Le Roman de Silence
Le Roman de Silence est un roman de Heldris de Cornouailles, du XIIIe siècle, en vers octosyllabiques. Le nom de l'auteur, qui renvoie à l'univers arthurien, est sans doute un pseudonyme. Le roman raconte en effet les aventures de Cador, héritier du comté de Cornouailles, puis de son enfant Silence. Le roman mêle l'univers arthurien, dominant, à des éléments provenant des chansons de geste, des romans antiques, ou des fabliaux. RésuméNature, figure allégorique présente dans le texte, commence par façonner le corps de Silence en lui donnant l'apparence d'une femme parfaite : avec un joli visage aux joues vermeille, un long cou blanc, des cheveux bruns et raides, des hanches rondes, des jambes droites et des orteils délicats. À la suite de la querelle de deux chevaliers s'étant disputés à propos du droit d'aînesse de leurs épouses, le roi d'Angleterre interdit aux femmes d'hériter. Cador, comte de Cornouailles, décide alors pour pallier cette injustice, à la naissance de son enfant, de le nommer Silence et de le cacher pour le faire élever comme un garçon chez son sénéchal afin de préserver ses droits et ses biens patrimoniaux. En grandissant, Silence ne sait quoi faire entre son désir de reprendre son identité originelle et celui d'accepter son identité masculine qui lui confère plus de privilèges. Silence s'enfuit en France en prenant le nom de Malduit (qui signifie « mal instruit »), devient jongleur puis chevalier, puis finit par retourner chez son père. C'est alors que le Roi la convoque, et que la Reine en tombe éperdument amoureuse. Elle lui fait des avances, s'arrange pour que Silence vienne lui jouer de la harpe, congédie tout le monde pour se retrouver seule avec ce qu'elle croit être un jeune homme et tente de l'embrasser. Silence repousse ses avances avec une certaine peur, mais la Reine insiste, pose des questions. Humiliée et mortifiée par le rejet de Silence, la Reine commence par supposer son impuissance puis son homosexualité[2]. Après la révélation de la véritable identité de Silence par Merlin, le roi fait écarteler la reine et épouse Silence. Le manuscritLe texte ne nous a été conservé que par un seul manuscrit, daté du milieu du XIIIe conservé à la bibliothèque Wollaton[3] de l'université de Nottingham ; redécouvert en 1911, sa première édition moderne date de 1972. On ne connait de son auteur que le nom de l'auteur, rien de son histoire n'a été retrouvé[1]. Il a été traduit en français moderne par Florence Boucher[4]. Le texte se présente sous la forme de 6 706 vers octosyllabiques à rimes plates. Le manuscrit contient dix-huit histoires en français, dont sept romans et dix fabliaux : parmi ces histoires, outre le Roman de Silence, Le Roman de Troie de Benoît de Sainte-Maure, Ille et Galeron de Gautier d'Arras, La Chanson d'Aspremont, une partie du Roman d'Alexandre, La Vengeance Raguidel, ainsi que des fabliaux de Gautier le Leu. Analyse et commentairesLe Roman de Silence s'intègre dans un questionnement général et courant dans la littérature du XIIIe siècle sur la primauté de Nature ou de Culture («Norreture» en ancien français) ; un débat qui inspirera les débats plus modernes sur l'inné et l'acquis. Les deux concepts ne sont toutefois pas superposables dans l'acception moderne de leur sens, et bien que souvent présents dans les romans de cette époque, ils ont parfois été traduits de façon trop littérale : « Nature » renvoie en partie pour cette époque à la notion de divinité, de création originelle des choses et de l'orientation qui leur est données par le Créateur. Dans les siècles suivants sa signification évolue pour désigner « les choses créées par Dieu », avant d'arriver progressivement à la définition moderne. « Norreture » renvoie à l'éducation et à l'empreinte des actions humaines sur les choses[4]. La décision du père de Silence d'en faire un garçon est une réaction à l'injustice perçue à la suite de la décision du Roi d'Angleterre d'interdire aux filles d'hériter. À cette époque la pratique n'est pas du tout répandue. Il faut alors lui faire changer d'habits, mais la distinction entre habits d'hommes et de femmes n'est alors pas aussi visible qu'aujourd'hui : hommes comme femmes portent des tuniques longues, celles des hommes étant pourvues d'une fente et celles des femmes suffisamment longues pour recouvrir toujours les chevilles pour en dissimuler la charge érotique. La différenciation marquée de tenues de femmes avec l'apparition de décolletés et d'un affinement de la taille ne se produira qu'après 1330[4]. En tant que personnage dont l'expression de genre est trouble, fille travestie, garçon mal-né, ou tout autre terme pour désigner la délicate question de l'identité du personnage, Silence transgresse, questionne et bouleverse les normes de genre de son époque. Elle excelle dans des activités perçues comme masculines : jongleur puis chevalier. La tentative de séduction de la part de la reine conduit en outre le texte à jouer avec la délicate question au Moyen Âge des rapports entre personnes de même sexe, assimilable à de l'homosexualité. La possibilité d'une virilisation d'un personnage féminin suggère en creux la possibilité inverse : celle de la féminisation d'un personnage masculin. La délicate question de la sexualité féminine, du sexe féminin, de l'existence et de la présence des femmes dans un système d'héritage basé sur la primogéniture masculine, soit une famille agnatique, provoque la transgression au sein de la narration. Il s'agit alors de garder des secrets, de conserver le silence, ce à quoi le prénom du personnage principal fait directement référence. Mais si le silence protège Silence, il est également la cause de ses malheurs, lorsque la reine l'accuse à tort. Cette figure de la reine manipulatrice et accusatrice, calquée sur le modèle de la femme de Putiphar, est par ailleurs courante dans la littérature médiévale. Seul l'aveu final conduit à un retour à ce qui est perçu comme l'ordre naturel, avec la condamnation de la reine mensongère, l'attribution définitive d'un rôle féminin à Silence et ses noces avec le roi[5]. Deux romans contemporains, L'Enfant de sable (1985) de Tahar Ben Jelloun et Le Chevalier Silence (1997) de Jacques Roubaud, présentent des similitudes avec le texte médiéval. Références
Voir aussiÉdition et traduction
Études
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