Habitué de la provocation et du scandale, John Galliano a été durant plus d'une décennie, directeur artistique de Dior, marquant le milieu de la mode par ses défilés, ce qui lui vaudra, toute sa carrière, le surnom de « surdoué de la mode ». En , sa carrière connaît un brusque coup d'arrêt, à la suite de propos racistes et antisémites tenus sous l'empire de l'alcool. Après une période de retrait et une thérapie, il revient dans le monde de la mode à partir de , collaborant avec le couturier Oscar de la Renta. En , il est nommé directeur artistique de Maison Margiela ; en juillet 2024, il annonce son départ[1].
Enfance et formation
Son père, John Joseph Galliano, est un Anglais d'origine italienne qui était plombier de profession ; sa mère, Anita Guillen, est espagnole, amatrice de vêtements et de flamenco. Il a deux sœurs plus âgées, Rosamaria et Immaculada. John Galliano a déclaré, dans des interviews, s'appeler à l'état-civil « Juan Carlos Antonio Galliano-Guillen »[2] ; le Sunday Times, ayant pu consulter en son acte de naissance, a indiqué qu'il était bien né sous le nom de « John Charles Galliano »[3].
John Galliano et sa famille s'installent à Battersea en . C'est alors un faubourg pauvre de la banlieue sud de Londres, avec une population très cosmopolite, habité par des familles africaines, asiatiques et indiennes, ce qui fut pour lui « une source d'enrichissement culturel fantastique »[4],[5].
Il entre en pour trois ans à Central Saint Martins de Londres une célèbre école de stylisme. Parallèlement, il travaille comme habilleur au National Theatre de Londres. Cette expérience va lui donner l'envie de s'appuyer sur la théâtralité pour mettre en valeur son travail. En troisième année, il suit les cours de mode et, en [6], son défilé de fin d'études, Les Incroyables, inspiré de la France révolutionnaire, lui permet une outrance stylistique qui marque alors les esprits, lui permettant d'obtenir son diplôme avec une mention très bien. Les huit tenues incroyables et merveilleuses, toutes en organdi et en volants, sont présentées dans les vitrines du prestigieux magasin Browns dans lequel il va travailler comme assistant vendeur de ses propres créations. Sa première vente est un manteau à Diana Ross.
Carrière
Dès son diplôme obtenu, John Galliano lance sa propre griffe en 1984. Sa première collection[n 1], Afghanistan Repudiates Western Ideals, associe les techniques traditionnelles des tailleurs aux formes et aux tissus orientaux. Il crée ainsi plusieurs collections, à Londres, mais elles obtiennent seulement un succès d'estime, car les industriels, persuadés que ses créations ne peuvent pas être réalisées dans le cadre du prêt-à-porter, ne veulent pas le suivre. Cependant, en 1987, il obtient le prix du Créateur britannique de l'année(en). Entre-temps, il est assistant du tailleur Tommy Nutter[7].
En 1990, il présente sa première collection à Paris. Ses finances sont au plus bas[8], il reçoit ponctuellement le soutien d'Alaïa[n 2]. Amanda Harlech sa collaboratrice se souvient de la nuit qui a précédé son premier défilé parisien : « Nous étions frigorifiés, affamés et sans un sou en poche ». Dans son studio de la Bastille, il commence à avoir quelques clientes très médiatisées qui le font vivre comme Madonna ou Papa Wemba qui va jusqu'à le citer dans ses titres.
Grand technicien, perfectionniste, John Galliano a une passion pour le travail du biais[10], très présent dans ses collections de l'été 1993 et de l'été 1994 : « Une technique pas commode. Pourtant, une robe en biais, c'est la volupté même ; c'est comme nager dans une mer d'huile ! » C'est en admirant les robes de Madeleine Vionnet[11] que ce technicien curieux et passionné en est venu au biais[8]. L'influence de Poiret se fera également sentir dans ses créations quelques années plus tard[12], et comme Vivienne Westwood, il fera le lien entre la mode d'autrefois, certaines périodes historiques, et son époque[13].
Les années LVMH
Souvent qualifié de « génie »[10],[14], il veut donner une nouvelle dynamique à la maison Dior. Bernard Arnault, qui a pris la tête de LVMH depuis 1987, le nomme, en 1995 chez Givenchy, « directeur de la création du Prêt-à-porter et de la Haute-couture » et, en 1996 chez Christian Dior, « directeur de la création de la Haute-couture et du Prêt-à-porter féminin », sur les conseils d'Anna Wintour[5]. Il succède à Gianfranco Ferré. Pour l'inauguration de l'exposition des 50 ans de la marque Dior au Metropolitan Museum of Art de New York fin 1996, la princesse Diana porte l'une des toutes premières robes signée par Galliano chez Dior. Remarquée, celle-ci va marquer le début d'un tournant de la Maison[15].
La consécration chez Dior
En , il devient directeur artistique de l'ensemble des lignes féminines de Dior et prend en charge la responsabilité de l'image globale de la griffe, communication incluse : il contrôle tout[5] et valorise le patrimoine historique de la marque en piochant dans les archives de la maison[11],[17]. En 2001, il ajoute à ses responsabilités celle de l'image des parfums Dior. C'est à cette époque qu'il est médiatisé comme icône de la mode. Il dit ne pas vouloir être le fournisseur du tout show-business, mais avoir une relation privilégiée avec seulement quelques célébrités bien choisies capables en devenant des icônes de la mode de propulser Dior au rang de la marque la plus « hype » du monde[n 3]. Année après année, il opère des changements d'image dans la Maison détenue par Bernard Arnault, qui commente : « Lorsque je suis arrivé chez Dior, c'étaient les mères qui y amenaient leurs filles ; à présent, c'est l'inverse[18]. »
Les collections, où chaque défilé« extravagant[11] » est présenté comme une histoire, un voyage raconté par le couturier « provocateur[8] », s'enchainent : collection « Massaï » pour l'automne-hiver 1997 ; pour la collection printemps-été 2000, avec son défilé dit « Clochards », il veut rendre un hommage luxueux et romantique « à l'ingéniosité que déploient les déshérités pour se vêtir ». Ce défilé a profondément marqué les annales de la mode : il a créé un style sans équivoque, que l’on va bientôt surnommer « porno chic »[5] et qui a révolté plus d’une fidèle de la marque[19]. Le Financial Times dit alors de lui que c'est « l'homme le plus envié à Paris[19] ».
En , il ouvre sa propre boutique John Galliano, rue Saint-Honoré à Paris, dans la maison où se trouvait autrefois le célèbre salon de Madame de Tencin, reconfigurée par l'architecte Jean-Michel Wilmotte et lance sa collection hommes, puis lingerie, accessoires, enfants… tout en continuant ses activités chez Dior au siège de l'avenue Montaigne[n 4]. Il reprend en main Baby Dior, la ligne enfants, la rapprochant des collections féminines.
L'année suivante, le « créateur le plus influent de sa génération » selon le Time[20] présente la collection « Égypte »(en) avec ses dorures : c'est un « spectaculaire » défilé[21]. Sa collection printemps-été 2006 est portée lors du défilé par des nains et des géants, des gros et des minces, des jeunes et des vieux, des beaux et des laids. Une lettre manifeste revendiquant « le droit à la mode pour tous » parce que « tout le monde est beau » est posée sur chaque chaise. En , Steven Robinson, ami et collaborateur du couturier, meurt, suivi en juillet d'Isabella Blow[22],[23] : Galliano commence alors une lente descente qui atteindra son paroxysme en 2011[24]. Les défilés haute couture, durant lesquels il réinterprète l'histoire de la mode[22], continuent pourtant de marquer : la collection printemps-été 2007 qui s'inspire de l'opéra Madame Butterfly et du Japon[25], automne-hiver 2007-2008 pour les 60 ans de la Maison au château de Versailles[26], automne-hiver 2009-2010[n 5], où Galliano retourne aux fondamentaux du couturier Christian Dior des années 1950, allant à l'essentiel[28] et utilisant des tissus habituellement réservés à la lingerie[29], la collection printemps-été 2011 un hommage aux silhouettes de René Gruau[30],[31]… Sidney Toledano souligne que lors du « défilé haute couture, c'est aussi le moment où John est à son maximum. Il est en figure libre[17]. »
En une quinzaine d'années, grande longévité à ce poste de directeur artistique, Dior multiplie ses ventes par quatre[19] et le nombre de ses boutiques par dix[5] : « Galliano a réinventé Dior[20] ».
Les scandales racistes et leurs conséquences
En , John Galliano est interpellé dans le 3e arrondissement de Paris, à la suite de la plainte d'un couple qui l'accuse d'avoir proféré à leur encontre, à la terrasse d'un café, des injures antisémites et racistes (respectivement « sale tête de juive » et « putain de bâtard asiatique »)[32]. Le couturier, qui avait jusque-là fait l'objet d'un soutien constant de la part de Dior, est suspendu de ses fonctions par l'entreprise en attendant la fin de l'enquête[19],[33] ; Bill Gaytten, son bras droit, assure la transition. Galliano porte plainte en diffamation. Le surlendemain, une femme dépose plainte contre le créateur, pour des faits similaires qui se seraient déroulés en [34]. The Sun publie ensuite une vidéo, tournée en [35] où l'on voit Galliano, visiblement dans un état d'ébriété avancée, prendre à partie des personnes à une terrasse de café et s'écrier, en anglais, « J'adore Hitler ! Les gens comme vous devraient être morts ! », ajoutant que la famille de ses interlocuteurs aurait dû être « gazée »[36],[37],[38].
John Galliano présente des excuses[39], mais l'entreprise Dior annonce néanmoins en qu'elle va engager une procédure de licenciement à l'encontre de son directeur artistique[40]. Dans les milieux de la mode, certaines personnalités condamnent John Galliano tandis que d'autres prennent sa défense en évoquant ses problèmes personnels[41],[42].
À son procès, John Galliano déclare que son comportement a été causé par son état de profonde détresse, à la suite des décès successifs de son père en 2006 et de son ami Steven Robinson en 2007[n 6],[43] ; il précise souffrir d'une « triple addiction » à l'alcool, aux somnifères et au valium. L'avocat du couturier déclare que son client était alors « malade », ses addictions l'ayant réduit à un état d'« abandon total » dans lequel il n'avait plus aucune conscience de ses propos[44],[45].
Le , John Galliano est condamné pour « injures publiques[46],[n 7] » à 6 000 euros d'amende avec sursis. Il est condamné pour avoir eu des propos antisémites[réf. nécessaire]. Il doit également verser 1 euro symbolique de dommages et intérêts aux victimes, et rembourser les frais de justice des associations parties civiles[47]. Il ne fait pas appel. À la suite de cette condamnation, John Galliano se voit retirer sa Légion d'honneur[48],[49],[n 8]. Quelques mois plus tard, il est remplacé chez Dior par Raf Simons[50].
Retour à la création
En , afin d'entamer sa réinsertion dans le milieu de la mode, John Galliano effectue trois semaines de stage chez Oscar de la Renta[51]. En , il est nommé directeur artistique de L'Étoile(ru), première chaîne de cosmétiques russe[52]. Le mois suivant, il revient dans Le Point sur sa « descente aux enfers » et sur la logique d'autodestruction qui l'avait conduit à tenir des propos « horribles », en commettant une forme de « suicide professionnel » pour échapper aux pressions. Le couturier dit avoir suivi depuis une thérapie, qui lui a permis de se reconstruire[53],[54].
En septembre de la même année, il accorde une interview à Canal+, au cours de laquelle il réaffirme n'être ni antisémite ni raciste, revendique une complète sobriété depuis une cure de désintoxication, et annonce plusieurs nouveaux projets. Début , il devient le directeur de la création de la Maison Margiela[55],[56].
En , il lance son premier podcast, des épisodes audio d'une dizaine de minutes où il partage ses inspirations, des souvenirs de carrière ou encore ses techniques de confection signature[57].
En 2024, il quitte la Maison Margiela après dix années de collaboration[58].
↑Sa toute première collection, qui n'était pas alors sous sa marque, était en fait « Les Incroyables » (en français), présentée en fin d'études à Central Saint Martins.
↑En 1991, John Galliano, alors en difficulté financière avant ses années glorieuses chez Dior, reçoit l'aide d'Azzedine Alaïa :
« Il avait fait faillite et baladait toutes ses créations dans un camion. […] J’avais de la place. J’ai annulé mon défilé, invité les rédactrices de mode. On a mis un portant avec une flèche marquée Galliano au mur[9]. »
« l’image classique de Dior est dépoussiérée et devient contemporaine et glamour, sans perdre pour autant son raffinement et son élégance, valeurs centrales de l’enseigne. »
.
↑L'entreprise John Galliano SA appartient a Christian Dior Couture ; à la suite de son licenciement de chez Dior en 2011, John Galliano perd également la direction de sa propre marque.
↑ Perpétuant son goût des voyages comme source de création, sa propre collection s'inspire de la Russie, tout comme Karl Lagerfeld pour Chanel la même année[27].
↑John Galliano déclare en public : « Steven a commencé Dior avec moi, nous étions comme des frères siamois ».
↑Le communiqué de la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris indique qu'« un faisceau d'indices nombreux et concordants (…) suffisant pour démontrer que les propos visés ont été tenus. Même si des divergences subsistent entre les diverses auditions, il est établi que le prévenu a multiplié les termes outrageants et méprisants. » Puis ajoute : « À l'issue de l'enquête (…), le parquet de Paris fait savoir qu'il a décidé de poursuivre John Galliano par voie de citation directe devant le tribunal correctionnel du chef d'injures publiques envers des particuliers à raison de leur origine, de leur appartenance à une religion (…) proférées à l'encontre de trois victimes ».
↑Décret du Président de la République daté du 20 août 2012 et publié au Journal officiel.
↑ ab et cPatrick Cabasset, « John Galliano depuis 1997 », L'Officiel, Éditions Jalou « 1000 modèles », no 81 « Dior 60 ans de création », , p. 140 à 141 (ISSN1290-9645)
« Bernard Arnault le nomme alors à la direction artistique de Givenchy. Sa mission : décoincer la haute couture parisienne légèrement pétrifiée dans ses règles d'une autre époque. »
↑ ab et cNoël Palomo-Lovinski (trad. de l'anglais par Lise-Éliane Pomier), Les plus grands créateurs de mode : de Coco Chanel à Jean Paul Gaultier, Paris, Eyrolles, , 192 p. (ISBN978-2-212-55178-5), « John Galliano », p. 154 à 157.
↑Noël Palomo-Lovinski (trad. de l'anglais par Lise-Éliane Pomier), Les plus grands créateurs de mode : de Coco Chanel à Jean Paul Gaultier, Paris, Eyrolles, , 192 p. (ISBN978-2-212-55178-5), « Paul Poiret », p. 14
« Les collections de Galliano pour la maison Dior démontrent un net penchant pour les créations de Poiret. »
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↑Noël Palomo-Lovinski (trad. de l'anglais par Lise-Éliane Pomier), Les plus grands créateurs de mode : de Coco Chanel à Jean Paul Gaultier, Paris, Eyrolles, , 192 p. (ISBN978-2-212-55178-5), « Vivienne Westwood », p. 140.
↑Patrick Cabasset, « Gianfranco Ferré 1989-1996 », L'Officiel, Éditions Jalou « 1000 modèles », no 81 « Dior 60 ans de création », , p. 124 (ISSN1290-9645).
↑(en) Michael Solomon, « Rachel Freire’s Controversial Material », Fashion, sur elle.com, Elle UK, (consulté le ) : « John Galliano for Christian Dior newspaper dress that Carrie Bradshaw famously wore in season three of Sex and the City. […] Carrie wore it again in the movie Sex and the City 2. ».
↑ a et bOlivier Wicker, « Le testament de Christian Dior n'existe pas », sur next.liberation.fr, Libération, (consulté le ) : « Dans son premier défilé, John Galliano avait repris tous les codes de Christian Dior en plongeant dans les archives. Ensuite, il a coupé le cordon. C'était nécessaire. La marque ne pouvait pas rester enfermée dans l'héritage. ».
↑ a et bOlivier Wicker, « Pour John Galliano, la fin de l’âge Dior approche », Culture, sur next.liberation.fr, Libération, (consulté le ) : « La décennie 2000-2010 sera pourtant celle de tous les succès. John Galliano est associé à une esthétique bling-bling, excessive dans les strass et l’omniprésence des logos. Mais il fait un tabac. ».
↑Noël Palomo-Lovinski (trad. de l'anglais par Lise-Éliane Pomier), Les plus grands créateurs de mode : de Coco Chanel à Jean Paul Gaultier, Paris, Eyrolles, , 192 p. (ISBN978-2-212-55178-5), « Karl Lagerfeld », p. 18.
↑Noël Palomo-Lovinski (trad. de l'anglais par Lise-Éliane Pomier), Les plus grands créateurs de mode : de Coco Chanel à Jean Paul Gaultier, Paris, Eyrolles, , 192 p. (ISBN978-2-212-55178-5), « Christian Dior », p. 40.