Günter de Bruyn est le benjamin de quatre enfants et passe toute son enfance à Berlin dans le quartier de Britz. Alors que la ville subit à partir de 1943 des bombardements de plus en plus fréquents, le jeune lycéen est affecté, avec les autres élèves de son établissement, à l'une des batteries de la défense anti-aérienne[2]. Au cours des toutes dernières semaines du conflit, il est envoyé comme soldat aux confins de l'Autriche. Pendant ces combats contre les Russes, il est blessé à la tête. Souffrant d'une aphasie complète, il finit la guerre dans un hôpital militaire de Bohême. Après la capitulation, il regagne Berlin à pied, au terme d'une marche de trois mois.
En 1946, il suit une courte formation pédagogique à Potsdam, avant d'être envoyé comme instituteur de village dans la campagne profonde du Brandebourg jusqu'en 1949. De 1949 à 1953, il retourne à Berlin suivre une formation de bibliothécaire. Jusqu'en 1961, il est chercheur à l'Institut central de bibliothéconomie de Berlin-Est. Il se lance ensuite dans l'écriture et reçoit le prix Heinrich Mann pour ses essais en 1964.
Membre du Bureau du PEN Club de la RDA de 1974 à 1982, il est, dans les années 1980, l'un des rares intellectuels à exprimer publiquement des critiques sur la politique du pays. En décembre 1981, au cours du congrès pour la paix rassemblé à Berlin (voir photo), il met notamment en doute la sincérité du pacifisme officiel, en allant jusqu'à affirmer : « Si positif que soit le soutien apporté par la RDA au mouvement pacifiste occidental, il restera, dans sa portée, sujet à caution, tant qu’on ne pourra pas se débarrasser du sentiment que ce qu’on applaudit là-bas est, chez nous, indésirable »[3].
En , il refuse le Prix national de la République démocratique allemande en raison « de la rigidité, de l'intolérance et de l'incapacité à dialoguer » du gouvernement est-allemand. Il signe à cette époque un article dans Le Monde, où il s'attache à montrer, à l'occasion du cinquantième anniversaire du début de la Seconde Guerre mondiale, comment l’œuvre de Heinrich Böll a porté, jusqu'à la fin de sa vie, l'empreinte de son expérience du conflit[4].
En 1996, interrogé par Le Monde, le sociologue allemand Wolf Lepenies estime qu'on ne peut pas, sur le plan culturel, « sauver grand-chose de la RDA », mais excepte néanmoins, parmi quelques grands noms, « le romancier berlinois Günter de Bruyn »[5]. En 2007, le critique britannique Dennis Tate corrobore cette analyse en écrivant que, « depuis l'effondrement de la RDA, la stature littéraire de Günter de Bruyn a crû d'une manière qui le met à part des autres auteurs est-allemands de sa génération. »[6]
L'œuvre
L'œuvre de Günter de Bruyn ne se laisse pas toujours séparer strictement de la vie de l'écrivain. Ses romans de la maturité, souvent teintés d'autobiographie, mettent en scène la « classe moyenne instruite financée par l'État de la RDA » (Gustav Seibt) : travailleurs culturels, professeurs, enseignants, universitaires et bibliothécaires. Le seul roman de lui traduit en français, L'Âne de Buridan (1968), se déroule à Berlin-Est dans ce milieu : pour l'intrigue, elle est un peu semblable à celle de Domicile conjugal (1970).
Mais Günter de Bruyn écrit également des essais, qui portent sur des sujets littéraires et historiques, en particulier sur l'histoire de la Prusse. Même dans cette veine, cependant, ses ouvrages font écho à sa situation et à son expérience personnelle, sa Vie de Jean Paul Friedrich Richter étant parfois considérée, ainsi par Owen Evans, comme une proto-autobiographie[7].
Non content d'écrire cette biographie, de Bruyn a du reste été l'éditeur d'un certain nombre d'autres auteurs des XVIIIe et XIXe siècles liés à Berlin et à la Marche de Brandenbourg. Il a ainsi fait paraître, avec Gerhard Wolf (mari de Christa Wolf), une anthologie de textes sous la forme d'un Jardin des écrivains de la Marche (Märkischer Dichtergarten). Il se réclame au demeurant de l'influence stylistique de Theodor Fontane.
Il connaît un grand succès dans l'Allemagne réunifiée avec les deux tomes de son autobiographie : Bilan d'étape. Une jeunesse à Berlin (1992), qui compte non moins de douze éditions successives, et Quarante années. Rapport sur une vie (1996). Traduit aux Pays-Bas peu après sa publication en Allemagne, Une Jeunesse à Berlin (Bilan d'étape) est paru en France aux éditions Rue d'Ulm (collection Versions françaises)[8].
Œuvres
Über die Arbeit in Freihandbibliotheken (1957), publication professionnelle
Hochzeit in Weltzow (1960), nouvelle
Wiedersehen an der Spree (1960), nouvelle
Einführung in die Systematik für allgemeinbildende Bibliotheken (1961), publication professionnelle
Der Hohlweg (1963), premier roman (Le Chemin creux)
Ein schwarzer, abgrundtiefer See (1963), recueil de nouvelles
Maskeraden (1966)
Buridans Esel (1968)
Roman publié en français sous le titre L’Âne de Buridan, traduit par Henri-Alexis Baatsch, Paris, Éditions du Papyrus, 1982, 335 p. (ISBN2-86541-020-X)
Preisverleihung (1972)
Der Holzweg, dans l'anthologie Eröffnungen. Schriftsteller über ihr Erstlingswerk (1974)
"Chemin qui ne mène nulle part", texte où l'auteur prend ses distances avec son roman de 1963
Tristan und Isolde (1975)
Geschlechtertausch dans l'anthologie „Blitz aus heiterem Himmel“ (1975)
(traduit en anglais en 2009 par David Burnett, sous le titre New Glory, Northwestern University Press) (ISBN0810125528)
Lesefreuden (1986)
Frauendienst (1986)
Brandenburg (1991), écrit en collaboration avec Hauke Dressler
Im Spreeland (1991), écrit en collaboration avec Erhard Pansegrau
Jubelschreie, Trauergesänge (1991)
Zwischenbilanz, eine Jugend in Berlin (1992) (traduit en néerlandais sous le titre Verschoven stad [Une ville décalée], Een jeugd in Berlijn, traduit par Wil Hansen, Amsterdam, Arbeiderspers, collection privé-domein, 1993, 365 p.) (ISBN90 295 0772 1)
Mein Brandenburg (1993), écrit en collaboration avec Barbara Klemm
Das erzählte Ich (1995) (Dans ce petit volume qui rassemble les textes de conférences qu’il a tenues à l’université de Vienne en décembre 1993, Günter de Bruyn livre ses réflexions sur l’écriture autobiographique.)
Was ich noch schreiben will (1995), écrit en collaboration avec Ingo Hermann
Irritation und Verstehen (1995)
Vierzig Jahre: Ein Lebensbericht (1996)
Altersbetrachtungen über den alten Fontane (1999)
Die Finckensteins. Eine Familie im Dienste Preussens (1999)
Deutsche Zustände (1999)
Preußens Luise. Vom Entstehen und Vergehen einer Legende (2001)
Unzeitgemäßes (2001)
Unter den Linden, Geschichten um eine Straße (2002)
Abseits. Liebeserklärung an eine Landschaft (2006)
Als Poesie gut. Schicksale aus Berlins Kunstepoche 1786 bis 1807 (2006)
Die Zeit der schweren Not: Schicksale aus dem Kulturleben Berlins 1807 bis 1815 (2010)
Gräfin Elisa. Eine Lebens- und Liebesgeschichte (2012)
Kossenblatt. Das vergessene Königsschloss (2014)
Die Somnambule oder Des Staatskanzlers Tod (2015)
Sünder und Heiliger. Das ungewöhnliche Leben des Dichters Zacharias Werner (2016)
↑(de) Günter de Bruyn, Zwischenbilanz, Berlin, Fischer, , 378 p., p. 140.
↑Marc Thuret, « Pacifistes indépendants en RDA », dans Henri Ménudier, La RDA 1949-1990. Du stalinisme à la liberté, Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, , 340 p. (ISBN978-2-87854-935-5, lire en ligne), p. 145-157
↑« Portrait Quand la guerre éclata », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
↑« « Le nationalisme allemand n'est, selon moi, qu'un phénomène superficiel » », Le Monde.fr, (lire en ligne, consulté le )
↑Andrew Plowman et Dennis Tate, « Shifting Perspectives: East German Autobiographical Narratives before and after the End of the GDR », The Modern Language Review, vol. 104, no 1, , p. 271 (ISSN0026-7937, DOI10.2307/20468228, lire en ligne, consulté le ) :
« Since the collapse of the GDR, Günter de Bruyn’s literary standing has grown in a way that sets him apart from the other East German authors of his generation. ('De Bruyn as the Exception: A Postunification Success Story', p. 159) »
↑(en) David Clarke et Axel Goodbody (dir.), The Self in Transition: East German Autobiographical Writing before and after Unification, Essays in Honor of Dennis Tate., Amsterdam, Rodopi, , p. 185.