Nil Yalter naît en 1938, de parents turcs, au Caire, où elle vit quelques années jusqu'à ses 4 ans. La famille rentre ensuite en Turquie, Nil Yalter étudie au Robert College d'Istanbul[2]. Elle part ensuite sur les routes, notamment en Inde où elle montre ses travaux lors d'une première exposition monographique à l'Institut français de Bombay, en 1957. Elle s'installe définitivement en France en 1965.
Son œuvre opère un tournant documentaire dans les années 1970 et commence à développer des projets multimédias traitant des sujets féministes, d'immigration et des rapports de classe. Elle mêle des considérations sociales, anthropologiques et ethnographiques issues des traditions turques, en les associant aux enjeux idéologiques et politiques de l'après-1968. Elle est l'une des premières à utiliser la vidéo, qu'elle associe à des performances, des dessins, des photographies et des textes.
En 1973, elle réalise l’œuvre emblématique Topak-Ev, une tente en feutre grandeur nature, empruntée aux traditions des Bektiks. Sur l'extérieur, Nil Yalter inscrit des informations sur les conditions de vie des populations nomades en Turquie. Il s'agit de susciter une réflexion sur les espaces féminins publics et privés. Cette installation est montrée pour la première fois au Musée d'Art moderne de la ville de Paris, par Suzanne Pagé. En 1974-1975, avec Judy Blum et Nicole Croiset, elle réalise La Roquette, prison de femmes, une installation vidéo qui relève les conditions de détention des femmes. Durant ces années, elle est membre de plusieurs collectifs de femmes à Paris, tels que Femmes en Lutte et Femmes/Art, réunis autour de sujets socialement engagés et de la lutte des femmes pour une visibilité dans les arts[3]. À partir des années 1990, Nil Yalter développe une pratique picturale abstraite en référence aux constructivistes russes et en lien avec le son et les technologies numériques (Sound Paintings, 2008)[4].
Le travail de Nil Yalter est fondé sur des bases conceptuelles sans renoncer aux formes ni à la matière. Son art relève de l'expérience et tisse des liens entre corps et esprit, les formes et les idées, la réalité et l'imaginaire, l'artisanat et les technologies contemporaines. La matière concrète (pièces documentaires collectées, ou produites par l'artiste), issue de l'expérience, rend compte d'une réalité sociale, politique et économique. L'engagement de Nil Yalter dépasse le particularisme et les situations particulières pour rendre compte de problématiques globales.
The Headless Woman or the Belly Dance, vidéo, 1974
Judy Blum, Nil Yalter, Paris Ville Lumière, installation de photographies et dessins sur tissu, 1974
Judy Blum, Nicole Croiset, Nil Yalter, La Roquette, Prison de femmes, installation vidéo, photographies, dessins, 1974
Temporary Dwellings 1, collages avec polaroïds, objets, dessins, 1974
Temporary Dwellings 2, collages avec polaroïds, objets, dessins, 1974
Neuenkirschen, installation vidéo, photographies et dessins, 1975
Orient-Express, films, textes et dessins, 1976. Cet ensemble est le récit d'un voyage fait par Nil Yalter à travers l'Europe centrale et orientale, réflexion sur les phénomènes migratoires.
↑Kim Rives, « Biennale de Venise : les artistes Nil Yalter et Anna Maria Maiolino, lauréates du Lion d’or 2024 », Connaissance des Arts, (lire en ligne)
Voir aussi
Bibliographie
Fabienne Dumont, Nil Yalter - À la confluence des mémoires migrantes, féministes, ouvrières et des mythologies, Vitry-sur-Seine, MAC VAL, 2019
Fabienne Dumont, Des sorcières comme les autres - Artistes et féministes dans la France des années 1970, Rennes, PUR, 2014, p. 389-398.
Fabienne Dumont, « Feminists, immigrants, workers : common struggles », Derya Yücel (dir.), Nil Yalter, Galerist, Istanbul, 2013, p. 184-231.
Fabienne Dumont, « Nil Yalter, un art sous influence ethnographique – Un dialogue entre mythes et réalité », Emmanuelle Chérel et Élisabeth Pasquier (dir.), Lieux communs – Les Cahiers du LAUA, no 16, spécial « La fiction et le réel », 2013, p. 54-81.
Fabienne Dumont, « Nil Yalter, artiste à la confluence des mémoires migrantes, ouvrières et féministes », Christine Bard (dir.), Les féministes de la deuxième vague, actes de colloque, Rennes, PUR, 2012, p. 177-189.
Fabienne Dumont, « Nil Yalter: memory, migrants and workers in 1970s-1980s France », n.paradoxa – International feminist art journal, no 26, , Londres, p. 52-58.
Fabienne Dumont, « Nil Yalter, C’est un dur métier que l’exil III : mémoires d’immigrants », brochure de présentation de l’exposition de Nil Yalter à la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, du au . Cet article est également paru sur le site du blog de l’accrochage elles@centrepompidou en septembre 2009 sous le titre général « Nil Yalter à la Cité nationale de l’histoire de l’immigration ».
Fabienne Dumont, « Implication féministe et processus créatif dans les années 1970 en France : les œuvres de Raymonde Arcier et Nil Yalter », Création au féminin : vol.2 Arts visuels (dir. Marianne Camus), Dijon, Éditions Universitaires, 2006, p. 47-55.
Derya Yücel, Juan Vicente Aliaga, Fabienne Dumont, Melis Tezkan, Nil Yalter, Istanbul, Galerist, Berlin, Revolver publishing, 2013, 292 p.
Nil Yalter, catalogue d'exposition, 49 Nord 6 Est Frac Lorraine, 2016.