Barrage de castorsUn barrage de castors est un barrage naturel, construit en travers d'un petit cours d'eau par des castors. Il lui permet de conserver de l'eau en été et de protéger son gîte contre les prédateurs (coyotes, loups, ours, cougars, gloutons, lynx, loutres), et aussi de garantir un accès facile aux provisions de branches stockées sous l'eau comme réserve hivernale de nourriture. Ces structures, dont on peut trouver des traces fossiles[1],[2], modifient depuis des millions d'années l'environnement naturel et comptent parmi les processus clés des écosystèmes alluviaux et forestiers de l'hémisphère nord. Le castor augmente ainsi le nombre, la proportion et la taille des zones humides, des eaux libres et du linéaire de berge. Il crée des zones de sédimentation et de puits de carbone. Il augmente la proportion des zones humides et d'eau libre dans le paysage forestier et alluvial. Il complexifie la forme des petits cours d'eau, la composition et la répartition de la faune des cours d'eau et de la végétation alluviale ainsi que les cycles biogéochimiques des éléments nutritifs. Il améliore la recharge des nappes, la qualité de l'eau. Il limite la fréquence, la gravité et la durée des incendies de forêt et des crues et ses barrages filtrent les sédiments (qui pourraient en aval colmater les frayères). En été, grâce à l'eau mieux accumulée en hiver, les mares de castors soutiennent les étiages. Les barrages favorisent ainsi de nombreuses espèces (poissons dont salmonidés, amphibiens, mammifères, oiseaux d'eau, invertébrés et plantes aquatiques et palustres notamment), en enrichissant l'écosystème global. Ceci fait du castor une espèce facilitatrice et « clé de voûte »[3]. Les petits barrages sont étroits et souvent en grande partie faits de terre, alors que les grands barrages sont solidement construits avec une large base, des morceaux de bois plus solides et un sommet habituellement incliné vers l'amont pour résister à la force du courant. Les castors y travaillent surtout de nuit, portant boue et pierres et pouvant tracter de gros morceaux de bois en s'aidant de leurs dents. Ils cherchent à réparer leur barrage principal dès qu'il se dégrade, puis entretiennent les barrages secondaires quand ils existent. Le paysage, sa géologie et la quantité d'eau présente en été ou en hiver ont une grande influence sur le fait que le castor construira ou non un barrage : le castor ne fait pas de barrage là où la hauteur d'eau lui suffit (sur le cours moyen et aval de la Loire par exemple en France), et bien entendu pas là où il n'y a ni forêts ni zones buissonneuses denses sur les berges. Différences entre barrages de castors eurasiens et américainsLe castor d'Europe et le castor du Canada sont très proches pour la plupart de leurs comportements et de leurs effets environnementaux, mais ils n'ont pas tout à fait la même activité de constructeurs :
Barrages des castors du Canada introduits en EuropeC'est de même là où le castor du Canada a été introduit en Europe ; ainsi dans le nord-ouest de la Russie où les deux espèces cohabitent depuis plusieurs décennies, Danilov, spécialiste russe du castor, a évalué dans les années 1980 que 66,3 % des colonies de castors nord-américains avaient fait un ou plusieurs barrages, contre seulement 45,2 % pour les castors européens. Ces derniers semblent dans cette région préférer vivre dans des huttes (dans 75 % des cas) et dans des terriers sous berge (dans 25 % des cas). Danilov a aussi montré en 1995 que dans le nord-ouest de la Russie, plus on est au nord, moins le castor eurasien est constructeur : près de la moitié des castors édifient des huttes dans la zone méridionale du nord-ouest de la Russie (régions de Pskov et de Novgorod, 58°N), contre seulement 10 % au nord (réserve de Laponie)[6]. Localisation, forme et profondeur des barragesLe castor ne fait pas toujours de barrage. Par exemple, en 1999 en Lituanie où plus de 23 500 castors avaient recolonisé environ 5 900 sites lacustres ou de rivière[8] dans les plaines sableuses ou tourbeuses le castor a préféré s'installer sur des rives de lacs (60 % des individus recensés, dont 83 % vivent dans des huttes) alors que dans les hautes terres vallonnées et morainiques aux paysages plus ouverts il a presque toujours choisi les cours d'eau (88 %) où il fait des barrages ou le plus souvent (75 % des cas) et vit dans un terrier-hutte ou un terrier profond[8]. De manière générale, ses barrages sont construits en tête de bassin et dans certaines petites plaines alluviales étroites, là où l'eau risque de manquer en été, presque toujours près d'une saulaie ou d'une ripisylve, et dans des zones où de la terre (ou de la tourbe) est présente. Les barrages sont donc plus communs quand on se rapproche des sources et absents des grands fleuves et de l'aval des grandes rivières. La largeur du barrage, et sa hauteur sont principalement influencées par la configuration du paysage, et la profondeur et largeur du cours d'eau[9]. Le castor, après avoir fait remonter le niveau de l'eau dans le lit mineur, peut ensuite allonger son barrage dans le lit majeur de manière à étendre la pièce d'eau. Quand la famille s'agrandit, le barrage peut être rehaussé. Certains barrages sont maintenus au même endroit durant des décennies de génération en génération, et d'autres sont plus ou moins provisoires, pouvant être reconstruits un peu plus en amont ou en aval dans les années suivantes. Cette hétérogénéité spatiotemporelle est favorable à la biodiversité du cours d'eau et des ripisylves (permettant notamment aux espèces pionnières de trouver des habitats à (re)coloniser). En EuropeUne étude suédoise a porté sur la largeur et profondeur du cours d'eau dans la retenue de 74 barrages de castors, et sur la profondeur de l'eau près de 39 huttes de castors construites sans barrages. La profondeur moyenne était de 1,16 m (variant de 55 centimètres à deux mètres) devant les huttes seules, contre 36 cm en moyenne dans les barrages (de 10 cm à 0,85 mètre). Les huttes sans barrage étaient toujours construites sur des cours d'eau larges (11,15 m en moyenne, allant de 1 m à 40 m) alors que les huttes associées à un barrage étaient construites sur de petits cours d'eau (2,5 m en moyenne, allant de simples ruisseaux de 50 cm de large à des rivières de 6 m de large) ; une analyse discriminante a correctement classé 93 % des sites comme huttes seules ou associées à un barrage [réf. nécessaire]. Le castor sait aussi profiter d'opportunités telles qu'un arbre spontanément tombé en travers d'un ruisseau. Il peut alors en faire l'ossature principale de son futur barrage (c'est un phénomène par exemple décrit (et photographié[10])) pour l'un des barrages construits dans le lit mineur de la Lienne en Belgique. À titre d'exemple, en Bretagne (Ouest de la France), le barrage de castor le plus haut mesuré depuis la réintroduction du castor à l'an 2000 était de 1,10 m, mais ce sont jusqu'à 28 petits barrages qui étaient en place l'été 1996 sur 1 255 mètres de ruisseau sur l'Elez dans les monts d'Arrée (ruisseau de Margily) ; soit un barrage en moyenne tous les 46 mètres[11]. En AmériqueLa hauteur moyenne d'un barrage au Canada est d'environ 1,8 mètre, avec une profondeur moyenne de l'eau derrière le barrage de 1,2 à 1,8 mètre. L'épaisseur du barrage est souvent autour de 1,5 mètre ou plus. La longueur dépend de la topographie locale (qui « contrôle » la largeur et forme du cours d'eau), mais est en moyenne d'environ 4,5 mètres de long. Records
Séries de barrages en escalierC. fiber peut aussi comme son homologue canadien créer des séries de barrage en escalier (Zurowski en 1989 rapporte le cas d'une famille de castors ayant construit sur 1,3 km de cours d'eau 24 barrages (de 1,50 m à 60 m de long, et ayant accru la colonne d'eau de 20 cm à 1,50 m selon les cas). Des séries de plus de 10 barrages ont aussi décrits par d'autres auteurs (ex : Medwecka-Korna's & Hawro en Pologne en 1993[15] et F. Rosell & Parker en 1995 en Norvège[16]). Des travaux moins spectaculaires mais aux effets comparables sont décrits par de nombreux auteurs dont par exemple par Curry-Lindahl, en Suède en 1967[17]; Myrberget en Norvège en 1967[18]; Zharkov & Sokolov en 1967en URSS[19] ; Wilsson en 1971[20] et Richard en 1983[21]. Construction du barrageLe castor ne s'installe que dans un endroit où il y a toujours au moins 60 cm d'eau ou là où, grâce à un barrage, il peut maintenir un niveau d'eau minimum de 0,6 à 0,9 mètre, d'une part pour empêcher que l'entrée sous-marine de sa hutte ou de son terrier soit hors d'eau en été, et d'autre part pour éviter qu'elle ne soit bloquée par les glaces dans les régions aux hivers froids. Si l'eau n'est pas assez profonde, les castors construisent un barrage pour remonter son niveau, il peut faire de quelques centimètres à plus d'un mètre de hauteur et souvent jusqu'à plus de 2 mètres au Canada. Si le courant est trop fort pour les castors, ils peuvent en détourner provisoirement le flux pour réduire la pression d'écoulement de l'eau. Les petits barrages (de quelques centimètres) peuvent n'être fait que de tourbes et de branchettes, mais les grands barrages sont construits de manière organisée : des branches et petits rondins sont enfoncés dans la boue du lit du cours d'eau pour former une base. Ensuite, des branches mortes ou fraichement coupées sont apportées et plus ou moins entrelacées, avec parfois des pierres plates (s'il y en a à proximité). Puis les interstices sont soigneusement colmatés par des pierres, de la boue, de la tourbe, des touffes de racines, des feuilles, des plantes pour construire la superstructure. Les castors adaptent le type de construction du barrage et leur façon de le construire aux ressources naturelles disponibles, mais aussi au contexte hydrographique et notamment à la vitesse du courant :
Un ou plusieurs déversoirs sont construits au sommet du barrage et entretenus de manière qu'il ne devienne pas une brèche dans le barrage. Ils sont aussi utiles au castor lorsqu'il faut descendre sur la face aval du barrage pour l'inspecter et, si besoin est, le réparer. Ces passages font souvent également office de passe à poisson. En terrain plat, certains plans d'eau créés par le castor couvrent plusieurs hectares. Sur les terrains en pente, ils sont plus petits, mais plusieurs plans d'eau peuvent se succéder « en escalier » là où il n'existait qu'un ruisseau, éventuellement à sec plusieurs mois par an en été. Quand une famille s'installe, elle cherche à construire sa hutte près d'un segment du barrage assez haut pour garantir une bonne profondeur à l'entrée de la future hutte. Arthur Radclyffe Dugmore (en), observateur passionné du castor notait en 1914 dans son livre « The Romance of the Beaver[22] » que le castor sait aussi profiter du courant et des contre-courants (pour faire moins d'effort pour apporter son bois de construction ou entrer ou sortir de sa hutte)[23]. Résistance du barrageUn barrage actif (c'est-à-dire entretenu) ou non (« barrage abandonné ») est confronté à quatre principaux facteurs de perte d'intégrité ou pouvant causer sa destruction (plus ou moins vite et fortement selon le contexte climatique et paysager).
Ruptures de barrages : Les ruptures franches sont rares, survenant souvent à l'occasion d'une crue. Si la rupture est brutale et que le barrage était haut, l'onde de crue est amplifiée dans la section située à l'aval du barrage, jusqu'à ce qu'un équilibre soit retrouvé (après la vidange partielle du réservoir)[25]. Un « effet domino » sur un ou plusieurs barrages en aval est parfois constaté. Par exemple dans une région du désert de Sonora dans le centre-ouest de l'Arizona où les crues peuvent être violentes, une étude américaine[24] a porté durant la décennie 2000-2010 sur les phénomènes de résistance, dégradation ou de rupture de barrage (pour un ensemble de plus de 80 barrages (suivis durant 7 ans et sur 58 km de cours d'eau). Le suivi a été fait par photos aériennes et survol héliporté et/ou au sol, et en mesurant aussi les liens entre barrage et vitesse du courant et la longueur de l'étang (déterminée par la mesure de la limite lentique-lotique en amont ; sous 0,2 m/s le système passe du lotique au lentique). Trois « crues expérimentales » ont été libérées à partir d'un barrage de retenue d'eau proche (le barrage d'Alamo) afin de mesurer l'effet sur les barrages de castors de crues intenses à violentes (avec des débits de pointe allant de 37 à 65 m3 s−1). Un délai de 11 mois entre chaque expérience laissait aux castors le temps de réparer leurs aménagements[24]. Ces crues artificielles ont effectivement induit (sur environ 20 % des barrages contrôlés) des dommages importants (c'est-à-dire une brèche de plus de 3 m de large au sommet du barrage et allant jusqu'à la destruction totale du barrage) et une proportion similaire ou supérieure de barrage a été légèrement endommagé. Malgré cela les barrages ont fortement lissé l'effet de la crue[24]. En général les trois ou quatre premiers barrages subissant de tels fronts de crue sont balayés ou gravement endommagés, et les suivants y résistent mieux (avec néanmoins une vidange de l'étang du castor parfois), mais pouvant être assez rapidement réparés. Lors de la crue provoquée la plus violente (65 m3 s−1), 9 barrages ont cédé ou ont été gravement endommagés, et deux cas particuliers ont été signalés : deux barrages essentiellement construites en rhizomes de roseaux (typha sp.) enchevêtrés ont été poussés vers l'aval d'une seule pièce par la crue[24]. L'eau est passée au-dessus d'une trentaine d'autres barrages sans destructions majeures. Les chercheurs n'ont détecté ni relation entre la taille du barrage et la gravité des dommages, ni un seuil de débit de crue au-dessus duquel des dommages importants seraient systématiques. Associé à l'ampleur et la brutalité de la crue, le facteur le plus explicatif ou prédictif des dommages seraient les matériaux constitutifs du barrage[24]. Dans cette zone désertique où les crues peuvent être subites et violentes, les zones d'habitat lentique créées par le castor seront donc périodiquement perturbées[24]. Dans des situations similaires ou des contextes anthropisés ou de gestion de la nature, les auteurs jugent qu'examiner à la fois les conséquences désirables et indésirables de l'ingénierie écologique assistée par le castor est important chaque fois qu'on souhaite optimiser les flux environnementaux pour atteindre des objectifs à la fois écologiques et socio-économiques[24]. Effets environnementaux et écologiquesImportance surfacique des effetsIl existe des effets physicochimiques et écologiques, immédiats et différés, qu'on peut observer dans le temps, mais aussi dans l'espace et le paysage. Certains effets directs sont facilement mesurables (sur photo aérienne par exemple pour la surface en eau). Les effets indirects et de moyen et long termes sont nombreux et importants (par exemple recharge de nappe améliorée, avec remontée de sources et de niveau piézométrique) mais plus difficile à quantifier. Tous ces effets varient en outre selon les contextes géomorphologiques et écologiques, l'agrandissement des surfaces en eau étant parfois discret, parfois spectaculaires (en plaine dans la zone des ruisseaux et petites rivières). Ainsi :
En amont des vallées et micro-vallées encaissées boisées, une succession de petits barrages étroits suffit au castor pour retenir une quantité importante et suffisante d'eau, mais en plaine un barrage moins haut inondera une surface bien plus importante (Johnston & Naiman, 1987). Effets hydrographiquesChaque barrage a un effet hydrographique local, mais aussi sur l'amont et l'aval. Là où il y a peu d'eau en été, le castor construit fréquemment non pas un seul barrage, mais une succession de barrages, ce qui donne au cours d'eau qu'il aménage un profil typiquement «en escalier». Ce faisant le castor augmente considérablement à la fois la surface totale du cours d'eau, sa profondeur et donc son volume global d'eau (sous réserve que l'eau ne soit pas turbide au point d'apporter assez de sédiment pour combler les étangs créés par le castor)[29]. Le castor était autrefois présent à haute altitude et en zone froide, et il l'est encore ou à nouveau localement, comme dans le Glacier National Park des Rocky Mountains dans le Montana où les effets hydrogéomorphologiques de ses barrages ont été clairement démontrés en 1999 par deux géographes (Meentemeyer et Butler[30],[31]) ; David R. Butler fait même du castor un archétype ou une espèce modèle d'intérêt pédagogique en matière d'espèce animale facteur de changement « biogéomorphique » ; il recommande aux enseignants d'intégrer l'étude des effets du castor dans le cadre des exercices donnés aux étudiants[25]. Les barrages allongent et complexifient les profils en large et en long du cours d'eau ; les écotones « eau-susbstrat » et linéaire « eau-forêt » (habitats rivulaires) en sont notamment très fortement enrichis[32]. Une partie significative de l'eau stockée dans les chaines d'étangs (et dans les petits canaux de castors) est évaporée et évapotranspirée[33], mais en partie réappropriée (et recyclée) par l'écosystème via les eaux météoriques (brumes, pluies, givres et rosées) et avec un bilan annuel positif grâce à une compensation de l'évapotranspiration par un meilleur stockage/infiltration de l'eau lors des périodes de crue[34] (là où les barrages restent fonctionnels)[35]. L'élévation du niveau de l'eau, de la nappe et le lissage de la « lame d'eau » dans le bassin ou en amont de chaque barrage a plusieurs conséquences hydrographiques remarquables, dont :
Effets sédimentologiques et géomorphologiquesChaque barrage a un effet sur la sédimentation locale et globale : les matières en suspension se déposent en amont du barrage au fur et à mesure que le courant est ralenti et selon leur poids. Il y a donc moins de matière et suspension juste en aval du barrage (provisoirement quand le barrage est temporaire). Naiman et al. (1988) ont montré que des barrages de taille modestes peuvent déjà retenir de 2 000 à 6 500 m 3 de sédiments, voire plus[44]. Le barrage de castors peut ainsi réduire l'incision fluviale dans les zones soumises à érosion régressive du lit[38],[36] Or, des millions d'étangs de castors et de barrages existaient en Amérique du Nord avant l'arrivée des colons européens. De même en Eurasie il y a plus de 1000 ans. Après chaque glaciation les castors sont remontés vers le nord, piégeant dans leurs retenues de grandes quantités de sédiments fins et grossiers, freinant le transit sédimentaire. Quelques données paléontologiques attestent de l'accumulation inexpliquée d'importantes quantité de lœss dans des environnements très forestiers (d'après les analyses polliniques) et au moins dans un cas en présence de restes de castor[45]. Dans ce cas (couches du Villafranchien du bassin de l'Isère à Saint-Vallier), deux couches de lœss semblent s'être accumulées dans un environnement riche en arbres (dont cèdres rares en France à cette époque)[46]). Les lœss ne sont pas supposés se déposer en forêt, mais dans de grands espaces ouverts (où l'on devrait donc trouver des pollens de toundra et de steppe), bien que des indices de forêts-galeries ou de zones de forêts claires soient cités par divers auteurs (Bastin en 1971[47], Frenzel en 1964[48] ; Girard-Tamain en 1965[49] ; Leroi-Gourhan en 1967[50]. Au total des centaines de milliards de mètres cubes de sédiments ont été piégés par les barrages et mares de castors sur chacun des deux continents de l'hémisphère nord[51]. Sans ces barrages, ces sédiments auraient été en grande partie emportés par les rivières et les fleuves jusqu'à l'océan. Les castors ont contribué à modeler les paysages hormis ceux qui leur étaient inaccessibles car recouverts par les glaces[51]. La nature physicochimique et la granulométrie du sédiment du barrage : elle reflètent la nature géologique du substratum située en amont du barrage.
Dans les régions montagneuses on y trouve des galets, cailloux ou graviers, alors que dans une tourbière, il s'agira d'un sédiment fin et noir.
Effets géomorphologiquesL'érosion du fond et des berges par l'eau dépend du degré de pente, du climat et de la fragilité/dureté du substrat. Depuis des millions d'années dans les sections de l'amont de cours d'eau concernées par un important transit sédimentaire (actif dès le niveau des sources parfois ; sous les glaciers notamment[30]), quand le castor est présent et qu'il dispose d'assez de bois pour faire des barrages, ses réservoirs peuvent piéger et répartir (sur une surface bien plus large qu'en leur absence) des quantités importantes de sédiments. La profondeur et le volume de sédiments piégés augmentent considérablement avec l'âge de la retenue. Les barrages de castors diminuent aussi la vitesse du flux et donc sa puissance érosive en aval (de chaque barrage). Il a été montré[30] que plus un barrage est grand et ancien (deux paramètres souvent liés), plus il réduit efficacement la vitesse du courant et mieux il piège les sédiments. Trois barrages anciens étudiés par Meentemeyer[30] ont suffi à empêcher le transfert des sédiments en aval, en filtrant et redistribuant l'eau de manière hyporhéique[30], ce qui fait classer le castor parmi les espèces actives dans le domaine de la « biogéomorphologie ». À l'échelle d'une rivière ou d'un basin, l'importance de l'atténuation de l'énergie de flux dépend aussi du nombre de barrages et de la distance qui les sépare. Le bilan global en termes de degré de réduction du potentiel érosif de l'eau (sous-chargée relativement à ce qu'elle serait en l'absence de castor) en aval de chaque barrage est difficile à quantifier précisément, mais il existe maintenant un consensus pour reconnaître au castor - là où il est présent ou de retour - un rôle important dans la (re)configuration des paysages[30], même en quelques années ou décennies après son retour (comme en Wallonie[52]). Même en quelques années ou dizaines d'années après le retour des castors là où ils avaient disparu, un barrage ralentit considérablement la vitesse de progression de la charge de fond, y compris pour des sédiments fins ; ainsi en Wallonie, les castors dans les secteurs où ils sont récemment réapparus ont pu piéger jusqu'à 8 t/km²/an de sédiment, soit 10 fois ce qu'était le transport de charge de fond avant leur retour. Au cours des siècles et millénaires, le castor peut ainsi créer de véritables plaines alluviales où il allonge de plus considérablement le linéaire de berge et de petits cours d'eau anastomosés[53]. Effets sur l'absorption du CO2Le stockage du carbone dans les zones alluviales est l’une des formes majeures de puits de carbone. Il fut autrefois à l'origine du charbon, et de la plupart des tourbières et des riches sols alluviaux. Le volume de carbone ainsi stocké dans le lit mineur ou majeur et ses annexes hydrauliques n'avait jamais été mesuré avant 2012. Au vu des premières données, il s'avère important. Il a été quantifié dans divers types de vallées d'une zone peu anthropisée (en amont du Parc national de Rocky Mountain aux États-Unis)[54]. Les résultats (publiés fin 2012 dans la revue Nature) montrent que dans la partie haute et alluviale des bassins versants, les aménagements faits par les castors sont de loin les meilleurs puits de carbone des cours d'eau, de leurs annexes hydrauliques et de la zone alluviale[54]. Dans cette région riche en forêt ancienne, le castor n'est présent que sur moins d'1/4 du linéaire de rivière, mais ce seul segments contenait 75 % de tout le carbone stocké dans le lit majeur et mineur. Il s'agit essentiellement de sédiments accumulé par les barrages et de bois mort coupé ou accumulé par le castor. Selon Ellen Wohl et ses collègues, les changements historiques dans la complexité des cours d’eau, notamment lié au recul du castor ont probablement significativement réduit le stockage du carbone[54] dans l'hémisphère nord. Comme les zones humides restaurées par le castor atténuent aussi les chocs thermiques (par leur évapotranspiration intense et leur inertie thermique), et qu'elles diminuent les risques d’incendies de forêt et d’érosion, le retour du castor pourrait donc aussi contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique, au profit notamment des espèces appréciant les eaux fraiches (salmonidés). Effets écopaysagersLà où le castor construit des barrages, il modifie profondément et rapidement le cours d'eau mais plus largement le paysage et l'écologie du paysage. Il a selon les scientifiques un effet rapide d'enrichissement de la biodiversité et de la biomasse animale et végétale[52] ; ce pourquoi le castor est classé espèce ingénieur mais aussi comme « espèce facilitatrice » et une espèce ombrelle[55]. Parmi les effets les plus évidents on observe :
L'eau se réoxygène complètement en sortie de la mare, en ruisselant sur la chute du barrage et dans les 250 m en aval. Selon Smith a al (1991), en écologie du paysage, « les théories courantes sur les écosystèmes lotiques, telles le concept du continuum fluvial, devraient tenir compte d'événements circonstanciels comme ceux créés par la présence d'un barrage de castor »[73]. Effet sur les insectesDe nombreux organismes aquatiques ne peuvent survivre que dans les eaux stagnantes ou dans les eaux vives; lorsqu'un nouveau barrage retient un cours d'eau, nombre des organismes qui y vivent disparaissent et d'autres espèces les remplacent.
Effet général de renaturationLe retour des barrages dans l'aire naturelle de répartition du castor contribue à la « revitalisation de cours d'eau »[75], car la présence du castor permet de multiplier, restaurer et enrichir les "niches écologiques" du cours d'eau, et rapproche ainsi le milieu de son écopotentialité et du bon état écologique notamment car par rapport aux cours d'eau sans barrage. Un cours d'eau barré par le castor, ainsi que ses petits canaux associés augmentent la naturalité et la complexité du milieu, tout en y conservant mieux l'eau. Un cours d'eau où plusieurs barrages se succèdent connaît une alternance de sections d'eaux lentes et profondes (à forte inertie thermique) et de sections d'écoulements rapides à lame d'eau moins profonde (et à moindre inertie thermique). En complexifiant également la berge et les écotones le castor augmente fortement le nombre de habitat disponibles, dans la ripisylve et sous l'eau. Effets halieutiquesLes barrages et leurs mares profitent logiquement aux espèces des eaux lentiques et plutôt tièdes[76], mais (de manière contre-intuitive) aussi salmonidés[77],[78],[79] et des ripisylves. Une étude allemande[80] a comparé (en 1995) plusieurs groupes d'organismes (Odonata, Mollusca, Trichoptera, Ephemeroptera et Diptera) dans 2 ruisseaux des Monts Spessart (Hesse, Allemagne), dont l'un accueillait une série de barrages de castors. Là où le courant était ralenti par un barrage de castor, trois espèces n'ont pas été retrouvées (Drusus anulatus, Trich., Sericostoma personatum, Trich., Radix peregra, Gastr.), mais chaque retenue de castors abritait « un nombre nettement plus élevé d'espèces de libellules et demoiselles, d'oiseaux, de mollusques et de trichoptères que les ruisseaux situés à leur amont »[80]. Les barrages de castor en augmentant l'hétérogénéité des sections de ruisseaux et rivières permettent une coexistence d'organismes aquatiques à la fois typiques des eaux vives et des eaux lentes, en augmentant la biomasse globale produite, en augmentant grâce aux étangs de castors l'abondance des éphémères (ex Cloeon dipterum) plus que dans les zones lentiques sans castor (où les chironomes dominaient[80]). Dans les secteurs à fort courant en aval de chaque barrage les organismes caractéristiques des eaux vives étaient également présents[80]. La plupart des insectes trouvés lors de cette étude sont à la base de l'alimentation des poissons non herbivores[80]. Effets sur les amphibiensLes larves de grenouille, crapauds, tritons et salamandres (et parfois les adultes dans le cas de la rainette ou de la grenouille verte...) profitent fortement de l'eau et de la nourriture qu'offrent le réservoir[85]. Une étude canadienne a ainsi trouvé en Alberta 5,7 fois plus de grenouilles des bois récemment métamorphosés, 29 fois plus de crapauds et 24 fois plus de rainettes boréales faux-grillons près des mares à castor que près des sections de cours d'eau à écoulement libre à proximité[86]. Dans le Devon, dans une zone humide où le castor a été récemment réintroduit dans le cadre du « Devon Beaver Project »[87] et où ses effets font l'objet d'un suivi, le nombre de pontes d'amphibiens a augmenté ; passant de 12 (en 2011) à 521 (en février 2015)[88]. Alors que les mares tendent à disparaitre des paysages agricoles, les castors peuvent restaurer des milieux de sustitution dans les petits cours d'eau situés dans des environnements forestiers ou bordé d'arbres ou de buissons[89], à tel point que des biologistes ont proposé le castor comme auxiliaire de la protection des anoures, notamment dans les zones boréales riches en petits cours d'eau (car là, les mâles appelants d'anoures tels que Pseudacris maculata, Rana sylvatica et Bufo boreas ne sont jamais observés dans les « cours d'eau non barrés », alors qu'ils sont fréquents ou abondants dans les mares de castors où ils trouvent une nourriture plus facile et où leurs têtards trouvent une nurserie idéale[90]. Plus l'environnement est riche en étangs de castor, plus les chercheurs trouvent de jeunes de l'année pour ces espèces[90]. Effets sur les oiseauxLes étangs à castor sont un habitat de choix et d’une grande importance pour la sauvagine. Le ministère des Ressources naturelles et de la Faune du Québec note cette importance particulièrement pour «le canard noir, le canard huppé, le bec-scie couronné, le morillon à collier et le garrot commun». On ajoute que «Le succès de nidification y est élevé en raison de la forte présence de couvert qui limite la prédation»[91]. Effets sur les mammifèresIl concerne des prédateurs du castor (le loup et le coyote quand ils sont présents), des animaux piscivores tels que la loutre ou piscivores occasionnels (ours, lynx), mais aussi des animaux insectivores (plusieurs espèces de chauve-souris spécialistes des milieux forestiers ou aquatiques profitent de la manne d'insectes émergeant de nuit à partir des mares de castors ou venant y pondre[92],[93] dans les petites vallées. Effets sur les macrophytesChaque étang de castors permet l'apparition d'une succession de macrophytes et de nouvelles ceintures de végétation qui n'existeraient pas (ou bien moindrement) sans ce plan d'eau[94]. Ray & al. (2001) ont étudié 36 étangs de castor canadiens (étangs âgés de 4 à 40 ans, isolés d'autres masses d'eau dans une zone de tourbière) : Ils ont montré que « la richesse et la diversité en espèces augmente de façon linéaire dans les étangs au cours des quatre premières décennies. L'âge de l'étang et le produit de la dimension de l'étang par le nombre d'étangs voisins dans un rayon de 250 m explique 64 %[95] de la variation dans la richesse », avec une composition floristique qui semble fortement déterminée par les modes de dispersion des graines (apportées par le vent, les oiseaux ou d'autres animaux qui viennent profiter de ce nouveau point d'eau ou de la flore, faune ou fonge ou des micro-organismes qu'il abrite)[94]. La flore immergée profite aussi à l'orignal, le seul mammifère non aquatique pouvant brouter sous l'eau. « Effet épuration de l'eau»Il découle de la combinaison des effets décrits ci-dessus que la mare fonctionne comme un lagunage naturel. L'autoépuration du milieu colonisé par le castor en est renforcée[96], y compris concernant l'azote[97] (eutrophisant devenu problématique dans tous les pays riches). Un « effet filtration » existe : la partie haute du barrage bloque et filtre une grande partie des objets flottants et le cas échéant les algues filamenteuses et les lentilles d'eau (et dans les zones anthropisées il n'est pas rare de trouver des bouteilles ou sacs en plastiques réutilisés par le castor dans son barrage. Occasionnellement, des barrages peuvent aussi intercepter des nappes d'hydrocarbures ; ainsi, dans la forêt boréale canadienne en 2011 un barrage de castor a efficacement bloqué le pétrole issu d'une rupture d'un oléoduc de la compagnie pétrolière Plains Midstream Canada, évitant une marée noire sur le territoire des Indiens du lac Lubicon situé en aval (six castors ont néanmoins été empoisonnés ou ont été euthanasiés, et quelques-uns soignés ; une dizaine de canards sont également morts) ; La fuite était équivalente à 28 000 barils de pétrole dont une partie avait abouti à la rivière[98],[99]. Un effet d'épuration chimique existe aussi, plus ou moins marqués selon le volume d'eau et de sédiment accumulé par le castor, selon les paramètres amont de qualité de l'eau, et selon les paramètres antérieurs à l'installation des castors. Lafontaine et al. (2000) donne quelques exemples de l'importance du contexte : « si les éléments nutritifs sont au préalable peu abondants, un accroissement des nitrates et phosphates du fait des castors aura un impact positif sur la productivité en salmonidés, alors que l'impact sur un site eutrophe riche peut être négligeable, voire négatif ». De même, dans un écosystème acide ou exposé à des pluies acides, l'eau ressort toujours de l'étang du castor nettement moins acide qu'elle n'y est entré. Le barrage a comme effet indirect d'augmenter le « potentiel de neutralisation de l'acide » (PNA)[100], au profit de nombreuses espèces, dont les salmonidés (sauf dans les eaux naturellement alcalines)[11]. Or, dans les eaux non-acides, les métaux lourds sont moins solubles, circulent moins et sont moins biodisponibles. Le castor ne peut pas les faire disparaître car ils ne sont pas biodégradables, mais une partie d'entre eux sera plus ou moins durablement piégée et dans une certaine mesure inertée dans les sédiments des mares à castor (où les plombs de chasse et d'agrès de pêche perdus sur place ou apporté par le courant poseront donc a priori moins de risque de saturnisme animal, tant qu'ils ne seront pas directement ingérés par un animal). Ceci ne vaut pas cependant pour le mercure (qui est Amérique du Nord très présent dont dans des régions industrielles et là où les mines d'or en ont rejeté des quantités importantes). Dans les régions boréales ou froides on en a trouvé dans l'eau de mares de castor sous sa forme la plus écotoxique (le méthylmercure) avec une double fluctuation saisonnière. Dans trois étangs de castor du sud-ouest du Québec, 58 à 80 % du mercure était présent sous forme méthylée en fin d'hiver, en raison du pic hivernal d'anoxie dans le sédiment des étangs recouverts de glace[101]. Un pic moins important a été constaté en été, très élevé dans l'étang le plus récent, là et quand les bactéries responsables de la méthylation du mercure sont les plus actives, avec dans ce cas jusqu'à 2,8 nanogrammes de méthylmercure par litre d'eau dans un étang récent (taux comparable aux taux les plus élevés trouvés dans les fleuves nord-américains[102] ou dans l'eau de prairies ou forêts inondées depuis quelques mois, ou dans un réservoir expérimental créé en forêt boréale[103]), alors que dans un étang ancien (20 ans environ), ce taux (0.456 à 0.727 ng L−1 sur 3 ans) était élevé, mais similaire à celui trouvé en aval de zones humides boréale[104]. Dans ces 3 étangs, 34 à 67 % du mercure était présent sous sa forme méthylée et 80 % environ de ce méthylmercure l'était sous une forme soluble et non sous forme particulaire. Quand l'eau est claire, une partie du méthylmercure de la mare peut être dégradé par photochimie[105]. Les effets du castor sur l'azote et le carbone sont particulièrement intéressants : Le castor et tous les organismes vivant dans sa mare ont besoin de protéines, et donc de carbone et d'azote biodisponible. Les aménagements du castor ont pour effet de renforcer la captation de l'azote ambiant (par les microbes puis le réseau trophique). Effets sur le cycle de l'azote et du phosphoreLe cycle de l'azote a été étudié au Québec dans des cours d'eau de 2e ordre où les castors aménagent le plus de barrage. Naiman & Melillo (1984) ont montré que les sédiments que les castors y stockent sont - par mètre linéaire de cours d'eau - près de 1000 fois plus riches en azote que les sédiments adjacents de même profondeur. De plus, alors qu’ailleurs (dans les creux ou évasements du lit mineur) l’azote provient essentiellement et saisonnièrement des feuilles mortes, dans le réservoir de castor, il provient aussi et surtout de la fixation microbienne de l’azote. C'est une des explications à la forte bioproductivité animale et végétale des étangs de castor. L'année suivante (1985), Francis et al. estiment que grâce aux barrages de castor, l'accumulation totale d'azote par leurs sédiments est - par tronçon unitaire - multiplié par 9 à 44, sans eutrophiser la rivière, l’estuaire ou la mer[106]. Cet azote sera en grande partie récupéré par les racines et plantes de la ripisylve et les espèces pionnières qui s’y réinstallent quand un barrage est abandonné.10 ans plus tard (1995), Songster-Alpin & Klotz, en mesurant la respiration et la biomasse microbiennes des mares de castors, confirment que l'activité microbienne globale du cours d'eau en est fortement augmentée « 13 à 35 fois plus grande dans les étangs que dans les tronçons d'amont. Exprimée par unité de longueur du cours d'eau (microgrammes d'O2 par mètre par heure), l'activité était 460 à 2180 fois plus grande. »[107]. Le castor joue donc un rôle qui a été beaucoup sous-estimé dans les cycles biogéochimiques de l'hémisphère nord. Selon Devito et Dilon (2011), « L'accumulation initiale de matériaux forestiers submergés et l'apport de matière organique par les castors peuvent être très importants pour la dynamique de P (phosphore) et N (Azote), ce qui représenterait une source à long terme de matières nutritives pour l'eau de l'étang et son exutoire »[108] Effets climatiques et microclimatiquesDans une région de l'Alberta où le castor avait disparu au XIXe siècle mais qu'il a récemment progressivement recolonisée (depuis 1954) une étude a cherché dans quelle mesure les barrages et leurs retenues d'eau influençaient les microclimats voire les climats loco-régionaux (en termes d'hygrométrie, température, précipitations et de leurs fourchettes et variations)[109]. Elle a montré qu'en forêt mixte boréale, des eaux libres estivales réapparaissent depuis le retour de C canadensis, grâce à ses barrages. L'extension et les modifications de surfaces en eau sur la période de recolonisation (période comprenant des épisodes humides et secs)[109] a facilement été suivie grâce à des photos aériennes faites de 1948 à 2002. L'étude a conclu que le nombre de huttes occupées « expliquait » plus de 80 % de la variabilité de la présence d'eau libre durant ce demi-siècle[109], et que les variables climatiques températures et précipitations avaient statistiquement « beaucoup moins d'importance » que la présence/absence de castor dans le maintien de ces zones d'eau libre[109]. Cette étude porte sur le castor canadien, mais les chercheurs considèrent que les effets qualitatifs sur l'environnement du castor européen sont comparables (là où il fait des barrages)[110] même si les barrages canadiens sont souvent plus imposants. Barrages abandonnés ou provisoiresCertains barrages sont provisoires (ne servant qu'en été ou lors d'une période exceptionnellement sèche). On trouve aussi des barrages abandonnés (par exemple dans l'est de la Lituanie où le castor a reconstitué d'importantes populations, mais où il est aussi fréquemment la proie des loups[111], alors que la population de castors augmentait de 1983 à 2001, les sites de castors abandonnés composaient 44 à 58 % des sites connus. Un suivi sur près de 20 ans a montré que dans les marais et les cours d'eau lituaniens petits et de faible profondeur (peut-être en réponse à l'abondance des prédateurs tels que loutre, ours, loup...) l'activité du castor est particulièrement dynamique (la durée moyenne d'utilisation continue d'un site était en 2001 en moyenne de 2,61 ans et une grande partie des sites abandonnés (≥ 43 %) l'étaient après une courte période de temps (2,72 ans en moyenne), mais ensuite à nouveau recolonisés par des castors après quelques mois ou années). Un barrage peut être abandonné soit en raison d'une épidémie qui a tué la famille, soit en raison du braconnage, soit à la suite d'une prédation (par des loups souvent). Généralement, une partie du barrage (la partie centrale souvent) se délite alors peu à peu. La brèche en s'agrandissant (souvent à l'occasion d'une crue) provoque la vidange plus ou moins complète et rapide de l'étang. Ensuite sur le monticule formé par le bois en décomposition du barrage et de la hutte, ainsi que sur les sédiments du réservoir mis à nu, la végétation se réinstalle très rapidement, souvent au profit d'espèces pionnières forestières ou de zones humides... jusqu'à ce qu'une nouvelle famille revienne éventuellement construire un nouveau barrage. Effets de la destruction d'un barrageLa destruction intégrale et brutale d'un barrage (par l'Homme ou une forte crue) a des effets immédiats ou différés, étudiés lors de la destruction expérimentale de barrages par des crues provoquées, ou dans le cadre d'études hydrographiques ou écologiques lors desquelles une crue est survenue et a détruit un ou plusieurs des barrages de la zone étudiée. Les effets observés sont :
L'Homme et les barrages de castorsDurant la préhistoireOn connait encore peu de choses des interactions entre les activités de l'homme préhistorique et les barrages de castors, notamment durant les interglaciaires précédents. On sait que cet animal était chassé et mangé par les hommes préhistoriques, en Europe et en Asie. Mais certains auteurs pensent qu'il a joué un rôle bien plus important que celui de proie et de gibier pour l'Homme de Néandertal et de Cro-Magnon. Selon Coles & Orme[112], le castor est un aménageur dont le rôle sur les paysages a pu être très sous estimé, et les préhistoriens ont attribué à l'Homo sapiens des changements de paysages post-glaciaires qui ont en réalité peut-être ou probablement été directement induits par le castor et sa capacité à retenir l'eau et freiner les eaux douces dans leurs course vers l'océan, à accumuler du bois et ouvrir les ripisylves. Le castor, peut-être même avant le retour post-glaciaire d'Homo-sapiens régulait le débit de l'eau et amélioraient la capacité de charge des eaux douces (plus de poissons en particulier, y compris salmonidés) tout en améliorant la vitesse et l'importance de la recharge des nappes (cf loi de Darcy). Mais aussi, la succession de ses barrages a pu jouer un rôle très important de rétention des sédiments qui ont participé à la création de riches plaines ou microplaines alluviales[110],[113],[114]. Une étude récente a montré en Belgique que les barrages y interceptaient les sédiments (à raison de 25 cm en moyenne en 7 ans dans un sous-bassin des Ardennes belges). Nuisances des barragesLes castors sont source de débris ligneux et d'embâcles en abattant des arbres ou en construisant des barrages et des huttes, mais ils captent et stockent également ces débris, dans des zones humides (ce qui limite les risques d'incendie). Comme les morceaux de bois sont souvent coupés en morceaux relativement petits, ils posent peu de problèmes en cas de rupture de barrage (bien moins qu'un arbre grand entier déraciné à partir de la berge par exemple). Les barrages les plus hauts peuvent gêner l'activité de canoë-kayak, et les entrelacs de branches, quoique favorables aux poissons, peuvent gêner les pêcheurs quand les hameçons s'y accrochent. Les deux gênes ou problèmes les plus importants sont
Gestion des barragesIl arrive qu'un barrage puisse être gênant pour les activités humaines, par exemple parce qu'inondant un champ ou un chemin ou bouchant un ponceau ou un exutoire de drain. La baisse du niveau de l'eau juste à son aval peut aussi déstabiliser les constructions ou seuils présents à cet endroit. On détruisait autrefois ces barrages gênants à la main, puis au moyen d'engins, voire (en Amérique du Nord) de dynamite. Mais détruire un barrage sans autres précautions est souvent sans effet à long terme, d'une part parce qu'en cas de destruction brutale une « vague de crue » est produite, avec un risque d'« effet domino » en aval, et d'autre part car les castors risquent de chercher à le reconstruire rapidement. Divers moyens[115] permettent maintenant soit d'en contrôler le niveau sans avoir à le détruire, soit d'encourager le castor à construire son barrage à un autre endroit. Il a été démontré que le castor se met à réparer son barrage quand l'eau baisse anormalement, quand il entend de l'eau couler ou qu'il perçoit un accroissement local du courant qui indique une fuite importante. Grâce à cela, on sait aujourd'hui que la pose d'un siphon silencieux permet de contrôler le niveau du plan d'eau créé par un barrage de castor. La prise d'eau de ce siphon doit être située à quelques mètres en amont du barrage et le rejet doit être situé à quelques mètres en aval. L'entrée de la prise d'eau doit être entourée d'une crépine (grillage de protection), sinon le castor le boucherait ou risquerait de s'y noyer, et le siphon risquerait de se boucher avec des feuilles mortes. Ce dispositif suffit à contrôler le niveau de l'eau[91] Si le castor a commencé à construire un barrage ou qu'il risque de le faire à l'entrée d'un ponceau, il est possible de créer un peu en amont un pré-barrage : ce pré-barrage « invite » le castor à faire son barrage là où on le souhaite (le site doit aussi convenir au castor, en particulier le fond qui doit permettre l'ancrage du nouveau barrage)[116]; Sauf en cas de crue brutale et exceptionnelle, grâce à l'entrelacement des pièces de bois et parfois des racines des plantes qui y poussent, un barrage de castor ne cède pas brutalement, et il se montre même difficile à « démonter » manuellement (une technique consiste à utiliser un puissant jet d'eau pour dégager la terre poussée par le castor entre les branches, qui vont alors plus aisément pouvoir être retirées du barrage). Un cas particulier est celui d'un barrage ancien et qui ne serait plus entretenu par un groupe de castor (par exemple décimé par une maladie). Généralement, il perd peu à peu son eau et sur la zone asséchées enrichie en sédiments la forêt se reconstitue rapidement, mais dans un contexte anthropisé, une analyse de risque mérite d'être faite et aboutir à un traitement adapté du problème (si un problème est mis en évidence)[51]. Enjeux de conservationComprendre les rôles et services écosystémiques autrefois et actuellement joué par les barrages et plans d'eau construits par les castors est un enjeu écopaysager et de biodiversité, mais aussi un enjeu pour l'eau et le climat. Denise Burchsted & son équipe notaient en 2010 que des milliards de dollars sont dépensés aux États-Unis, depuis quelques décennies par des instances publiques, associatives ou privés pour restaurer les rivières. De même en Europe des efforts importants sont faits pour retrouver le bon état écologique des cours d'eau et donc de leurs bassins versants[117]. Après avoir dégradé les cours d'eau et les zones humides durant des siècles, il s'agit dans ces deux cas de retrouver un « état de référence souhaité »[117]. Cet état n'est cependant pas clairement défini, ou pour ce qui concerne le castor et ses effets, il sous-estime l'écopotentialité des bassins versants (faute d'études et de connaissance sur les paléoenvironnements et leur fonctionnement écologique)[117]. Les grands barrages artificiels posent indiscutablement des problèmes majeurs pour la migration des poissons, mais par crainte des inondations, de nombreuses collectivités suppriment les embâcles naturels dès qu'ils se forment, et un paradigme récemment devenu dominant chez les techniciens et gestionnaires de cours d'eau est qu'il faudrait rétablir une « libre circulation des poissons » en supprimant tous les obstacles significatifs à l'écoulement de l'eau au motif qu'ils seraient défavorables à la circulation des poissons[117]. Toutes les études[118] ayant porté sur le bilan des effets directs et connexes les barrages de castors sur les plans physique (hydrogeomorphie[119], géomorphologie[51].), climatiques et écologiques montrent que la somme et le bilan de ces effets sont au contraire positifs pour la faune (salmonidés y compris[120] et pour la biodiversité des poissons en général[121]), la flore, les écosystèmes, la recharge des nappes, la qualité de l'eau, les microclimats, et que la gêne qu'ils occasionnent parfois pour les activités humaines peut presque toujours être réduite, annulée ou compensée. Quand cela ne semble pas possible, reste la possibilité de déplacer les castors. Selon Burchsted & al., il est urgent d'introduire dans les critères de restauration des milieux aquatiques une notion de discontinuité dynamique qu'ils nomment « beaver-mediated discontinuity » ; car dans la Nature, « les processus géologiques et écologiques créent des systèmes fluviaux épars et discontinus ». Les barrages faits par les castors nord-américains généraient autrefois en permanence de telles discontinuités, tout au long des parties amont des systèmes fluviaux « pré-coloniaux » d'Amérique du Nord[117]. Dans le contexte contemporain, les barrages de castors créent encore (là où ils existent) des séquences dynamiques d'étangs et de prairies humides entrecoupées de segments à écoulement libre[117]. Le territoire d'une seule famille peut dépasser 1 km de cours d'eau, mais aussi inonder la vallée latéralement, et fondamentalement modifier les cycles biogéochimiques et les structures écologiques en place, à plusieurs échelles spatiale et temporelles[117]. Notes et références
BibliographieEn français
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