Pape (titre)

Le titre de « Pape » est une désignation honorifique accordée à certains dignitaires des Églises chrétiennes au sein desquelles son usage est attesté depuis le IIIe siècle.

Durant l'Antiquité tardive et le haut Moyen Âge, ce terme d'affectueuse vénération, qui s'applique originellement à tout membre du clergé, est peu à peu réservé à des personnalités de haut rang, généralement à la tête de patriarcats ou d'évêchés d'importance comme ceux d'Alexandrie et de Carthage voire encore à certains évêques de Gaule ou d'Italie, particulièrement celui de Rome qui s'en arroge progressivement l'exclusivité de l'usage : la titulature devient ainsi sa prérogative exclusive à partir de la fin du XIe siècle dans la chrétienté occidentale.

Bien qu'il ne soit pas une dénomination officielle, le terme est devenu l'appellation la plus communément usitée pour désigner l'évêque de Rome, chef de l'Église catholique, et reste également en usage pour qualifier les primats de l'Église copte orthodoxe ainsi que, plus rarement, du Patriarcat orthodoxe d'Alexandrie.

Étymologie

Le terme provient du latin ecclésiastique papa qui provient lui-même du grec ancien πάπας (papas), une forme tardive du mot πάππα (pappa), un terme familier et affectueux du langage enfantin qui désigne le père (« papa »)[1]. Cette marque d'affectueuse vénération, qui est déjà présente chez Homère[2], passe en usage dans le christianisme oriental pour honorer les « pères » de la communauté[3] comme les épiscopes puis les évêques[4]. De nos jours, les Grecs appellent encore « pappas » les simples prêtres de l’Église orthodoxe, mais dans le sens classique de « père », équivalent au titre que l'on donne aux prêtres dans l'Église latine[5].

Le terme « papauté » (en latin : papatus), de création tardive, est lui utilisé pour la première fois par Clément II (1046-1047) afin de marquer la supériorité de l'évêque de Rome sur le reste de l'épiscopat (en latin : episcopatus)[6].

Histoire

Premiers usages

Augustin, évêque d'Hippone, fresque du milieu du VIe siècle, Rome, palais du Latran[7].

Apparu très tôt dans les premières communautés chrétiennes orientales[8] où il peut s'appliquer indifféremment à tout membre du clergé[4] puis adopté dès le IIIe siècle en Occident[9], le titre est largement employé durant les premiers siècles de l'histoire du christianisme[10]. On en trouve une première attestation littéraire dans la Passion de Perpétue et de Félicité qui raconte le martyre de jeunes catéchumènes carthaginois, exécutés au tournant du IIe siècle : ceux-ci s'adressent à l'évêque de Carthage Optatus comme leur « papa noster »[3].

Progressivement le titre est réservé aux évêques locaux, appliqué par exemple aussi bien à Cyprien de Carthage (~200-258) qu'à Damase de Rome (305-384) ou encore à Augustin d'Hippone (354-430)[4]. Si Cyprien ne s'applique pas le terme à lui-même, on le relève dans la correspondance qu'il reçoit de ses interlocuteurs romains ; de la même manière, l'emploi du terme « papa » par un proconsul à son égard au cours d'un interrogatoire atteste que, s'il n'est pas encore officiel, l'appellatif est dès cette époque entré dans l'usage[11]. On trouve également le titre honorifique au IIIe siècle chez Grégoire le Thaumaturge lorsqu'il s'adresse à un évêque du Pont ou encore, deux siècles plus tard, chez Sidoine Apollinaire qui l'utilise dans différentes lettres adressées aux évêques de Gaule[12].

Alexandrie

En province romaine d'Égypte, dès le milieu du IIIe siècle, le titre est régulièrement attribué au patriarche d'Alexandrie Héraclas († 248)[13] : son successeur Denys d'Alexandrie mentionne le « bienheureux pape Héraclas »[14], une dénomination également utilisée à son égard par Eusèbe de Césarée[15]. De la même manière, Arius et Athanase, qui se disputent la succession d'Alexandre au trône épiscopal de la cité égyptienne, s'adressent tous deux à lui en tant que « pape »[13]. Ainsi, l'usage du terme une cinquantaine d'années avant sa première attestation appliquée à l'évêque de Rome témoigne du prestige du siège alexandrin à l'époque[16].

Le pape Théodose Ier (535-567) est le dernier patriarche à diriger les Églises coptes et orthodoxe d'Alexandrie dont la division de la communauté à la suite de différends théologiques génère des Églises séparées[17]. Ses successeurs, respectivement à la tête de l'Église copte orthodoxe et du Patriarcat orthodoxe d'Alexandrie, conservent encore chacun le titre de nos jours[13].

Rome

Dictatus papæ, archives du Vatican

La première attestation épigraphique liée à l'évêque de Rome se trouve dans la catacombe de Saint-Calixte, sur le cubiculum d'un diacre nommé Severus à propos de l'évêque Marcellinus (296–304) : « jussu pp [papae] sui Marcellini »[18]. Depuis lors, l'abréviation de « papa » en « PP » se généralise, notamment dans la signature pontificale. Le titre tend alors à devenir habituel dans la titulature de l'évêque de Rome à partir de la fin du IVe siècle, mais la précision « Papa urbis Romae (aeternae) » (« Pape de la ville (éternelle) de Rome »), atteste d'un usage encore généralisé à l'ensemble des évêques[4].

Au VIe siècle, le titre papa est utilisé par la chancellerie de Constantinople pour s'adresser à l'évêque romain, un titre dont, à partir du VIIIe siècle, ses successeurs font usage pour se désigner eux-mêmes sans spécification[4]. En 998, le concile de Pavie enjoint à l'archevêque Arnulfe II de Milan de renoncer à cette titulature[19], qui est réservée depuis la fin du XIe siècle au primat de Rome — « quod hoc unicum est in mundi » (« parce qu'il est unique au monde ») — à la suite du Dictatus papæ de Grégoire VII[4].

Papes actuels

Trois personnalités chrétiennes portent le titre de « Pape » de nos jours :

Notes et références

  1. « Pape », dans Alain Rey (dir.), Dictionnaire historique de la langue française, vol. II, Le Robert, , p. 2552.
  2. Homère, Odyssée, VI, 57.
  3. a et b Enrico Cattaneo (trad. Agnès Bastit et Christophe Guignard), Les ministères dans l’Église ancienne : Textes patristiques du Ier au IIIe siècle, éditions du Cerf, (ISBN 978-2204115421), p. 422
  4. a b c d e et f Philippe Levillain, « Pape », dans Philippe Levillain (dir.), Dictionnaire historique de la Papauté, Fayard, (ISBN 9782213025377), p. 1244.
  5. Stéphanos, Ministères et charismes dans l’Église orthodoxe, Desclée de Brouwer, 1988, p. 33-45 et 105-109.
  6. Joseph Canning, Histoire de la pensée politique médiévale (300-1450), éditions universitaires de Fribourg/Cerf, (ISBN 978-2-8271-0944-9), p. 46.
  7. (en) Karla Pollmann (éd.) et Meredith Jane Gill (éd.), Augustine Beyond the Book : Intermediality, Transmediality and Reception, BRILL, (ISBN 978-90-04-22213-7), p. 17-22
  8. Des indices épigraphiques relevés lors de fouilles menées au XIXe siècle semblent attester que le terme sert peut-être déjà à qualifier l'évêque Kédron d'Alexandrie au début du IIe siècle; cf. Georgică Grigoriţă, L'autonomie ecclésiastique selon la législation canonique actuelle de l'Église orthodoxe et de l'Église catholique : Étude canonique comparative, Gregorian Biblical BookShop, (ISBN 978-88-7839-190-1), p. 51
  9. Christophe Dickès, « Titulature du pape et titres pontificaux », dans Christophe Dickès (dir.), Dictionnaire du Vatican et du Saint-Siège, Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », (ISBN 978-2-221-11654-8), p. 964
  10. Georgică Grigoriţă, L'autonomie ecclésiastique selon la législation canonique actuelle de l'Église orthodoxe et de l'Eglise catholique : Étude canonique comparative, Gregorian Biblical BookShop, (ISBN 978-88-7839-190-1), p. 51
  11. Enrico Cattaneo (trad. Agnès Bastit et Christophe Guignard), Les ministères dans l’Église ancienne : Textes patristiques du Ier au IIIe siècle, éditions du Cerf, (ISBN 978-2204115421), p. 470
  12. Laure Carrion, « Latinisation de l’Église d’Occident : Regard sur la conversion d’une langue », dans La conversion : Textes et réalités, Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », (ISBN 978-2-7535-5968-4), p. 264
  13. a b et c (en) Lois M. Farag, The Coptic Christian Heritage : History, Faith and Culture, Routledge, , 280 p. (ISBN 978-1-134-66684-3, lire en ligne), p. 3.
  14. Attila Jakab, Ecclesia alexandrina : Evolution sociale et institutionnelle du christianisme alexandrin (IIe et IIIe siècles), Peter Lang, coll. « Christianismes anciens », (ISBN 978-3-03910-097-2), p. 224
  15. Histoire ecclésiastique, VII, 7, 4
  16. (en) David M. Gwynn, Athanasius of Alexandria : Bishop, Theologian, Ascetic, Father, Oxford University Press, (ISBN 978-0-19-921095-4), p. 22
  17. (en) Robert Morgan, History of the Coptic Orthodox People and the Church of Egypt, Victoria, FriesenPress, (ISBN 978-1-4602-8027-0), p. 128
  18. Orazio Marucchi, Christian epigraphy, éd. Cambridge University Press, 1912. Retranscription de l'inscription en ligne, p. 207.
  19. Derek Howard Turner, « The Prayer-Book of Archbishop Arnulph II of Milan », Revue Bénédictine, vol. 70, no 2,‎ , p. 382 (ISSN 0035-0893)
  20. a et b Frédéric Pichon, Tancrède Josseran et Florian Louis, Géopolitique du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord, Humensis, (ISBN 978-2-13-080705-6, lire en ligne), Pt89

Bibliographie

  • (en) Stephen J. Davis, The Early Coptic Papacy : The Egyptian Church and Its Leadership in Late Antiquity, American University in Cairo Press, (ISBN 978-1-61797-910-1).
  • Yves Congar, « Titres donnés au pape », Concilium, vol. 108,‎ , p. 55-64.
  • (it) Baldassare Labanca, « Del nome Papa nelle chiese cristiane di Oriente ed Occidente », dans Actes du XIIe Congrès International des Orientalistes : Rome, 1899, vol. III, t. 2, Florence, (lire en ligne), p. 47-101.

Voir aussi

Liens internes