Bibliothèques et communautés LGBTQL’utilisation des bibliothèques par les communautés LGBTQ+ soulève des enjeux d'inclusion au niveau des collections, programmes et autres services. Depuis l'émergence du mouvement LGBTQ+ avec les émeutes de Stonewall en 1969, des groupes de travail, des militants et des professionnels se penchent sur ces enjeux. Les bibliothèques sont bien placées pour répondre aux besoins d’information des personnes LGBTQ+, notamment en matière de santé, de coming out, d’orientation sexuelle ou d’identité de genre[1], ou encore pour répondre à leur besoin de se voir représentées dans la culture[2]. Les bibliothèques ont aussi le potentiel d’être des espaces sécuritaires et accueillants pour les jeunes LGBTQ+ qui vivent de la discrimination à la maison ou à l’école[3]. HistoireAux États-UnisEn 1970, des bibliothécaires américains fondent la Task Force on Gay Liberation, aujourd’hui la Rainbow Round Table, au sein de la Social Responsibilities Round Table de l’American Library Association[4]. À l’époque, les bibliothécaires LGBTQ+ font face à une discrimination à l’emploi et à l’admission dans les programmes de formation. La Task Force combat cette discrimination, travaille à réviser les méthodes de classification qui traitent de l’homosexualité comme une déviance et milite pour que les collections des bibliothèques représentent les communautés LGBTQ+[4]. Au Royaume-UniEn 1973 à Londres, le bibliothécaire Bob Elbert fonde le Gay Librarians Group pour rassembler les gais et lesbiennes qui œuvrent dans la profession. Le groupe soutient la nouvelle ligne d’information téléphonique Gay Switchboard, travaille à rendre les bibliothèques plus accueillantes pour les personnes LGBTQ+ et dresse des listes de documents pertinents pour la communauté[5]. En 1984, des bibliothécaires lesbiennes fondent le groupe Lesbians in Libraries afin de faire pression sur les bibliothèques et leurs fournisseurs. Le groupe publie notamment « Out on the shelves: lesbian books into libraries » en 1989, une liste détaillant des centaines de livres, périodiques et organismes LGBTQ+[6]. En FranceLe groupe de travail Légothèque est fondé en 2012 au sein de l’Association des bibliothécaires de France[7]. Il vise à rendre les bibliothèques des lieux de construction de soi qui luttent contre les stéréotypes, notamment envers les minorités sexuelles[8]. À l’internationalRéunis à Singapour en 2013 pour le congrès de l’IFLA, un groupe de bibliothécaires lancent le groupe d’intérêt spécial (GIS) consacré aux publics LGBTQ. Il tient sa première conférence l’année suivante à Lyon, avec le titre « Faire face au silence : comment les bibliothèques peuvent servir les usagers LGBTQ »[9]. Le GIS sur les publics LGBTQ vise à soutenir les professionnels de l’information qui travaillent à améliorer les services aux usagers LGBTQ+ à travers le monde, reconnaissant que la grande majorité de la recherche en bibliothéconomie se fait dans le monde anglo-saxon, dans des pays occidentaux où les attitudes et lois sont généralement favorables envers les personnes LGBTQ+[10]. Un sondage récent mené par le GIS pour créer des lignes directrices internationales révèle que des bibliothèques dans certains pays hostiles aux personnes LGBTQ+ ont tout de même des collections LGBTQ+. En revanche, les bibliothèques hors de l’Occident ou dans des pays non anglophones sont moins susceptibles d’offrir des programmes et services aux communautés LGBTQ+, en raison d’un manque de ressources ou de lois ou attitudes répressives[11]. Besoins informationnelsDans les années 1980, des études qui examinaient les comportements de recherche d'informations des usagers gays et lesbiennes des bibliothèques ont commencé à émerger. Le livre de 1981, The Joy of Cataloguing, de Sanford Berman[12], a souligné les difficultés d'accès aux livres et aux informations sur les gays et les lesbiennes[13]. En 1988, le groupe de travail publie le « Thesaurus international des termes d'index des gays et des lesbiennes », visant à normaliser les termes utilisés pour le catalogage des documents de bibliothèque relatifs aux gays et aux lesbiennes, et à rendre les matières vedettes de la Bibliothèque du Congrès plus respectueuses pour les archives gays et lesbiennes[14]. Quatre ans plus tard, en 1992, Ellen Greenblatt et Cal Gough publient le premier recueil d'essais sur les besoins d'informations des lecteurs et lectrices gays et lesbiennes, intitulé Gay and Lesbian Library Service (Service des bibliothèques pour les gays et les lesbiennes)[15]. L'ouvrage a depuis été révisé sous le titre Serving LGBTIQ Library and Archives Users (Au service des utilisateurs LGBTIQ des bibliothèques et des archives) et reste influent[13]. DéfisVie privéeDans leur étude de 2006 à propos de la circulation des livres LGBTQ dans une bibliothèque universitaire, Stephanie Mathson et Jeffery Hancks ont constaté que les titres LGBTQ étaient 20% plus susceptibles de circuler via une machine de prêt en libre-service plutôt que par un bureau de prêt traditionnel tenu par une personne[16]. Cependant, la taille de leur échantillon étant petite, les résultats de l'étude ne sont pas forcément concluants. Besoin de formation des bibliothécairesFournir un service impartial à tous les lecteurs est l'un des principes centraux du Code d'Éthique de l'American Library Association[17]. Des articles datant de celui de Richard Ashby de 1987 « Services de bibliothèque aux personnes lesbiennes et gays » affirment que l'engagement à la neutralité devrait fournir la base d'un service de bibliothèque complet pour toute personne, indépendamment de son orientation sexuelle ou de son expression de genre[18]. Ashby soutient que les bibliothèques, particulièrement dans leur rôle de fournir de la lecture récréative, peuvent aider les personnes LGBTQ à surmonter un sentiment d'isolement au sein de la communauté dans son ensemble. Il insiste sur l'importance de la formation du personnel pour offrir à toutes les personnes LGBTQ un espace sûr au sein de la bibliothèque, qui inclut :
Faisant écho aux nombreuses affirmations d'Ashby dans son article de 2007 « Les services des bibliothèques publiques écossaises peuvent-ils prétendre qu'ils sont socialement inclusifs de tous les groupes minoritaires alors que la fiction lesbienne est encore si inaccessible ? », Jaqueline Goldthorp décrit certains obstacles auxquels les lesbiennes sont confrontées lorsqu'elles essaient de trouver de la fiction lesbienne dans les bibliothèques écossaises[19]. Elle relie son étude de la littérature lesbienne à l'importance de la lecture de fiction pour le bien-être psychologique des femmes, affirmant que les femmes se tournent souvent vers ce type de lecture pour s'affirmer et construire leur identité. De plus, les titres de fiction lesbienne peuvent être vendus jusqu’à 30% plus cher que les titres non lesbiens, ce qui signifie que pour de nombreuses lesbiennes à faible revenu ou issues de la classe ouvrière, les bibliothèques sont le seul moyen d'accès à ces livres. Goldthorp, qui a mené une enquête dans 26 bibliothèques écossaises a constaté qu'en 2007, la majorité d'entre elles possédaient moins de dix livres étiquetés comme « fiction lesbienne » et presque aucun titre récent primé. Elle préconise une formation pour le personnel des bibliothèques sur la diversité ainsi qu'une éducation sur les méthodes et les ressources pour offrir des services aux lesbiennes afin de promouvoir une plus grande inclusion. L'article de Mehra et Braquet en 2007, « Professionnels des bibliothèques et des sciences de l'information en tant que chercheurs en action communautaire dans un cadre universitaire », développe davantage le rôle central des bibliothécaires dans la promotion de l'acceptation des personnes LGBTQ en notant que la profession est "dans une position unique pour fournir un accès à la littérature et à l'information LGBT."[20] CollectionsDéveloppementDes études ont montré que le personnel des bibliothèques adopte souvent une posture passive par rapport à l’ajout de documents LGBTQ+ à leur collection, désirant rester neutre : sans exclure ces documents, on ne pose pas les gestes proactifs qui sont nécessaires pour améliorer les collections afin de mieux servir les publics LGBTQ+[21]. Or, les jeunes LGBTQ+ ont tendance à ne pas demander les documents qu’ils désirent et à ne pas savoir ce qui est à leur disposition, et indiquent que les bibliothèques devraient promouvoir activement leurs ressources LGBTQ+[21]. La promotion de la collection peut passer par des présentoirs et des événements, notamment pour le mois de la Fierté[22]. Une étude réalisée en 2019 a conclu que les bibliothèques publiques au Québec font bonne figure en matière de représentation LGBTQ+ dans leurs collections, quoique l’homosexualité masculine tend à être surreprésentée et l’homoparentalité, sous-représentée[23]. CensureCertains bibliothécaires exercent de l’autocensure, évitant d’acheter des documents controversés qui pourraient faire l’objet de plaintes de la part de parents ou de la communauté[24]. Depuis le début des années 2020, l’ALA observe d’ailleurs une montée fulgurante de plaintes et de tentatives de censure visant les livres représentant des communautés marginalisées, dont les communautés LGBTQ+[1]. Par exemple, plus de la moitié d’une liste récente des dix livres les plus contestés de l’ALA met en scène des personnes LGBTQ+, alors que ce genre de livres ne représente que 4% de la littérature jeunesse[25]. La programmation qui vise à rendre les bibliothèques plus représentatives des communautés LGBTQ+, comme l’heure du conte drag, fait aussi l’objet de protestations de la part de groupes organisés, notamment aux États-Unis[26], mais aussi ailleurs dans le monde. Par exemple, en 2022, une lecture de conte animée par une drag queen à la bibliothèque de Dorval, dans la région de Montréal, a mené à des menaces, des insultes et de l’intimidation envers le personnel de la bibliothèque[27]. ObstaclesDans un article publié en 2005, dans la revue Progressive Librarian, Jennifer Downey affirme que les livres primés, qui ont comme sujet des personnes LGBTQ ou écrit par elles, ne parviennent pas à faire partie des collections des bibliothèques[28]. Elle cite la censure interne comme une cause possible, ainsi que l'hypothèse selon laquelle les usagers des bibliothèques qui souhaitent des titres LGBTQ les demanderont plutôt à d'autres bibliothèques par le biais d'un prêt entre bibliothèques. Elle a aussi constaté que de nombreux bibliothécaires ne connaissaient pas les titres LGBTQ. Pour se familiariser davantage, elle recommande de lire les critiques de livres LGBTQ et de faire participer d'autres personnes à ce processus, y compris des membres de la communauté, suggestions qu'elle tire de l'article de 1999 de Loverich et Degnan Out of the Shelves[29]. Éditeurs indépendantsUn article de 2012 du magazine Publisher's Weekly cite une diversité de plus en plus grande des éditeurs indépendants qui publient des titres LGBTQ, mais un recul des genres traditionnels de romance et d'érotisme[30]. L'article traite également de la généralisation de la littérature LGBT en soulignant que même si les identités LGBTQ sont de plus en plus acceptées, les besoins d'histoires LGBTQ n'ont pas disparu et que ce sont les éditeurs indépendants qui restent les plus grands producteurs de cette littérature. Dans son article Rainbow Family Collections, Jamie Naidoo aborde également les défis auxquels sont confrontés les petits éditeurs spécialisés dans la littérature jeunesse LGBTQ et inclut des entretiens avec certaines maisons d'édition[31]. Conseils aux bibliothèques
Impact d'InternetLes personnes LGBTQ ont été parmi les premières à adopter Internet et sont encore représentées par un pourcentage élevé sur les médias sociaux[38]. De plus, 55% des personnes LGBTQ qui ont répondu à une enquête de 2009 ont déclaré lire des blogs, contre 38% des répondants hétérosexuels. Internet peut souvent avoir une influence sur les jeunes qui recherchent des informations sur la santé, le coming out, ou pour trouver une communauté, mais peut aussi exposer les adolescents à des risques de cyberintimidation ou de harcèlement[39]. Certaines bibliothèques et écoles, notamment le district scolaire de Camdenton, dans le Missouri, ont reçu l'ordre de supprimer les logiciels de filtrage Internet qui bloquaient l'accès aux sites Web LGBTQ-friendly vers lesquels les adolescents se tournent souvent pour obtenir de l'aide[40]. Études d'utilisateurs liées au service de bibliothèque LGBTQNorman (1999)L'étude de 1999 de Norman fournit une analyse quantitative des réponses de l'enquête sur 44 personnes qui s'identifient lesbiennes, gays ou bisexuelles, et qui fréquentent les bibliothèques publiques de Brighton et Hove (Royaume-Uni)[41]. Cette enquête visait à identifier cinq aspects des utilisateurs LGB des bibliothèques, comprenant : la démographie, l'effet de la centralisation d'une collection, savoir si les personnes LGB utilisent des bibliographies pour trouver des lectures et leurs raisons d'utilisation ainsi que leurs perceptions du service des bibliothèques. Les résultats de l'enquête ont été analysés à l'aide du logiciel SPSS. Les résultats ont montré que la fiction et d'autres contenus de divertissement étaient les documents les plus populaires de la bibliothèque et que plus de la moitié des personnes interrogées utilisaient des bibliographies pour trouver de nouvelles idées de lecture. Nombreux parmi eux ont cité le prix élevé des livres gays ou lesbiens comme l'une des raisons de la fréquentation importante des bibliothèques. Bien que certains aient estimé que la répartition entre les titres lesbiens et gays était déséquilibrée en faveur des titres lesbiens, la perception globale des services des bibliothèques d'Hove et de Brighton pour le public LGB était excellente ou bonne. Références
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