Mission Dakar-DjiboutiMission Dakar-Djibouti
Dakar au début des années 1930.
Caractéristiques
La mission Dakar-Djibouti est une célèbre expédition ethnographique française menée en Afrique, sous la direction de Marcel Griaule, de 1931 à 1933. Cette expédition, de type colonial, qui consista en grande partie à spolier les peuples africains rencontrés de certains de leurs biens culturels entraîna une polémique entre l'organisateur et l'écrivain Michel Leiris, secrétaire de l'expédition et auteur de l'ouvrage L'Afrique fantôme (1934)[1]. ContexteDès le mois de mai 1930, Marcel Griaule propose aux directeurs de l’Institut d'ethnologie Paul Rivet et Georges Henri Rivière une mission de Dakar à Djibouti passant par Kayes, Bamako, Tombouctou, Ansongo, Niamey, Zinder, le lac Tchad, fort Archambault, Bangui, Redjaf, Pays des Rivières, Khartoum, Rosières, le lac Tana, Addis-Abeba[2]. Une loi du crée une Mission ethnographique et linguistique Dakar-Djibouti [3] ; son objet officiel est de compléter les collections du musée d'ethnographie du Trocadéro afin de créer une vitrine savante de la colonisation[4]. Pour financer la mission, les organisateurs s'adressent aux parlementaires, qui accordent 700 000 francs, aux institutions scientifiques et à différents mécènes du domaine privé, notamment des fabricants de parfums et de savons pour obtenir des objets à valeur d'échange[2]. Le budget total de la mission s'élève à 1,3 million de francs[2]. Parmi les membres de l'équipe de départ, deux participent de façon éphémère. Jean Moufle démissionne le et le prince Michel Oukhtomsky tombe malade et est évacué le . Outre Marcel Griaule, les membres permanents de la mission sont Michel Leiris, Éric Lutten (photographe, cinéaste), et Marcel Larget (logistique) ; s'y adjoignent cinq membres temporaires, André Schaeffner (musicologue), Deborah Lifchitz (linguiste), Jean Mouchet (linguiste), Gaston-Louis Roux (peintre) et Abel Faivre (naturaliste) (1901-1935)[5], qui rejoint l'équipe en octobre 1931[6]. Il s'agit pour cette équipe de traverser le continent d'ouest en est, du Sénégal à l'Éthiopie, afin de collecter un maximum de données ethnographiques. Pour préparer cette collecte, Michel Leiris rédige des Instructions sommaires pour les collecteurs d’objets ethnographiques[7] ; inspirées du contenu des cours de Marcel Mauss, elles seront utilisées par les membres de l'expédition et pourront également servir aux administrateurs des colonies ou à toute personne susceptible d'obtenir des objets au sein de ces territoires[8]. L'un des objectifs de la mission est de récolter tout objet usuel ou rituel témoignant de la culture rencontrée, la constitution d'une collection d’œuvres d'art y est hors de propos[9]. À l'époque, la collecte d'objets est une priorité pour les missions ethnographiques. Marcel Mauss, dans son cours de 1926 à l'Institut d'ethnologie, insiste sur ce point : « Les collections à former sont d’une extrême urgence. Tout disparaît avec rapidité. » Cette priorité disparaîtra durant les décennies suivantes, la sociologie descriptive devenant alors l'objectif principal[10]. Les étapes de l'expéditionLa mission embarque à Bordeaux, le à bord du cargo à vapeur Saint-Firmin. Après une escale à Las Palmas (îles Canaries), le , il mouille en rade de Port-Étienne (aujourd'hui Nouadhibou, en Mauritanie) le 28, et arrive à Dakar (Sénégal) le .
La mission gagne Marseille, après une traversée à bord du vapeur D'Artagnan des Messageries maritimes du 7 au . DéroulementLa mission comporte plusieurs volets : l'ethnographie au sens strict, l'ethnologie musicale, l'ethnobotanique, l'ethnozoologie, les enquêtes linguistiques et la collecte d'objets dont les méthodes généreront de nombreuses critiques[13]. Pendant deux bonnes années, la mission pille le patrimoine africain : « Au cours de leur mission ethnologique, Griaule et ses compagnons ratissent complètement l'Afrique, achetant à vil prix par-ci, rackettant par-là, dépouillant en somme les autochtones de tous les symboles de leur culture, au profit des musées hexagonaux[14]. » Le journal tenu par Michel Leiris et publié sous le titre L'Afrique fantôme détaille tous les événements survenus durant la mission. BilanAu niveau de l'expéditionAvec plus de 3 500 objets rapportés et déposés au musée d'Ethnographie du Trocadéro, 6 000 photographies, 1 600 mètres de films et 1 500 fiches manuscrites, la mission recueille une masse considérable d’informations. L’ensemble sera repris par le musée du quai Branly[15]. EthnographiePour la majorité des populations rencontrées (ethnographie extensive)[16] :
Étude approfondie de la société dogon de la région de Sanga (ethnographie intensive) :
Étude approfondie des peuples dits Kirdi (ethnographie intensive) : institutions religieuses, organisation politique, musique, techniques. Funérailles d’Ayaléo à Gondar (26 clichés photographiques accompagnés de descriptions)[17]. Ethnologie musicaleAndré Schaeffner participe à la mission d’octobre 1931 (en pays dogon) à février 1932 (Cameroun)[18], il décrit cérémonies et événements traditionnels, rédige des fiches descriptives d’instruments de musique, recueille des mélodies par notation musicale, étudie les pratiques musicales[19] et réalise 25 enregistrements sur cylindre[20] (4 minutes chacun). EthnobotaniqueAbel Faivre constitue un herbier des plantes rencontrées dans les régions traversées avec fiches descriptives (nom, noms vernaculaires, description et usages locaux)[21]. EthnozoologieLa mission rapporte[16] :
Elle recueille les techniques et savoirs zoologiques locaux, les techniques d'élevage et rédige des fiches descriptives par espèce animale (usages, chasse, pêche, élevage, rites, croyances, magie, présages, représentations en masques). LinguistiquePour ses enquêtes linguistiques, la mission utilise les Instructions d’enquêtes linguistiques de Marcel Cohen qui précisent les méthodes de transcription phonétique des langues et des termes vernaculaires[22]. Elle étudie vingt-six langues ou dialectes[16], recueille chants, devinettes, contes, prières, récits locaux et documente les rituels[22]. Collecte d’objetsLes objets sont maintenant rassemblés au musée du Quai Branly. Chaque objet collecté fait l’objet d’une fiche muséographique. Plus de 3 500 objets sont collectés dans des conditions plus ou moins honorables[23] :
Ce projet scientifique en grande partie financé par le gouvernement français (loi du ) avait des visées scientifiques, politiques et économiques : rattraper le retard pris par la France en ethnologie[24], asseoir la position française en Afrique, notamment en Afrique de l'Est, et s'opposer de cette façon à l'influence grandissante de la couronne britannique sur ce continent. Pour les promoteurs de la mission, l'enjeu était aussi de faire valoir l'ethnologie comme moyen de contribuer à la grandeur impériale de la France[2]. Plusieurs expéditions de Griaule ont suivi celle-ci : la Mission Sahara-Soudan (1935)[25],[26], puis la Mission Sahara-Cameroun (1936-1937) et enfin la Mission Niger-Lac Iro (1938-1939)[note 2]. Au niveau des peuples locauxAspect colonialCette expédition s'inscrit dans le processus de colonisation des peuples de l'Afrique de l'ouest, alors sous domination française, mais concerne également l’Éthiopie, pays alors indépendant, mais sous protection du consulat italien de Gondar, pays qui finira par l’envahir moins de quatre ans plus tard[30]. Les organisateurs de l'expédition utilisèrent cet aspect colonial de domination afin de justifier leurs acquisitions sous des termes légaux inventés. Le terme de « réquisition » est utilisé afin de justifier la prise d’objets sacrificiels à l’intérieur des sanctuaires du Kono, au Soudan français. Le , Marcel Griaule obtient du chef de Kéméni des objets sous la contrainte en utilisant ce stratagème. Le jour suivant, Lutten et Leiris se saisissent de nouveaux « fétiches » du Kono en versant une « indemnité » de vingt francs aux chefs de deux localités, malgré leur opposition. Le surlendemain, à San, la mission échoue dans sa réquisition d'un masque après la plainte du propriétaire et l’intervention télégraphique du gouverneur général Fousset[31]. De Dakar jusqu’à Mopti, ils recueillent ainsi la totalité des instruments d’un cordonnier, d’un forgeron ou d’une potière, puis l’ensemble des pièces d’un métier à tisser ou le jeu complet d’accessoires d’une pirogue. Ils rassemblent également une série de poupées ainsi qu’un large assortiment d’entraves pour chevaux ou pour ânes. En pays dogon, ils préfèrent s'emparer d’objets sacrés. En Éthiopie, ils démarouflent des peintures murales de l’église d’Abba[32]. Les pièces datant du XVIIIe siècle concernant cette église chrétienne portent les numéros d'inventaire allant de 31.74.3584 à 31.74.3630 au musée du quai Branly[33]. Aspect social et religieuxPartout où furent commis des vols d’objets sacrés, une rumeur évoque qu’il s’ensuivit dans les villages une série de malheurs et de catastrophes : mauvaises récoltes, sécheresse, maladie, querelles entre habitants… Il reste cependant certains que la perte de tels objets entraîna en effet de profonds bouleversements au niveau des peuples locaux[34]. Le constat de l'écrivain Michel Leiris fait auprès de son épouse en 1933, après le retour de l'expédition à laquelle il a participé en tant que « secrétaire-archiviste », est sans appel. Il écrit notamment[35],[36]:
Retentissement et postéritéPièce musicaleLe Vol du Boli est une pièce musicale du réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako et du musicien britannique Damon Albarn, jouée au théâtre du Châtelet à Paris en 2020, qui retrace le pillage systématique effectué par les membres de cette mission en se référant au texte de l'écrivain surréaliste Michel Leiris[37]. Projet de restitutionLa collecte des divers objets culturels et leur conservation dans un musée parisien entrainent une polémique, expliquée par le cinéaste Marc Petitjean, réalisateur du film Dakar – Djibouti, 1931. Le butin du musée de l’Homme[38]. Concernant la restitution partielle ou totale des objets subtilisés lors de l'expédition, le président du musée du Quai Branly explique sur un site sénégalais qu’il s’agit pour les institutions muséales de « parcourir cette histoire afin d’en avoir une approche critique et de partager les résultats de cette mission ainsi que les recherches qui ont été faites sur le sujet ». En ce qui concerne cette action de restitution, il s’agit, pour ce responsable, de mettre à part les objets et de trouver un commun accord pour ensuite « proposer à la Nation concernée les objets à restituer »[39]. Notes et référencesNotes
Références
AnnexesBibliographieRécits et productions
Sur la Mission Dakar-Djibouti
Liens internesLiens externes
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