Liber de arte distillandi de simplicibus
Le Liber de arte distillandi de simplicibus ou Le Petit Livre de la Distillation (Kleines Destillierbuch), est un manuel de distillation de matières médicales, écrit pour les apothicaires, par Hieronymus Brunschwig. C'est le premier manuel de ce genre à être imprimé en Europe en 1500. Brunschwig, un apothicaire et chirurgien alsacien, germanophone, concevait la distillation comme une technique de purification des substances végétales ou animales permettant d'en extraire la partie pure, thérapeutiquement efficace, de la partie impure, toxique. Cet ouvrage donne dans une première partie, une série d'instructions précises pour construire et utiliser tous les ustensiles et les appareils de distillation. Dans une seconde partie, il offre une liste de 305 notices sur les distillats de substances végétales et animales, avec leurs indications thérapeutiques. L'ouvrage est agréablement illustré de planches de xylogravures instructives. L'œuvre traduite en néerlandais en 1517, en anglais en 1527, en tchèque en 1559, et de multiples fois rééditées, fit autorité pendant tout le XVIe siècle. ObjectifsL'ouvrage de Brunschwig, de multiples fois réédité et traduit, marque le début d'une floraison de traités de distillation qui furent publiés durant le siècle qui suivit. Il inspirera toute une série de recherches semblables comme Coelum philosophorum (1525) de Philipp Ulsted, le Trésor des remèdes secrets (1552) de Conrad Gesner, le Polychymia de Kaspar Wolf (sous le pseudonyme de D. Euchyon) l'ami de Gesner ou Quatre livres des secrets de médecine et de la philosophie chymique (1573) de Jean Liébault et enfin De distillatione libri IX (1608) de Della Porta. Brunschwig (1450-1512) indique avoir écrit son ouvrage pour « à aider les chirurgiens, médecins et apothicaires mais aussi beaucoup de personnes...à apprendre comment distiller de nombreuses herbes pour traiter et guérir beaucoup de maladies et infirmités apparentes ou non / et on doit comprendre que les "eaux" [distillats] sont meilleures que les herbes » (d'après The vertuose boke of distyllacyon[1], traduction anglaise de 1527 de Kleines Destillierbuch). Dans cet ouvrage, il fait le point des connaissances de son époque sur les appareils à distiller et indique l'usage qui peut en être fait en pharmacologie[1],[2],[3]. Le Liber de arte distillandi de simplicibus est composé de trois grandes parties (ou livres):
Dans la réédition de 1505, le premier livre fut raccourci et le troisième supprimé[4]. Un opuscule de Conrad intitulé Composita et le livre Sur la longévité de Marsile Ficin furent ajoutés par l'éditeur Grüninger. Dans la présentation ci-dessous, nous nous appuyons sur la traduction anglaise de 1527. Appareils et méthodes de distillationLa première partie de l'ouvrage fournit une description détaillée des appareils et des méthodes de distillation. Brunschwig donne une série d'instructions précises pour construire les fourneaux et pour conduire correctement une distillation. Il prend soin de préciser quel type de verre utiliser (de Bohème ou de Venise) capable de supporter le feu. Il donne une liste de récipients et appareils à « distiller ». Sa description des techniques de « distillation » a de quoi surprendre le lecteur moderne. Car il faut savoir que les alchimistes du XVe siècle se servaient du terme de « distillation » non seulement pour désigner le procédé qu’on appelle aujourd’hui distillation mais aussi pour les procédés de « filtration » et de « circulation », qu’ils interprétaient comme une procédure de purification (souvent accompagnée d'une stillatio « action de tomber goutte à goutte »).
Il distingue un grand nombre de distillations qu'il rassemble en deux classes, celles faites sans feu et bon marché et celles faites avec du feu et chères[2],[5],[3]. Résumons l'ensemble en gardant le style direct de « livre de recettes » adopté par Brunschwig: Distillations sans feu, gratuites
Distillations avec le feu, coûteuses
Le « rosenhut » (chapeau de roses[n 3]) de forme conique était fabriqué en cuivre, en cuivre étamé, en plomb ou en poterie vernie, c’est-à-dire en matériaux robustes. Simplement refroidi à l'air, il servait à distiller des distillats de matières médicales ou distillats médicinaux[n 4], constitués d'un hydrolat avec la présence éventuelle (pour les plantes aromatiques) d'huile essentielle. L’alambic était fabriqué en verre vénitien ou en verre de Bohême[6],[7]. Le système de refroidissement avec un tissu humide reste très archaïque. Brunschwig a présenté un système de refroidissement à l'eau plus élaboré dans le Grand Livre de Distillation. Aucun système de décantation du distillat n'est présenté, permettant de séparer l'hydrolat de huile essentielle, lorsque celle-ci est présente. L'hydrolat est appelé dans ce cas, une eau florale. Pour distiller au bain-marie, avec un alambic, Brunschwig recommande un prétraitement des fleurs. Il les met à macérer dans le distillat, obtenu lors d'une distillation antérieure de ces fleurs, et les distille à la chaleur du crottin, dans un circulatorium . Pour obtenir une eau de plus en plus parfaite, il ne fallait pas se contenter d'une seule distillation mais répéter au contraire l'opération plusieurs fois. La chaleur du soleil appliquée sur les flacons circulatorum ou le « pélican » avec ses canaux de descente rejoignant le bas de l'instrument étaient censé redigérer indéfiniment le produit. Nous savons aujourd'hui que ce genre de procédure ne produit pas l'effet de « rectification des eaux » recherché[n 5]. Ces considérations théoriques sont manifestement influencées par le livre De consideratione quintae essentiae de Jean de Roquetaillade[8],[9],[10]. Le franciscain hanté par l'arrivée de l'Antéchrist pensait qu'il était possible de soustraire l'homme à la corruption grâce à l'usage de la Quintessence, une eau-de-vie indéfiniment redistillée jusqu'à être entièrement débarrassée des quatre éléments. Cette influence sera manifeste dans le second ouvrage de distillation de Brunschwig de 1512, où il cite à plusieurs reprises Roquetaillade. Index des maladiesUne liste de maladies listées par ordre « de la tête aux pieds » et de traitements par les distillats présentés dans le livre suivant. Exemple:
Notices sur les distillats médicinauxUne liste de 305 monographies[n 6] sur des substances végétales et animales et leur distillat (eau), classés par ordre alphabétique des noms vernaculaires allemands: Andorn wasser (eau de marrube), Ampfer wasser (eau d'oseille)... jusqu'à Zeitlösen krut wasser (eau de primevère), Zitwanwurtrel wasser, Zaccarum[11]. Les notices botaniques portent essentiellement sur les plantes indigènes, certaines rares (difficiles à se procurer nous dit l'auteur) et chères, comme le romarin, la marjolaine. Elles donnent souvent un synonyme latin[12], indiquent quelles parties utiliser (racines, tiges, feuilles, fleurs ou fruits), comment les préparer (laver, hacher) et quand et comment procéder pour les distiller. En l'absence de descriptions des plantes, il y a en général une illustration schématique assez instructive; on y discerne si la feuille est simple ou composée (imparipennée, trifoliolée, etc.), si le limbe est entier ou denté, les divers éléments de la fleur sont indiqués ainsi que la forme de l'inflorescence[n 7]. Brunschwig (aidé par son éditeur Jean Grüninger et ses graveurs), par le soin apporté aux illustrations, est un précurseur des botanistes de la Renaissance qui allaient enfin prendre conscience du besoin de disposer de représentations fidèles des plantes médicinales plutôt que de reproduire inlassablement des gravures traditionnelles fantaisistes. Cette exigence sera satisfaite par les botanistes allemands du XVIe siècle : Otto Brunfels, Jérôme Bock et Leonhart Fuchs (Väter der Botanik[13]). La plus grosse portion de la notice concerne les indications thérapeutiques. Elles sont tirées en partie des sources traditionnelles gréco-latines (Dioscoride…), en partie des sources contemporaines populaires. Beaucoup des indications énumérées par Brunschwig sont tirées de manuscrits contemporains du XVe siècle[14],[15],[16],[17]. Le Büchlein von den ausgebrannten Wässern, attribué au médecin viennois Michael Puff, est complètement incorporé au Liber de arte distillandi de simplicibus.[18]. Il s'inspire aussi par exemple du Gart der Gesundheit du médecin herboriste Johannes de Cuba qui préconise des remèdes à base de plantes dans la tradition galénique[19]. L'éditeur Grüninger reprendra d'ailleurs certaines xylographies utilisée pour l'Hortus sanitatis (1491/97) pour illustrer l'ouvrage de 1500 de Brunschwig. Prenons l'exemple de la notice sur l'ancolie
Les différentes indications sont repérées par une lettre majuscule (A, B, ...). Parfois le nombre d'indications peut dépasser la trentaine (31 pour la camomille) ou la quarantaine (46 pour le grand plantain). Brunshwig distille un grand nombre de plantes herbacées communes (marrube, oseille, aigremoine, ancolie, mandragore, iris, menthe pouliot, camomille allemande, orties, etc.), de feuilles ou bourgeons d'arbres (chêne, frêne, aulne etc.), des fougères et champignons, mais aussi des substances animales (sang d'homme, de canard, d'âne, sang et foie de veau, bouse de vache, etc., lait de chèvre, œufs de fourmis, des grenouilles, du miel, etc.). Brunschwig propose deux notices pour la vigne (vitis) : le jus de la vigne et les feuilles de vigne. Dans la première notice, il dit « Le jus de la vigne doit être récolté dans un verre début avril quand la vigne est taillée et [doit être] distillé par bain-marie ». Le « jus de la vigne » n'est donc pas le vin mais la sève qui coule au printemps des sarments qui ont été taillés (les pleurs dit-on). Il ne propose donc pas de distiller le vin pour faire de l'eau-de-vie - d'ailleurs on peut se demander si ses appareils de distillation le permettaient (tels que présentés en 1500). Dans un addendum à la fin de l'ouvrage, rajouté dans l'édition anglaise de 1527, on trouve une description des propriétés mirifiques des eaux-de-vie et de l'eau de Damas. Il est surprenant de constater que les nombreuses notices sur les plantes aromatiques (lavande, menthe, sauge, mélisse etc.), ne mentionnent pas la présence de substance aromatique, non miscible, surnageant à la surface du distillat, qui après décantation donne une huile essentielle. Pour l'eau de rose, Brunschwig discute de la couleur des roses mais n'indique pas la présence de substances d'aspect huileux. La seule exception concerne la notice sur le romarin qui mentionne en passant, au cours d'une très longue liste d'indications, une « huile fabriquée avec ses fleurs » qui a les vertus d'un baume. Actuellement, on distingue eau de rose / essence de rose, ou eau de lavande / huile essentielle de lavande, etc. Le produit obtenu par la distillation de plantes aromatiques mises à macérer dans de l'eau (ou hydrodistillation), est un liquide constitué de substances huileuses (non miscibles à l'eau) remontant à la surface et d'une phase aqueuse (l'hydrolat). Leur séparation (dans un vase florentin) donne l'huile essentielle (en surface) et de l'eau florale (l'hydrolat en dessous). L'absence de distinction hydrolat/substance huileuse que ne faisait pas le terme eau, n'était pas faite non plus par les distillateurs arabes de l'eau de rose. L'agronome andalou du XIIe siècle Ibn al-Awam décrit précisément diverses techniques de distillation de l'eau de rose, donne de nombreux conseils pour obtenir une eau de rose de qualité, mais ne mentionne pas la décantation[20]. AddendumDans un chapitre ajouté à la fin de son ouvrage de la traduction anglaise de 1527 (mais que l'on ne retrouve pas dans la réédition en allemand de 1521), Brunschwig rajoute quelques considérations sur l'eau-de-vie et sur l'eau de Damas. À cette époque, l'eau-de-vie n'est qu'un remède. Découvert par les apothicaires et les chirurgiens au XIIe siècle, son emploi médical restera marginal durant longtemps. Tous les distillats donnés par Brunschwig étaient fabriqués à partir d'une seule matière médicale (une seule plante par exemple). Ici, il donne une recette de distillation d'un assemblage complexe de plantes.
Puis on verse de ce distillat sur les plantes dans la cucurbite et on ajoute de nombreuses épices (clous de girofle, cannelle, macis, noix de muscade, safran, musc, spicanard, ambre et éventuellement camphre). Puis « Bien mélanger et distillez jusqu'à ce que le gras vienne, comme de l'huile, puis mettez à part votre "eau" et gardez la bien. Faite un grand feu et distillez en l'huile, et recupérez dans une fiole » . C'est le seul endroit dans le texte, où Brunschwig indique mettre à part les huiles essentielles. Il termine en indiquant que cette huile développe une odeur supérieure à toutes les huiles et qu'elle est merveilleusement bonne, dépassant toutes les huiles souveraines contre diverses maladies. Brunschwig fait aussi un éloge appuyé de l'eau-de-vie à laquelle il attribue un nombre considérable d'indications et de propriétés thérapeutiques:
Brunschwig indique qu'il existe aussi une aqua vite composita qui est produite par la distillation de vin fort dans lequel on a fait macérer des épices ou des herbes médicinales. On utilise la chaudière à chapiteau rosenhut qui sert à distiller l'eau de rose. Cette eau-de-vie est aussi dotée de nombreuses vertus. Jusqu'à la Renaissance, l'eau-de-vie n'est qu'un remède. Elle ne commencera à devenir une boisson récréative en Europe occidentale qu'au XVIIe siècle. Brunschwig emprunte beaucoup de ses idées sur la distillation et la quintessence au moine franciscain Rupescissa[21]. Liens internesLes traités de distillation de la Renaissance sont :
Notes
Références
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