Décomposition de Wold

La décomposition de Wold ou décomposition de Wold-von Neumann est un résultat d'analyse fonctionnelle décrivant les isométries d'un espace de Hilbert.

Énoncé

Définition — Soient H un espace de Hilbert et T:H → H une isométrie. On dit que T est un opérateur de décalage si, pour tout élément x de H, ${\displaystyle T^{*n}x\to 0}$ quand ${\displaystyle n\to +\infty }$.

Théorème — Soient H un espace de Hilbert et T:H → H une isométrie. Il existe F et G deux sous-espaces de H, en somme directe et stables par T, tels que ${\displaystyle T|_{F}}$ est un opérateur de décalage et ${\displaystyle T|_{G}}$ est un opérateur unitaire.

Démonstration

Posons ${\displaystyle G=\cap _{k\in \mathbb {N} }T^{k}H}$. Il s'agit d'un sous-espace fermé de ${\displaystyle H}$ stable par ${\displaystyle T}$. Notons ${\displaystyle P_{G}}$ la projection orthogonale sur ${\displaystyle G}$.

Lemme — Pour tout ${\displaystyle x\in H}$, ${\displaystyle T^{n}T^{*n}\to P_{G}x}$ lorsque ${\displaystyle n\to +\infty }$.

Démonstration du lemme

Pour tout ${\displaystyle n}$, comme ${\displaystyle T^{n}}$ est une isométrie, ${\displaystyle T^{n}T^{*n}}$ est la projection orthogonale sur ${\displaystyle T^{n}H}$.

Soit ${\displaystyle x\in H}$ quelconque. Pour tout ${\displaystyle n}$, écrivons ${\displaystyle x}$ sous la forme ${\displaystyle x=x_{n}+y_{n}}$, avec ${\displaystyle x_{n}=T^{n}T^{*n}x}$ la projection orthogonale de ${\displaystyle x}$ sur ${\displaystyle T^{n}H}$. Pour tous ${\displaystyle m,n}$ avec ${\displaystyle m>n}$, comme ${\displaystyle T^{m}H\subset T^{n}H}$, ${\displaystyle x_{m}}$ est la projection orthogonale de ${\displaystyle x_{n}}$ sur ${\displaystyle T^{m}H}$ et, d'après la formule de Pythagore, ${\displaystyle ||x_{n}||^{2}-||x_{m}||^{2}=||x_{n}-x_{m}||^{2}}$. Cette relation entraîne que ${\displaystyle (||x_{n}||)_{n\in \mathbb {N} }}$ est une suite décroissante, donc convergente puisque positive. Elle permet de plus de montrer que ${\displaystyle (x_{n})_{n\in \mathbb {N} }}$ est une suite de Cauchy. Comme ${\displaystyle H}$ est complet, ${\displaystyle (x_{n})_{n\in \mathbb {N} }}$ converge vers un certain ${\displaystyle X\in H}$.

Pour conclure, il suffit de montrer que ${\displaystyle X}$ est la projection orthogonale de ${\displaystyle x}$ sur ${\displaystyle G}$. On remarque d'abord que ${\displaystyle X\in G}$. En effet, pour tout ${\displaystyle k\in \mathbb {N} }$, la suite ${\displaystyle (x_{n})_{n\in \mathbb {N} }}$ est dans ${\displaystyle T^{k}H}$ à partir au moins du rang ${\displaystyle k}$, donc sa limite ${\displaystyle X}$ appartient également à ${\displaystyle T^{k}H}$.

En outre, si ${\displaystyle X'}$ est un élément quelconque de ${\displaystyle G}$, ${\displaystyle \langle x-X,X'\rangle =\lim _{n\to +\infty }\langle x-x_{n},X'\rangle =\lim _{n\to +\infty }\langle y_{n},X'\rangle =0}$. En effet, pour tout ${\displaystyle n}$, ${\displaystyle y_{n}}$ est orthogonal à ${\displaystyle T^{n}H}$ donc également à ${\displaystyle G}$, qui est un sous-espace de ${\displaystyle T^{n}H}$.

Notons, pour tout ${\displaystyle j\in \mathbb {N} }$, ${\displaystyle F_{j}}$ le supplémentaire orthogonal de ${\displaystyle T^{j+1}H}$ dans ${\displaystyle T^{j}H}$. Les ${\displaystyle F_{j}}$ sont des sous-espaces fermés de ${\displaystyle H}$, orthogonaux deux à deux.

Puisque, pour tout ${\displaystyle j}$, ${\displaystyle T^{j}T^{*j}}$ est la projection orthogonale sur ${\displaystyle T^{j}H}$, la projection orthogonale sur ${\displaystyle F_{j}}$, qu'on note ${\displaystyle P_{F_{j}}}$, est égale à ${\displaystyle T^{j}T^{*j}-T^{j+1}T^{*j+1}}$. Ainsi, pour tout ${\displaystyle x\in H}$, lorsque ${\displaystyle n\to +\infty }$, ${\displaystyle \left(\sum _{j=0}^{n}P_{F_{j}}\right)x=\left(Id_{H}-T^{n+1}T^{*n+1}\right)x\to (Id_{H}-P_{G})x}$. Cette relation implique que, si on définit ${\displaystyle F={\overline {F_{0}\oplus F_{1}\oplus \dots }}}$, on a ${\displaystyle F\oplus G=H}$ ; en outre, ${\displaystyle F}$ et ${\displaystyle G}$ sont orthogonaux.

L'espace ${\displaystyle F_{0}\oplus F_{1}\oplus \dots }$ est stable par ${\displaystyle T}$, car ${\displaystyle TF_{j}\subset F_{j+1}}$, donc son adhérence ${\displaystyle F}$ aussi.

Montrons que ${\displaystyle T|_{F}}$ est un décalage. Pour tout ${\displaystyle x\in F}$, lorsque ${\displaystyle n\to +\infty }$, ${\displaystyle ||T^{*n}x||^{2}=\langle x,T^{n}T^{*n}x\rangle \to \langle x,P_{G}x\rangle =0}$.

Montrons que ${\displaystyle T|_{G}}$ est un opérateur unitaire. Le lemme précédemment démontrer permet de montrer que ${\displaystyle TP_{G}T^{*}=P_{G}}$. Le sous-espace ${\displaystyle G}$ est stable par ${\displaystyle T^{*}}$, puisque son orthogonal ${\displaystyle F}$ est stable par ${\displaystyle T}$. Comme ${\displaystyle P_{G}}$ est égal à l'identité sur ${\displaystyle G}$, on obtient ${\displaystyle T|_{G}T|_{G}^{*}=Id_{G}}$.

Version pour un nombre infini d'isométries

Définition — Soit ${\displaystyle (H_{n})_{n\in \mathbb {Z} }}$ une suite d'espaces de Hilbert. Soit, pour tout ${\displaystyle n}$, ${\displaystyle v_{n}:H_{n+1}\to H_{n}}$ une isométrie. On dit que ${\displaystyle (v_{n})_{n\in \mathbb {Z} }}$ est une famille marquante s'il existe une suite ${\displaystyle (L_{n})_{n\in \mathbb {Z} }}$ d'espaces de Hilbert disjoints et des opérateurs unitaires ${\displaystyle \Phi _{n}:H_{n}\to \oplus _{k=n}^{+\infty }L_{n}}$ vérifiant, pour tout ${\displaystyle n}$, la relation

${\displaystyle \Phi _{n}v_{n}\Phi _{n+1}^{-1}:(x_{n+1},x_{n+2},\dots )\in \oplus _{k=n+1}^{+\infty }L_{n}\to (0,x_{n+1},x_{n+2},\dots )\in \oplus _{k=n}^{+\infty }L_{n}}$.

Théorème — Soit ${\displaystyle (H_{n})_{n\in \mathbb {Z} }}$ une suite d'espaces de Hilbert. Soit, pour tout ${\displaystyle n}$, ${\displaystyle v_{n}:H_{n+1}\to H_{n}}$ une isométrie. Il existe, pour tout ${\displaystyle n}$, des sous-espaces de ${\displaystyle H_{n}}$ en somme directe, qu'on note ${\displaystyle F_{n}}$ et ${\displaystyle G_{n}}$, tels que

• ${\displaystyle \forall n\in \mathbb {Z} ,v_{n}F_{n+1}\subset F_{n}}$ ;
• ${\displaystyle \forall n\in \mathbb {Z} ,v_{n}G_{n+1}\subset G_{n}}$ ;
• la famille ${\displaystyle (v_{n}|_{F_{n+1}\to F_{n}})_{n\in \mathbb {Z} }}$ est marquante ;
• ${\displaystyle \forall n\in \mathbb {Z} ,v_{n}:G_{n+1}\to G_{n}}$ est un opérateur unitaire.

Analyse des processus stationnaires

En statistiques, une version du théorème de Wold permet de décomposer tout processus faiblement stationnaire en la somme d'une partie « déterministe » et d'une partie « stochastique ».

Théorème — Soit ${\displaystyle (X_{t})_{t\in \mathbb {Z} }}$ un processus stationnaire au sens faible. Il existe une suite de nombres réels ${\displaystyle (\alpha _{j})_{j\in \mathbb {N} }}$, des processus faiblement stationnaires ${\displaystyle U}$ et ${\displaystyle W}$ tels que

${\displaystyle \forall t\in \mathbb {Z} ,X_{t}=\sum _{j\in \mathbb {Z} }\alpha _{j}U_{t-j}+W_{t}}$,

et les propriétés suivantes sont vérifiées :

• ${\displaystyle \alpha _{0}=1,\sum _{j=0}^{+\infty }\alpha _{j}^{2}<+\infty }$ ;
• ${\displaystyle \forall j,\mathbb {E} (U_{j})=0}$ ;
• ${\displaystyle \forall j,j',\mathbb {E} (U_{j}U_{j'})=0}$ si ${\displaystyle j\neq j'}$ ;
• ${\displaystyle \forall j,j',\mathbb {E} (U_{j}W_{j'})=0}$ ;
• le processus ${\displaystyle W}$ est déterministe, c'est-à-dire qu'il existe des réels ${\displaystyle (\beta _{j}^{N})_{0<j\leq N\in \mathbb {N} }}$ tels que, pour tout ${\displaystyle t}$, ${\displaystyle \mathbb {E} \left(W_{t}-(\beta _{1}^{N}W_{t-1}+\dots +\beta _{N}^{N}W_{t-N})\right)^{2}\to 0}$ quand ${\displaystyle N\to +\infty }$.

Références

• (en) Marvin Rosenblum et James Rovnyak, Hardy Classes and Operator Theory, Oxford University Press, 1985, 161 p. (ISBN 0-19-503591-7, lire en ligne)
• (en) Tiberiu Constantinescu, Schur parameters, factorization and dilation problems, vol. 82, Basel/Boston/Berlin, Birkhäuser, coll. « Operator theory, Advances and applications », 1996, 253 p. (ISBN 3-7643-5285-X, lire en ligne)
• (en) Herman J. Bierens, Introduction to the mathematical and statistical foundations of econometrics, Cambridge University Press, coll. « Themes in modern econometrics », 2004, 323 p. (ISBN 978-0-521-54224-1, lire en ligne)

Voir aussi

• Théorème de représentation de Granger
• Opérateur de décalage