La chasse fantastique, chasse aérienne, chasse sauvage dans la désignation générique, est un mythe populaire européen impliquant un groupe fantomatique ou surnaturel de chasseurs qui mènent une poursuite sauvage. Les chasseurs peuvent être des elfes, des fées ou des morts, et le chef de la chasse est souvent une figure associée au dieu germanique Wotan.
La légende est présente dans un grand nombre de pays, le Centre et le Nord de l'Europe, et dans la plupart des régions de France, l'Ouest et le Sud-Ouest, le Centre et l'Est. Elle est attachée à de nombreux phénomènes naturels tel le fracas d'une tempête nocturne, d'un grand vent, parfois d'un vol d'oiseaux migrateurs, assimilés au passage de cavaliers en chasse et de meutes de chiens emportés dans les airs à la suite d'une malédiction. Ces légendes, issues d’un fonds commun, portent des noms très variés. De nature syncrétique, ces récits ont été soumis à des réorganisations et des intégrations successives par les dogmes religieux dominants.
Origine
Le thème de l’armée des défunts, menés par leur dieu Odin (Wotan), passant avec fracas dans le ciel nocturne autour du solstice d’hiver, est anciennement connu dans l’ensemble de l’aire germanique[1]. Le germaniste et médiéviste Otto Höfler a rapproché la légende et ses variations folkloriques plus tardives des cultes antiques liés aux compagnonnages guerriers indo-européens, ainsi que des cultes des morts[2].
Cette analyse est reprise par l'historienne des religions Kris Kershaw, qui étend son étude à d'autres compagnonnages guerriers du monde indo-européen, tels que les Maruts en Inde[3]. Ces cultes importants dans la vie religieuse pré-chrétienne ont trouvé par la suite une continuité dans les légendes de chasse fantastique et les manifestations de Mardi Gras et du Carnaval.
Manifestations
Dames de la Nuit
Certaines chasses fantastiques sont essentiellement composées de femmes et conduites par des domina - figures féminines tantôt bonnes, tantôt mauvaises. Ces chasses fantastiques féminines reposaient sur la croyance aux alter egos et à la faculté magique de se dédoubler pour commettre des méfaits. A la manière des Benandanti au XVIe siècle, ces femmes semblables à des sorcières s'affrontent dans un combat nocturne surnaturel dont l'issue détermine la fertilité des récoltes. Ces troupes peuvent être guidées par Holda, Diana, Hérodiade, Satia ou Dame Abonde, Percht ou Perchta en Allemagne. Leurs chasses nocturnes se caractérisent par des festins et la consommation de nourriture et de boissons dans les demeures qu'elles envahissent la nuit. D'après Claude Lecouteux, ces récites mythiques ont une fonction calendaire et divinatoire : dans l'Occident médiéval, tables et festins sont ainsi dressés pour attirer les faveurs des Dames de la Nuit dont dépendra la fertilité des sols, des troupeaux et des hommes[4].
Chasse volante
Dans la majorité des cas, un personnage enfreint une loi sacrée : grand chasseur, il assiste à la messe, lorsqu'il entend un signal, ses valets ont levé un gibier. Le personnage n'écoutant que son instinct de chasseur quitte la messe, suivi de tout son entourage, pour sauter sur son cheval et partir à la chasse. La punition du sacrilège ne se fait pas attendre : le personnage, ses compagnons, leurs valets, chevaux et chiens, sont emportés par une puissante tempête qui ne prend jamais fin, souvent à la poursuite d'un gibier qu'ils n'atteignent jamais, dans un supplice semblable à celui de Tantale. C'est cette chasse hurlante que l'on entend passer, la nuit, quand se déchaîne la tempête. Chaque version développe ensuite des détails différents.
On évoque parfois le sort des personnes qui se trouvent présentes lors du passage de la chasse, et des moyens d'échapper à une mort certaine : en faisant des moulinets au-dessus de sa tête avec un bâton ou avec son bras, en traçant un cercle sur le sol, en présentant une croix, etc. Les imprudents qui réclament une part du gibier (Part à la chasse !) voient tomber des cadavres humains, entiers ou en morceaux.
Chasse terrestre
Il existe un autre thème de chasse maudite. Celle-ci n'est pas « volante », mais se fait dans les bois et les forêts, toujours à grand bruit, et sans qu'on la voie. Il n'est jamais souhaitable de se trouver sur le passage de cette chasse. Elle est en général le fait d'un pacte passé avec le Diable, qui condamne l'imprudent à parcourir la forêt en chassant, à certaines heures et dates fixées. Ce sont souvent des prêtres ou des moines qui sont tombés dans ce piège : ainsi, un moine de l'abbaye de Laval Dieu, qui aimait la chasse, voit une bête et s'écrie : « Le Diable m'emporte si ce n'est pas un loup ! » Or, c'était un renard. Le Diable surgit et menace d'emporter le moine, puis lui offre de ne prendre son âme qu'au jour de sa mort, mais en contrepartie il devra faire treize fois le tour des bois en criant « Taïaut ! », comme s'il chassait. C'est donc ce qu'il fait. Dans le pays, on l'entend, mais on ne le voit jamais. On lui a donné le nom d'Ouyeu : « le Crieur[5] ». En Espagne, la Santa Compaña est une procession de morts.
Autres légendes
En Bretagne, il existe des légendes qui cependant n'ont pas trait à la chasse, comme celle du passage de l'Ankou sur sa charrette, ou celle, près de la baie des Trépassés, des chiens des équinoxes (chas an Geidell)[6], qui de l'enfer tentent vainement d'atteindre le ciel.
Les chasses constituées uniquement de chiens sont fréquentes (la chasse à Briquet, Poitou) : en ce cas, il faut attacher le chien de la maison, sinon il rejoindrait ses congénères.
En dehors d'une chasse proprement dite (poursuite d'un gibier), on a alors un cortège de damnés errants ou conduits en enfer, ou des enfants morts sans baptême à qui le Paradis a été refusé, et qui errent sans fin en gémissant.
Noms des chasses fantastiques
Selon les pays et les régions, le nom de la légende varie. La plupart des noms commençant par le mot chasse suivi d'un nom de personnage (la Chasse Hennequin), d'un roi (la Chasse du roi Salomon, la Chasse du roi Artus), plus rarement d'un saint (la Chasse Saint-Hubert, Saint-Eustache), d'un qualificatif (la Chasse sauvage, la Chasse galopine, la Chasse volante) ; mais on trouve aussi Menée(la Menée Hellequin) ou Mesnie, voire Mesnieye, termes de l'ancien français désignant la « maisonnée ».
Dans le Berry, on trouve la chasse à Bôdet, ou le mulet-odet, ce qui ramène à l'âne et à la chasse à baudet :
« Une des scènes de la nuit dont la croyance est la plus répandue, c'est la chasse fantastique : elle a autant de noms qu'il y a de cantons dans l'univers. Chez nous, elle s'appelle la chasse à baudet, et affecte les bruits aigres et grotesques d'une incommensurable troupe d'ânes qui braient. »
La Chasse-galerie et ses variantes (chasse Galery, chasse Galère, etc.), possiblement nommée d'après un seigneur nommé Gallery, de la Vendée et du Poitou, s'est répandue au Canada, où les chevaux ont été remplacés par un canoë volant déjà présent dans les mythes autochtones. Les personnages bibliques abondent : Caïn, David, Hérode, Holopherne, Salomon.
Le roi Arthur(Artur, Artus) occupe aussi une place de choix. Les chasses sont rarement, du moins en France, conduites par une femme, qui est alors généralement anonyme (Dame blanche)[réf. nécessaire].
La Mesnie Hellequin
Jean-Claude Schmitt consacre un chapitre de son ouvrage Les Revenants (voir Bibliographie) au thème de la Mesnie Hellequin. Il indique que ce terme commence à apparaître au XIIe siècle dans les textes, et que la plus ancienne mention connue est due au moine anglo-normand Orderic Vital (1075-1142 ; livre VIII de son Histoire ecclésiastique, écrit entre 1133 et 1135). Celui-ci rapporte le récit d'un jeune prêtre, Walchelin, qui aurait rencontré une foule terrifiante dans la nuit du 1er janvier 1091 dans la région de Courcy. Walchelin lui a décrit d'abord une troupe de piétons torturés par des démons, suivie d'une armée de religieux, dont des évêques et des abbés, et enfin d'une armée de chevaliers : il a reconnu plusieurs personnes décédées dans chacun de ces trois groupes. Il a identifié ce défilé à la Mesnie Hellequin (familia Herlechini) dont il avait déjà entendu parler. Il aurait été lui-même pris à la gorge par un revenant (un chevalier mort) et en conservait une marque de brûlure.
Selon d'autres théories, Hellequin, Hennequin et leurs variantes désignent un diable médiéval français, probablement issu du folklore germanique Herla(en) (Herla King en anglais ou Erlkönig en allemand).
France
Alsace
Chasse volante, Haute Chasse,
Huperi
Hüstscher
Hubi
Der Nachtsgœger (le chasseur de la nuit)
Wilde Jäger
Anjou
Chasse Helquin
Berry
Chasse à Bôdet, menée par le diable qui emporte les damnés en enfer.
Chasse Galerie, chasse Galery. Elle annonçait de grands événements. En Poitou, le seigneur Gallery était cruel et impie. Voulant poursuivre un cerf réfugié dans la grotte d'un ermite, celui-ci le maudit et condamna Gallery à une chasse éternelle.
Chasse galopine
Chasse à Caillau
Chasse-Briquette, Chasse à Briquet (Vienne), constituées de chiens[10]
Vosges
Mesnieye Hennequin : troupe de musiciens invisibles.
Wotan, Grodens, Wodens heer [11]. Les frères Grimm l'appellent Wütendes Heer, « l'armée furieuse », qu'ils relient à Wotans Heer, « l'armée de Wotan ».
Perchta, déesse germanique, équivalente à la divinité nordique Freya.
Berchtold, personnage masculin indéterminé, probablement dérivé de Perchta.
Holda
Dietrich de Berne
Espagne
Galice
Santa Compaña, ou estadea, estantiga, rolda, as da noite, pantalia, avisóns, pantaruxada... Procession de morts, ou d'âmes, conduite par un vivant portant une croix ou un chaudron rempli d'eau bénite. Il ne peut échapper à cette obligation que s'il rencontre un autre vivant qui prendra sa place. Pour éviter ce risque, il faut soit s'enfermer dans un cercle tracé sur le sol, soit se coucher face contre terre, ou d'autres gestes conjuratoires. Ce n'est pas une « chasse volante ».
Cascia Morta (chasse morte) ou Caccia del diavolo (chasse du diable).
Piémont
Corteo dla Berta ou Càsa d'i canètt.
Trentin
Cazza selvadega (chasse sauvage).
Royaume-Uni
King Arthur
Sir Francis Drake (Dartmoor)
Wild Edric, nom d'un rebelle saxon
Yeth (Heath), Wisht hounds (Devon) : chiens de l'enfer chassant les pécheurs.
Dando and his dogs, The Devil and his Dandy Dogs (Kernow, Cornouaille)
Cwn Annwn, The Hounds of Hell (les chiens de l'enfer), Pays de Galles.
Gabriel Ratchets, Retchets (Somerset) : chiens.
Arawn, ou Gwyn ap Nudd (dieu gallois du monde souterrain), Pays de Galles.
Fionn mac Cumhaill et Fianna (Irlande)
Manannan (Irlande)
Herodias (Hérodiade), Guernesey. Chevauche accompagnée de sorcières. À noter qu'une tradition de chevauchée nocturne d'Hérodiade existe aussi dans les Pyrénées[12] françaises.
Pays-Bas
Wodan (Wotan)
Gait met de hunties / hondjes (Gait avec ses chiens)
Derk met de hunties / hondjes (Derk avec ses chiens), Derk met de beer (Derk avec l'ours)
Henske met de hondjes / Hänske mit de Hond (Henske avec son chien)
Het glujende Peerd (le cheval lumineux)
Ronnekemere
Berend van Galen
Pays basque
Mateo-Txistu. Au Pays basque, le meneur de la chasse est souvent un curé qui a abandonné sa messe pour aller à la chasse. De nombreux noms sont attribués à la chasse maudite.
Errege Xalomon (Chasse du roi Salomon). Parfois, il s'agit de l'abbé Salomon.
Norvège
Chasse d'Odin
Oskoreia
Åsgårdsreia
Jolereia
Danemark
Odin
King Vold
Valdemar Atterdag
Suède
Odens jakt (Chasse d'Odin)
Vilda jakten (Chasse sauvage)
Bibliographie
Gaston Raynaud, La Mesnie Hellequin, dans les Études romanes dédiées à Gaston Paris, le , Paris : Émile Bouillon, 1891, pp.51-68 [1].
Paul Sébillot, Le Folklore de France : Le ciel, la nuit et les esprits de l'air, Paris, Imago, 1982 (réédition).
Arnold Van Gennep, Manuel de folklore français contemporain, Paris, Maisonneuve et Larose.
Claude Seignolle, Les Évangiles du Diable selon la croyance populaire, Paris, Maisonneuve, 1994 (1e édition 1964).
Amélie BosquetLa Normandie romanesque et merveilleuse ; traditions, légendes et superstitions populaires de cette province, Paris, Techener, Rouen, Le Brument, 1845, chapitre IV Les chasses fantastiques p.60
Le mythe de la Chasse sauvage dans l'Europe médiévale, Études réunies et présentées par Philippe Walter, avec la collaboration de Claude Perrus, François Delpech, Claude Lecouteux, Paris, Honoré Champion Éditeur, collection « Essais sur le Moyen Âge », 1997, 178 pages. (ISBN2-85203-650-9)
Michel Meurger, « Autel païen et chasse sauvage : l'expérience du surnaturel chez Friedrich de la Motte Fouqué », Le Visage vert, Paris, Joëlle Losfeld, no 7, , p. 37-60 (présentation en ligne sur le site NooSFere).
Marylène Possamaï-Pérez, « La figure du roi dans le De Nugis Curialium de Gautier Map », dans « Et c'est la fin pour quoy sommes ensemble » : hommage à Jean Dufournet, t. 3, Paris, Honoré Champion, (ISBN2-85203-272-4), p. 1155-1170.
Arlette Bouloumié, « Les échos d’une légende : la chasse fantôme dans « La Légende du beau Pécopin et de la belle Bauldour », dans Le Rhin de Victor Hugo et « La Mesnie Hellequin » dans Des cours d’eau peu considérables de Jean Loup Trassard », dans Chiwaki Shinoda (dir.), Iris, Outre Monde Europe et Japon : actes du colloque de l'Université de Nagoya, 1998, n° 18, 1999, p. 177-188.
Ronsard dans le poème « Les Démons » dans Les Hymnes, 1555, raconte sa rencontre avec le meneur d'une chasse fantastique.
La tapisserie de Fionavar de Guy Gavriel Kay. La chasse sauvage apparaît dans le tome 2 de la trilogie: "Le feu vagabond". Cavaliers du chaos parcourant le ciel, menés par l'enfant destiné à suivre "la route la plus longue".
L'Armée furieuse, un roman policier de Fred Vargas (2011), utilise le thème de la « Mesnie Hellequin », ici une « chasse terrestre ».
La Chasse Sauvage du colonel Rels, Armand Cabasson, Éditions ActuSF, 2013
Dans la série de bande dessinée Hellboy, deux versions de la légende de la chasse sauvage sont présentes : le héros participe à une chasse au géant menée par un groupe de nobles anglais formant The Wild Hunt d'après « Herne, dieu de la chasse » [13] ; en Norvège, Hellboy rencontre le Roi Vold « le chasseur volant et ses chiens » [14].
Dans le manga français Radiant (bande dessinée) de Tony Valente, la Mesnie est un groupe de sorciers cannibales dont l'origine très ancienne prédaterait l'apparition des monstres Némésis.
Dans la saga littéraire Le Sorceleur d'Andrzej Sapkowski, ainsi que dans la série de jeux vidéo The Witcher, développée et éditée par CD Projekt, qui s'en inspire librement, la chasse sauvage est utilisée comme élément narratif autour du protagoniste Geralt de Riv. Dans le troisième opus, il s'agit même de l'antagoniste principal du héros.
Dans la saison 6A de la série Teen Wolf la chasse est "l'ennemie" principal.
Dans le dessin-animé Ultimate Spider-Man, la chasse sauvage est une chasse asgardienne où les meilleurs chasseurs d’Asgard, montant des loups volants cracheurs de feu, traquent une proie rare à servir au banquet d'Odin ; Loki utilise cet événement pour tenter de détruire Spider-Man, qu'il avait transformé en cochon.
Dans le manga Little Witch Academia, la "Wild Hunt" est un événement où des hommes montant des loups volants chassent les fantômes.
La chasse sauvage apparaît dans la série télévisée Grimm à l'épisode 12 de la saison 3[15].
Le tableau Åsgårdsreien de Peter Nicolai Arbo est utilisé sur le quatrième album du groupe de black métal suédois BathoryBlood Fire Death, et une « ekphrasis sonore » se trouve en première piste de ce même album sur Odens Ride Over Nordland.
Les pochette de l'EP Emperor, et des albums In the Nightside Eclipse et Anthems To The Welkin At Dusk du groupe de black metal Emperor, représentent chacune des cavaliers volant dans les airs, notons que dans les deux premiers cités il s'agit d'une référence à la gravure La Mort de Gustave Doré, Odin a été remplacé par la Mort et ses autres cavaliers par des démons.
Les paroles du morceaux The Wild Hunt sur l'album éponyme du groupe de black metal Watain font directement référence à la Chasse Fantastique.
↑Régis Boyer, Héros et Dieux du Nord : Guide iconographique, Flammarion, coll. « Tout l’Art », , 192 p. (ISBN2-08-012274-6), « Chasse sauvage ou horde sauvage », p. 32.
↑Otto Höfler, Der germanische Totenkult und die Sage vom wilden Heer, 1936
↑Kris Kershaw, The One-eyed God : Odin and the (Indo-)Germanic Männerbünde, JIES Monograph no 36, Washington D.C., 2000.