il considère qu'il s'agit d'une erreur[46]. L'existence de ce café à Oxford est attestée dans le journal intime de l'antiquaire d'Oxford Anthony Wood (le « Secretum Antonii »), qui indique que « Jacob un Juif a ouvert un café à l'Ange, dans la paroisse de S. Peter, dans l'Est d'Oxon[trad 2] ». Cette mention n'est pas datée, mais l'éditeur moderne du journal de Wood la place en mars 1650 ou 1651. La consommation de café à Oxford dans la sphère privée est assurée dans le journal de Wood en 1650, et il indique plus loin, entre et , que cette boisson est « publiquement vendue à ou près de l'Ange à l'intérieur de la Porte Est d'Oxon […] par un étranger ou un Juif[trad 3] »[46],[47].

Notes et références

Notes

  1. Avec le début de l'interrègne en Grande-Bretagne en 1649, les royalistes de la communauté britannique de Smyrne tentent de prendre le contrôle du commerce du Levant pour financer la cause royaliste ; les conspirations de Sackville Crowe en 1646-1647 et de Henry Hyde en 1650 sont à la fois tentées et déjouées par les membres de la communauté britannique soutenant le parlementarisme[14].
  2. Les règles de la société prévoient que ses membres ne doivent être que de « simples marchands » et se limiter au commerce de gros.

Traductions et citations originales

  1. Prends courage, Pasqua, ne crains aucun mal,
    De l'ennemi qui t'assiège ;
    Défends ta position, tiens bon sur tes armes,
    Tiens bon cet été, et alors, même si
    Il tempêtera, il ne l'emportera pas : ton visage
    Donnera le change à la cafetière.

    .
  2. « Jacob a Jew opened a coffey house at the Angel in the parish of S. Peter, in the East Oxon »
  3. « publickly solde at or neare the Angel within the East Gate of Oxon ... by an outlander or a Jew »

Références

  1. a b c d e f g et h Cowan 2017.
  2. Ellis 2004a, p. 25.
  3. Pendergrast 2019, p. 12.
  4. Wild 2004, p. 90.
  5. Weinberg 2001, p. xv.
  6. Brandon 2010, p. 26.
  7. Grafe 2007, p. 9.
  8. Ellis 2004a, p. 33.
  9. a et b Ellis 2004b, p. 5.
  10. Wood 1964, p. 20.
  11. Ellis 2004a, p. 27.
  12. Ellis 2004a, p. 27-28.
  13. a et b Ellis 2004a, p. 28.
  14. Ellis 2004b, p. 55.
  15. Houghton 1699, p. 312.
  16. Ellis 2004b, p. 5–6.
  17. Ellis 2004a, p. 30-32.
  18. Ellis 1956, p. 30.
  19. Ellis 2004a, p. 32.
  20. Rosée 1652.
  21. Ellis 1956, p. 32.
  22. Ellis 2004b, p. 8.
  23. Lillywhite 1963, p. 438.
  24. Ellis 2004a, p. 34–35.
  25. a et b Ellis 2004a, p. 36.
  26. Robinson 1893, p. 89–90.
  27. Ellis 1956, p. 31.
  28. Houghton 1699, p. 313.
  29. a et b Ellis 2004b, p. 12.
  30. Weinberg 2001, p. 64.
  31. Ellis 2004a, p. 39–40.
  32. Ellis 2004b, p. 13.
  33. Lillywhite 1963, p. 437.
  34. a b et c Wild 2004, p. 91.
  35. a et b Ellis 2004b, p. 15.
  36. Inglis 2014, p. 50.
  37. Cowan 2005, p. 49.
  38. Ellis 2008, p. 157.
  39. Hennessy 2001, p. 6.
  40. Palmer 2007.
  41. « Coffee and commerce 1652–1811 » [archive du ], Lloyd's of London (consulté le ).
  42. Lillywhite 1963, p. 602-603.
  43. Weinberg 2001, p. 154.
  44. « Jamaica Wine House (Jamaica Buildings), Non Civil Parish – 1079156 », Historic England (consulté le ).
  45. « London's First Coffee House », The Times,‎ , p. 6.
  46. a et b Ellis 2004a, p. 29-30.
  47. Ellis 2004b, p. 18.

Bibliographie

Liens externes