Mathilde, Mémoires d'une jeune femmeMathilde, Mémoires d'une jeune femme
Mathilde, Mémoires d’une jeune femme est un roman français publié en feuilleton par Eugène Sue dans La Presse entre le et le . Cette œuvre fait partie des premiers romans-feuilletons publiés en France et semble avoir été très appréciée du public. Premier roman-fleuve d’Eugène Sue, elle est jusqu’à alors son plus grand succès, avant Les Mystères de Paris et Le Juif errant, ce qui peut s’expliquer notamment par une diffusion élargie grâce à la publication au rez-de-chaussée de La Presse. Elle sera également adaptée en pièce de théâtre un an à peine après la fin de sa publication dans La Presse et l’objet de plusieurs articles de critique littéraire. Elle marque aussi les débuts d’une correspondance accrue entre l’auteur et ses lecteurs. ParutionMathilde, mémoires d’une jeune femme, roman en 88 feuilletons, est le premier roman d’Eugène Sue d’importance en termes de quantité et de popularité. Arthur, journal d’un inconnu, son précédent roman, également paru dans La Presse du au , ne comprenait que 37 feuilletons. Très endetté, Sue avait considérablement écrit, au cours des années 1836-1840, au rez-de-chaussée des plus grandes feuilles. Il était d’ailleurs un habitué des journaux d’Émile de Girardin et donnait régulièrement à La Presse des œuvres de fiction. La parution de Mathilde, commencée à la fin de l’année 1840, le , s’achèvera le et se divisera en cinq grandes périodes :
GenreLe roman-feuilleton, qui apparaît et se développe sous la monarchie de Juillet a la particularité, notamment pour plaire au plus grand nombre, de piocher dans plusieurs genres romanesques et relève ainsi « d’une esthétique toute romantique : association du comique et du tragique, du grotesque et du terrible, du rire et des pleurs, engagement historique et critique sociale, drame et pittoresque[1] ». Dans Mathilde on peut déceler les influences du roman noir (décor sombre, atmosphère effrayante, situations intenables) et du mélodrame (intrigue complexe, situations attendrissantes, proximité avec le théâtre) qui ont en commun de présenter aux lecteurs des situations exagérées (dans l’horreur ou le pathétique). Si Mathilde se trouve être, à bien des égards, une œuvre romanesque, elle propose également de la « matière d’actualité » selon le terme de Marie-Ève Thérenty[2]. Description réaliste de la société contemporaine, sujets « sérieux » tels que les inégalités dans le mariage ou l’apologie du divorce, effets de réels divers et « interréférentialité », font de Mathilde un roman moins fantaisiste qu’il semblerait au premier abord. Parmi la « matière d’actualité » présente dans Mathilde, il est possible de distinguer en particulier les effets de réel, les références artistiques, les commentaires du narrateur, la description de la société de l’époque et la proximité avec le fait divers. Mathilde se rapproche également de l’écriture référentielle en proposant un récit de vie – les « mémoires » d’une jeune femme – et plus précisément les difficultés d’une épouse vertueuse mais mal mariée et autres « drames » communs qui devaient émouvoir le lectorat de Sue, essentiellement féminin. Les confessions de Mathilde sont d’autant bien accueillies par les femmes qu’il est encore ardu pour elles de s’exprimer publiquement : victimes de la censure, elles sont souvent condamnées à ne s’occuper que des sujets « légers » – la parole publique étant traditionnellement réservée aux hommes tandis que la parole privée, le roman, est affaires des femmes[1]. PersonnagesEn ce qui concerne les personnages, Eugène Sue ne va pas puiser son inspiration très loin mais reprend des « types », héritiers du mélodrame : la femme-victime, malheureuse mais vertueuse (Mathilde) ; le persécuteur infernal (Mlle de Maran, M. Lugarto) ; le galant sans honneur (Gontran) ; le protecteur droit et puissant (M. de Mortagne puis M. de Rochegune) ; la femme adultère et fatale (Mme de Richeville, Ursule) ; le serviteur maléfique ou bienfaisant mais toujours dévoué (Servien, Fritz, Mme Blondeaux, Plok) ; la vierge innocente (Mathilde puis Emma) ; le provincial honnête (Les Sécherin) ; l’idiot (Godet l’ainé, M. Bisson). Personnages simplifiés, parfois grossiers mais chers à Eugène Sue, selon Marie de Solms, auteure de la première biographie consacrée au feuilletoniste, qui déclarait au sujet de ses personnages :
Réception de l’œuvreSelon les témoignages de l’époque et les études sur Eugène Sue, Mathilde rencontra un grand succès, favorable aussi bien à l’auteur que pour La Presse et les éditions en librairie . D’abord au niveau de La Presse, celle-ci aurait gagné grâce au roman de Sue plus de 1 000 abonnés[4] tandis que le roman-feuilleton aurait eu plus de 200 000 lecteurs selon Théophile Gautier[5] – nombre invérifiable cependant et qui semble d’autant plus exceptionnel qu’au début de la monarchie de Juillet encore un tiers des hommes et trois-quarts des femmes n’ont pas appris à lire. Cette quantité de lecteurs pourrait s’expliquer par le fait que, selon Nora Atkinson, « Eugène Sue avait des lecteurs de toutes les classes de la société, voire les plus hautes et les plus cultivées. Ses contemporains ne nous laissent aucun doute à ce sujet[6] ». Sans surprise, Mathilde découle donc naturellement sur un succès de librairie : pas moins de huit éditions de Mathilde entre 1841 et 1845 – cinq éditions parisiennes de Charles Gosselin (trois éditions en 1841, une en 1844 et une en 1845), une édition de Paulin (Paris, 1845) et deux éditions belges (Bruxelles : Méline, Cans et Cie, 1841 et A. Jamar, 1841). La première édition du roman paraît simultanément à sa parution dans le journal, selon le contrat conclu entre Eugène Sue et Charles Gosselin. Ce dernier proposera en particulier, en 1844 et par livraison, une édition revue par l’auteur et richement illustrée[7] – par les talentueux illustrateurs Tony Johannot, Paul Gavarni et Célestin Nanteuil. Dans la presse de l’époque le roman de Sue suscita des réactions encourageantes, amusantes ou sévères. Parmi elles :
Au-delà de la réaction de la presse, Mathilde marque aussi le début d’une correspondance accrue entre l’auteur et ses lecteurs . À la suite de la publication de son roman-feuilleton, Eugène Sue avouait à son ami Ernest Legouvé en avoir reçu « plus de trente ou quarante lettres depuis deux mois, beaucoup plus en éloges qu’en blâme[8] ». Adaptation théâtraleForte de sa popularité, Mathilde connut non seulement deux destinées, dans le journal puis en librairie, mais également une troisième vie sur les planches. Rappelons qu’Eugène Sue était un habitué du théâtre et qu’il s’agissait presque d’un passage obligé en cas de succès, comme le rappelle Lise Queffélec : « Le théâtre touchait un public mêlé, à la fois parisien et provincial, populaire et bourgeois – car les compagnies théâtrales faisaient régulièrement des tournées en province. Tous les grands romans-feuilletons – et même les moins grands – de la monarchie de Juillet ont été adaptés et joués dans les théâtres de mélodrame : l’Ambigu-Comique, la Porte-Saint-Martin, la Gaîté, la Renaissance[1] ». Le roman de Sue, dont la parution dans La Presse s’est terminée le , fait rapidement l’objet d’une adaptation théâtrale[9], réalisée en grande partie par Félix Pyat et jouée au théâtre de la Porte Saint-Martin du au (soit 93 représentations). Le mélodrame connaît deux éditions dès sa première année – une édition parisienne chez Christophe Tresse et une édition bruxelloise chez Gambier et Neirinckx. Le travail de transposition, du roman à la pièce, semble avoir été réalisé en grande partie par le républicain Félix Pyat – selon le témoignage de ce dernier. Selon lui, la conversion au socialisme de l’auteur de Mathilde n’était pas encore effective et le républicain eut à cœur de « socialiser » la pièce tout en « humanisant » ses personnages :
Les critiques concernant la reprise de la pièce en 1870 – 45 représentations du au – semblent avoir été moins positives : le temps passant, la pièce apparaît comme une « vieillerie » selon Barbey d’Aurevilly qui déclare :
Bibliographie
Références
Articles connexes |